Badra n?est jamais allée à l?école, mais elle déteste qu?on la juge et qu?un «humain» ose la montrer du doigt. Cette femme de quarante ans est mère de trois enfants, son mari a divorcé d?avec elle contre son gré, pour se remarier avec une autre femme, plus jeune. Puis, il l?a chassée du toit familial, avec la bénédiction de sa belle-famille. Sa propre famille refuse de la prendre en charge avec ses rejetons. La rue devient, dès lors, l?unique abri pour la pauvre Badra. Entourée de ses enfants, s?agrippant encore à ses haillons, elle s?installe sur les trottoirs sordides et hostiles de la ville de Mascara, tendant la main aux passants. Le père, libre depuis comme un oiseau, se remarie, sans se soucier de ses gavroches. La situation de Badra se dégrade de jour en jour, les miettes que lui lancent les passants, de temps à autre, ne lui permettent pas de vivre. Ainsi, la prostitution reste la seule issue pour survivre et scolariser ses gosses. Entre les longs sillons qui traversent son visage ferme, surgissent des années de misère, de solitude et de souffrance. «Je n?ai pas choisi, cette vie mais ce sont les conditions humaines qui me l?ont imposée. Je préfère mourir que de voir mes enfants mourir de faim devant mes yeux. Je ne supporte pas cette image terrifiante ! Mohamed m?a tout pris, il ne m?envoyait même plus la pension alimentaire. Qu?auriez-vous fait à ma place ?» Une endurance qui a dévoré ses plus belles années de jeunesse. «Je travaillais comme serveuse dans un bar» et c?est comme ça qu?elle a été entraînée dans le monde de la prostitution. «Ce n?est qu?avec cet argent que j?ai pu nourrir et payer les études de mes enfants et assurer le loyer de la pièce que je loue. Mes deux filles sont universitaires, mon autre garçon est lycéen. Ils sont ma fierté, même si j?ai dû me vendre pour eux. Ce sont mes enfants, ma chair et mon sang», gémit-elle, puis cache son visage entre ses mains et sanglote. Le père n?est jamais venu s?enquérir de l?état de ses enfants, ils ont grandi seuls et abandonnés. Aujourd?hui, ils ne peuvent juger ou détester leur mère. «Ils savent que je me suis prostituée, mais ils m?aiment. C?est fou de les voir se jeter sur moi, comme quand ils étaient encore petits. Ma grande fille, qui s?est mariée, vient me voir en cachette, alors que la cadette essaie de m?apprendre à lire. Je vois, à travers leurs yeux, de l?amour et de la reconnaissance. C?est ma seule consolation, ma seule raison d?exister !»