SOS Amitié. Je vous écoute... Chacun d'entre nous connaît cette organisation formée de bénévoles, hommes et femmes, qui répondent par téléphone aux messages de détresse. Depuis une pièce et un film célèbres des années 1980, on aurait même tendance à en rire. Pourtant, s'il y a effectivement des plaisantins qui appellent SOS Amitié et même, ainsi qu'il est montré dans le film et la pièce, un bon nombre de détraqués sexuels, il y a, bien sûr, aussi des cas graves et souvent dramatiques. Et certains sortent vraiment de l'ordinaire. Nous sommes en octobre 1971, il est 23 heures. Madeleine Béraud est de permanence au standard. Le téléphone sonne. Elle décroche. — SOS Amitié. Je vous écoute... Au bout du fil, il n'y a rien, seulement le silence. Madeleine Béraud n'en est pas autrement surprise : cela se produit assez souvent. Il y a d'abord des curieux, qui forment le numéro pour voir ce qui se passera. Il y a aussi ceux que les gens de SOS appellent dans leur jargon les «muets». Ceux-là ont vraiment besoin d'aide. Ils ont appelé, souvent au prix d'un grand effort. Et une fois qu'on leur répond, ils n'osent pas parler. Ils ont honte ou, tout simplement, ils se rendent compte brusquement que leur problème est inexprimable, qu'ils ne possèdent pas les mots pour le dire. Ces correspondants-là, Madeleine Béraud le sait, ont peut-être plus encore que les autres besoin de paroles. Il faut meubler leur silence, les inviter avec douceur et persuasion à s'exprimer. — Vous pouvez parler, nous sommes des amis... Pas de réponse. Madeleine entend distinctement dans l'écouteur, la respiration de son correspondant ou de sa correspondante. Elle poursuit : — Ecoutez, je vais vous raconter ce que j'ai fait aujourd'hui. Vous voulez bien ? Il n'y a toujours pas de réponse, mais la respiration s'est modifiée : elle est à la fois plus rapide et plus forte. Cela ressemble à un assentiment. Alors Madeleine Béraud raconte sa journée. Le matin elle a conduit les enfants à l'école, ensuite elle est allée à son bureau : elle travaille dans une administration. Le soir elle est allée reprendre les enfants, etc. Tandis qu'elle débite ces banalités, Madeleine s'interroge. L'inconnu est toujours muré dans son silence, ce n'est pas bon signe. Pourtant, en lui parlant d'elle-même, elle devrait le mettre à l'aise. L'autre doit se rendre compte qu'elle est une femme comme les autres, avec des problèmes qu'ont tous les êtres humains. Pendant les silences qu'elle ménage volontairement, Madeleine Béraud écoute. Il n'y a pas de doute, l'inconnu est attentif. Sa respiration est toute proche, il a la bouche collée contre le récepteur, mais il ne parle pas et puis, brusquement, au bout de dix minutes, il raccroche. Madeleine s'adresse des reproches : elle n'a pas su trouver les mots qu'il fallait, elle aurait dû être plus chaleureuse, et puis il y a cette angoisse qu'elle a chaque fois que les coups de téléphone ne se sont pas bien terminés : pourvu que l'autre n'ait pas fait une bêtise ! Le lendemain, à 11 heures du soir, Madeleine Béraud est de garde. Le téléphone sonne. — SOS Amitié. Je vous écoute... Pas de réponse. Madeleine se tait. Il n'y a pas de doute, c'est la même respiration, elle la reconnaît. Intérieurement, elle est soulagée. L'inconnu n'a pas commis l'irréparable. Elle ne doit pas laisser s'éterniser le silence. — J'ai vu un bon film, cette semaine. Voulez-vous que je vous le raconte ? (à suivre...)