Image La vieille femme en fichu noir tend son écuelle en fer dans laquelle un gargotier verse des lentilles. «Une misère pareille, marmonne-t-elle, mon mari, Dieu ait son âme, n?aura pas connu ça. A moi, il ne me reste plus qu?à mourir.» Derrière elle, des mendiants et quelques retraités qui attendent discrètement devant cette gargote en plein centre-ville d?Oran détournent la tête. «Des mois que je n?ai pas mangé de viande», maugrée la petite vieille. Malgré la paupérisation et la récession, la ville ne compte aucune soupe populaire pour venir en aide à des couches sociales très défavorisées. «Avant, nous n?aidions que des cas sociaux. Aujourd?hui, avec la paupérisation, il y a tous ces mendiants, ces pauvres, ces gens sans travail et ces retraités», souligne le président d?une association caritative. Onze ans après «l?avènement» de l?économie de marché, Oran n?est plus que l?ombre d?elle-même. Capitale cosmopolite et vivante hier, siège de multiples congrès, de festivals de théâtre et de cinéma, la ville, étranglée par la paupérisation de plus en plus croissante, s?est repliée sur elle-même. Il y a quelque temps, Oran faisait encore l?objet de discussions passionnées et passionnantes, aujourd?hui, la population semble n?avoir qu?une seule obsession : la survie au quotidien. Chaque jour, B. A. en «chômage technique» quitte son domicile en fin de matinée pour acheter des légumes. A cette heure, les démunis, les chômeurs et les pauvres assiègent déjà les étals des marchands de légumes, parce que coûtant moins cher. A Oran, on trouve tout dans les magasins ou au marché noir, mais à des prix exorbitants. Alors qu?une retraite moyenne demeure dérisoire, qu?un professeur de lycée en fin de carrière ne touche pas plus de 18 000 DA, le kilo de viande, lui, coûte 700 DA. Pour les pauvres, c?est exclu, pour l?ancienne classe moyenne en voie d?extinction, c?est devenu un produit de luxe. Face à une inflation qui a atteint sa vitesse de croisière, trois facteurs permettent de tenir difficilement : les liens familiaux avec l?émigré, l?aide de membres de la famille «activants» et, enfin, les économies d?une population qui avait l?habitude de garder une partie de son épargne en liquide. Mais ces «réserves» se sont épuisées depuis fort longtemps. Frange minoritaire de la population, les nouveaux riches se pavanent en Mercedes dans les artères du centre-ville. Il s?agit pour l?ensemble de «profiteurs du système» qui ont bâti leur fortune sur le «trabendo», ou encore de gens bien placés qui ont organisé de juteux trafics à grande échelle. Oran, tardivement urbanisée, est aujourd?hui en voie de sous-développement. L?isolement économique en fait une ville provinciale, une ville de «joie» et de «plaisir». Le retour à une économie de subsistance et l?afflux des mendiants et des nouveaux pauvres, avec leur progéniture déguenillée, lui donnent un aspect de désolation. Parallèlement à ces extrêmes, la vie culturelle est presque anéantie. Les vieux cafés de la ville, vestige d?un passé récent, où les Oranais aimaient passer quelque temps à discuter autour d?un thé à la menthe ou d?un «presse», les désertent. Quant aux rares cinémas transformés en quatre-saisons qui n?affichent que des navets, ils sont vides.