Légèreté n Nos maisons d'édition ont ceci de particulier : elles publient tout ce qu'on leur propose. Roman, navet, livres de cuisine, almanach des P et T, bandes dessinées, biographie, bibliothèque, thèses d'université, correspondances particulières et tout ce qui vous passe par la tête si un jour le démon de l'écriture vous prenait. Il vous suffit de mettre la main à la poche et de payer la prestation. C'est tout. Résultat, c'est la porte ouverte à toutes les aventures littéraires et pseudo-littéraires. Et cela marche, dans les deux sens. Aussi bien pour les maisons d'édition qui ne font pas la fine bouche et qui s'interdisent même de la faire devant les dizaines de manuscrits qui font la chaîne, que pour que les «écrivaillons» dont le rêve suprême est de voir leur nom imprimé sur la couverture d'un livre. Qu'importent le contenant de ce livre et même le contenu. Dans de nombreuses familles, il trône en bonne place dans le rayonnage, visible de loin et particulièrement par les invités auxquels il doit en mettre plein la vue. Ce livre «pondu» généralement au bout de trois ou quatre ans d'écriture est, en fait, l'aboutissement de toute une vie, de toute une carrière. A sa rédaction participent quelques fois des universitaires proches de l'écrivain ou le rare intellectuel de la tribu qui manie la langue française assez correctement. Première remarque, ces ouvrages pèchent par l'indigence de leur langue. Cela en général, parce qu'il y a quand même des exceptions. Les mêmes qualificatifs reviennent assez souvent au travers des pages, les mêmes constructions de phrases alambiquées se répètent de chapitre en chapitre. Les maisons d'édition ont, certes, des lecteurs qui jugent de la qualité de l'ouvrage et des correcteurs aussi, mais il faut croire que ni les uns ni les autres ne voient midi à leur porte. Et laissent ainsi échapper de nombreux contresens, des contrevérités primaires, des fautes d'orthographe et, bien sûr, de syntaxe. Quant au sujet choisi en fond traité, il vole en général au ras des pâquerettes sauf dans quelques cas très rares. Ces livres sont en général des autobiographies où les auteurs se dépeignent sous leur plus beau jour, en y ajoutant une couche et font coller leur nom soit à un saint homme très connu dans la région soit à un cavalier émérite de l'armée de l'émir Abdelkader. D'une manière ou d'une autre, ils essaient de redorer le blason d'une famille ou son passé supposé héroïque et exemplaire. Les sujets tournent en général autour d'un ou de plusieurs événements qui ont marqué l'auteur et qu'il surdimensionne à loisir, comme si le public n'attendait que ça, qu'il en avait soif. Aucune analyse, aucune réflexion n'est engagée dans ces ouvrages qui ressemblent de plus en plus à de la compilation. Certains écrivains, évidemment, dérogent à la règle, mais font malheureusement les frais d'une absence manifeste d'infrastructures de distribution. Si Harry Potter… l Seuls le Coran et l'Evangile ont dépassé dans l'histoire de l'édition le milliard d'exemplaires diffusés et distribués dans le monde. Vient ensuite Harry Potter qui arrive à 80 millions d'exemplaires et enfin le nouveau phénomène de l'édition : Da Vinci avec probablement 18 millions d'exemplaires, peut-être même davantage. Si l'ingénieux auteur de Harry Potter s'était présenté dans une de nos maison d'édition, il aurait payé pour voir son livre diffusé à… 3 500 exemplaires, dont 3 000 n'auraient jamais quitté leur carton.