J'avais garé ma voiture volée et demeurais assis à l'avant, regardant les lumières de l'appartement du troisième étage, dans un coin perdu de cette lointaine banlieue de Boston. La soirée avait été longue et mon travail n'était pas encore terminé, il s'en fallait de beaucoup. J'en étais à cinquante pour cent, et je ne serais pas satisfait tant que je n'aurais pas atteint les cent pour cent. En attendant, j'écoutais la radio, j'écoutais le ronron ininterrompu des débats nocturnes sur les relations humaines, les familles, les problèmes. J'écoutais le bruit électronique d'une oreille distraite, tout en me concentrant sur mes propres problèmes, mes problèmes immédiats. Immédiats, façon de parler. Sous le siège, enveloppé dans le Boston Herald du jour, se trouvait un 9 mm Smith & Wesson, entièrement monté avec son silencieux. Ça, c'était un problème, car je ne savais pas très bien ce que je ferais si un flic du coin passait par là et se mettait à m'asticoter. J'avais bien une excuse pour me trouver dans cette rue déserte à une heure du matin, mais j'étais certain que ça n'en serait pas une pour un flic. Mon autre problème se trouvait au troisième étage de cet immeuble. Le living-room brillamment illuminé, de même que la cuisine, montrait que l'occupant de l'appartement – un certain Adam Cruishank – était toujours éveillé. J'y avais aperçu du mouvement moins d'un quart d'heure plus tôt, et je ne tenais pas à ce qu'il reste éveillé encore très longtemps. J'ai soupiré en tapotant le volant. Des phares ont surgi au bout de la rue et je me suis aplati sur la banquette pour me cacher. L'intérieur du véhicule s'est éclairé au moment où la voiture passait, révélant les gobelets de café écrasés, les emballages de plats à emporter et les autres détritus accumulés par le précédent et légitime utilisateur. Peut-être que si j'en avais le temps ce soir, je nettoierais tout ça avant de ramener la voiture à son parking, dans la ville voisine, en signe de remerciement. Question de temps, et de chance. La chance. Je me suis redressé, j'ai regardé par la portière. Le living-room et la cuisine étaient éteints. On ne voyait plus que cette sinistre lueur bleue qui sort de la télé quand on la laisse allumée J'ai respiré à fond deux fois de suite, j'ai encore tapoté le volant et j'ai continué à écouter la radio. Quand le top des informations a retenti, il s'était passé à peu près une demi-heure depuis l'extinction des feux là-haut, et c'était suffisant pour moi. J'ai tendu la main sous le siège, j'ai pris le journal et le pistolet et je suis sorti de la voiture. Il faisait bon en cette nuit du mois de mai. J'ai traversé la rue d'un pas rapide pour pénétrer dans le hall. Dans la plupart des bons immeubles locatifs, on entre avec une clé. Ce n'était pas un bon immeuble. Donc je suis entré et j'ai pris l'escalier, en louvoyant entre les vieilles boîtes de conserve, les jouets et une bicyclette démantibulée, dont on n'avait laissé que le cadre bleu rongé par la rouille. Au troisième, je me suis penché et j'ai sorti un petit nécessaire à forcer les serrures de la poche de mon manteau. (à suivre...)