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«On ne sait pas si les Algériens lisent, faute de statistiques»
LA LECTURE EN ALGERIE
Publié dans L'Expression le 21 - 10 - 2008

Des avis mitigés, parfois contradictoires, émanent de ces faiseurs de culture et de livre.
Les Algériens lisent-ils? Si oui, quel genre de livres et pourquoi? C'est ce que nous nous sommes aventurés à découvri à travers cette mini-enquête où nous sommes partis à la rencontre d'un certain nombre d' acteurs du chaînon du livre en Algérie, a fortiori, à l'orée de la tenue du 8e Salon international du livre d'Alger (Sila), qui ouvrira ses portes le 27 octobre prochain à la Safex, Pins maritimes. Pour Ali Bey, responsable de la libraire du Tiers-Monde sise à la place Emir Abdelkader, les Algériens ont incontestablement soif de lire, il n y a qu'à voir, selon lui, le nombre de visiteurs au Sila et l'engouement que suscite cet événement.
«Je ne parlerai pas des étudiants qui achètent des livres scolaires parce que c'est leur filière qui le demande. Je parle des gens qui achètent des livres pour se distraire, en dehors des études ou de leur profession.» «Ce qui se vend le plus chez lui, affirme-t-il, ce sont les histoires politiques et les nouveaux romans, les livres primés aussi, à l'image des derniers Yasmina Khadra, Salim Bachi, Hamid Grine, etc.» «C'est parce que l'Algérien est aujourd'hui parabolé qu'il est devenu friand des nouveautés et de tout ce qui sort à l'étranger», argumente-t-il. Pour la chargée du commercial au sein de la libraire la Renaissance, sise à Riad El Feth, c'est plus l'ancienne génération qui perpétue la tradition de lire qui demeure pour elle «sacrée». Les jeunes, selon elle, ont trouvé d'autres sujets d'occupation au cybercafé, où l'on peut écouter des CD et voir des films en DVD. Le lieu le plus fréquenté par la nouvelle génération, détrônant de loin les espaces de lecture. Même son de cloche du côté de Sofiane Hadjadj, auteur et responsable des éditons Barzack: «Les Algériens lisent très, très peu? pour ne pas dire ne ´´lisent pas du tout´´! Très peu de publications, pas de diversité. Et on retrouve toujours (ou presque) le même clivage: les lecteurs francophones - minoritaires en nombre - lisent plus d'oeuvres littéraires et des essais, les lecteurs arabophones sont tournés vers le livre ´´utile´´: scolaire, universitaire,... et toujours le livre religieux qui se vend le mieux! Comme la tendance mondiale, ce sont les femmes qui lisent le plus.» Sofiane Hadjadj est catégorique là aussi: «Quant aux jeunes, ils ne lisent quasiment pas, du reste ils ne mettent quasiment jamais les pieds dans les librairies. En vérité, les véritables lieux de diffusion des livres devraient être les cybercafés! Enfin, du fait de la désaffection du public des librairies, le Salon international du livre reste un moment très important: le public y vient en famille, l'occasion de découvrir toute la production nationale mais aussi et surtout les livres scientifiques et techniques, en arabe et en français, qui viennent de l'international. Ce Salon est un moment de communion avec le public, c'est le seul.»
Rentrée littéraire, dites-vous?
Parler du livre et de ses problèmes en Algérie a constitué l'objet d'une conférence de presse célébrant la «rentrée littéraire» 2008 lors d'une cérémonie organisée et animée dimanche dernier, à la Bibliothèque nationale d'El Hamma par une pléiade d'éditeurs et autres amoureux du livre.
M.Amine Zaoui, directeur général de la BN, a annoncé qu'il a été recensé pour cette rentrée, par le biais du dépôt légal, 563 titres dont 200 productions littéraires tous genres confondus, c'est-à-dire romans, nouvelles et essais. «Une rentrée littéraire avec 200 titres littéraires, c'est positif!», a affirmé M.Zaoui mettant en exergue «l'Intérêt croissant de la lecture en Algérie».
«C'est à travers la rentrée littéraire qu'on peut créer un lectorat permanent», a-t-il relevé tout en déplorant que certains grands écrivains publient d'abord à l'étranger avant d'éditer ensuite leurs livres en Algérie. Il rappellera aussi les «grandes possibilités d'investissements» existant en Algérie, dans le domaine de l'édition.
A cela, l'écrivain Bachir Mefti, représentant Dar El Ikhtilaf, dénoncera à son tour «l'opportunisme» de certaines grosses maisons d'édition comme Casbah et Chihab qui sollicitent l'aide du ministère de la Culture au même titre que les petites maisons d'édition.
«Même si on commence avec quelques titres professionnels, cela fait une rentrée littéraire. Celle-ci s'impose par la qualité. On pourra faire l'événement de la rentrée, digne de ce nom», soulignera Amine Zaoui. L'Etat, selon lui, a le devoir d'aider les éditeurs, par l'acquisition d'un certain nombre de sous-tirages et choisir un nombre de titres, les acheter et les mettre à la disposition des lecteurs. «Le rôle de l'Etat c'est de créer une chaîne de bibliothèques et une chaîne d'espaces culturels, pour arriver au lecteur.» Restant dans le domaine de la lecture, et de sa circulation et, pour inciter plus les jeunes à lire, Amine Zaoui nous fera part de cette opération intitulée «Vers un million de lecteurs». «Il s'agit, dira-t-il, d'un travail de fourmi en collaboration avec le ministère de l'Education nationale. Il consiste à travailler via les caravanes de bibliobus, autour de 40.000 titres, à l'adresse des écoles, des lycées, etc, pour activer l'envie et le désir de lecture. On a créé pour ce faire, le prix du jeune lecteur. Il y a un prix pour le primaire, le secondaire et un autre pour le lycée. Aussi un prix régional et un autre national sont décernés à la fin de l'année. Ainsi on en sort avec un millier de lecteurs!» estime-t-il. Amine Zaoui persiste et signe: «On ne peut pas imaginer une rentrée littéraire sans parler de lecteurs, d'écrivains et éditeurs. C'est un ensemble. Ce n'est pas seulement parler de la rentrée littéraire, c'est aussi penser aux achats, aux ventes de nos écrivains, à mettre ces livres dans des bibliothèques, etc.» Mais qui lit et quoi justement dans ce pays? De cette réunion, aussi louable soit-elle, rien n'a percé. Une synthèse que nous résume Lazhari Labter des éditions Alpha: «On ne sait pas si les Algériens lisent car nous n'avons pas de statistiques qui nous permettraient de dire ce que lisent les Algériens et quel type d'ouvrage ils lisent. De savoir d'abord quel est le type de lecteur, par sexe, par région, par langue, à quel genre littéraire ils s'intéressent (poésie, roman, nouvelles, beaux libres, BD), on a essayé de mettre depuis quelques années en place une plate-forme qui nous permettrait une visibilité, pour savoir quel produit culturel donner au lecteur. La vérité c'est qu'on navigue à vue!», dit-il dépité. Et de renchérir: «On sort un livre pour créer le lectorat et non pas on sort un livre pour que le lecteur le lise. On vend des livres, on ne va pas se mentir, mais on sait que ce sont des gens de la génération qui est née avant l'Indépendance, ceux qui ont aujourd'hui entre 50 et 60 ans qui lisent. Le problème est que les gens de ma génération vont disparaître, ce qui nous préoccupe c'est est- ce que les enfants, aujourd'hui, seront-ils formés pour être les futurs lecteurs de demain... Malheureusement ceux-là, d'après nos constats, lisent très peu ou des choses peu intéressantes. Je peux vous dire qu'au Festival de la bande dessinée, quand les portes se sont ouvertes, les jeunes se sont rués non pas sur les bonnes BD mais vers les Mangas.»
La lecture et la BD
Actualité oblige. Un détour par le Salon de la bande dessinée s'est imposé à nous. Rencontré à l'esplanade de Riad El Feth où s'est tenu le rendez-vous des bulles, Nazim Mekbel, coordinateur de cette manifestation et membre actif au sein des éditions Dalimen, dont la directrice n'est autre que la commissaire du Fibda, nous a donné un aperçu plutôt positif de la situation du livre en général et de la BD en particulier. «La volonté de lire chez les jeunes existe. Les Algériens lisent contrairement à ce qu'on croit. Et je suis agréablement surpris quand je vois des jeunes qui n'ont pas l'air de lecteurs mais qui lisent. Les gens n'ont pas les moyens d'acheter un livre mais se le relayent. J'ai été étonné de voir le nombre de gens qui sont venus vendredi ici au Salon et ont acheté des BD dont certaines étaient chères.» Evoquant à son tour le Sila, M.Mekbel dont c'est la troisième année aux éditions Dalimen, fera remarquer que les jeunes achètent des livres. «Si les jeunes ne lisaient pas, le Sila ne serait pas aussi important.» Selon lui, l'Algérien lit beaucoup d'oeuvres qui viennent du Proche-Orient, notamment des livres pour les exposer dans son salon, d'une part. Ce sont les livres dorés grâce auxquels on garnit sa bibliothèque et à laquelle on ne touchera jamais, d'après lui. Ce sont des livres qu'on vend à prix cassé. D'autre part, les Algériens achèteraient beaucoup la vieille littérature dont les droits d'auteur ont été vendus aux sociétés algériennes.
Des livres distribués aussi à bas prix. «Le choix est vite fait. Entre un livre d'auteur comme Emile Zola qui se vend par exemple à 200 DA et un livre algérien avec une édition derrière qui est coûteuse, le lecteur choisira ce qu'il connaît déjà. A l'instar de Yasmina Khadra ou tout autre écrivain algérien connu, on commence heureusement à avoir de l'engouement pour la littérature algérienne. Nous-mêmes qui sommes dans l'édition, sommes surpris.» Abordant le Salon de la BD, Nazim Mekbel avouera que la tenue de cette manifestation n'est pas fortuite. «On s'est rendu compte aussi, qu'il y a un besoin et une demande en ce qu'il s'agit de la bande dessinée. Il y a un marché en ce sens pour les jeunes. Et la BD fait partie de la lecture. Nous avons des BD et pour enfant et pour adulte. C'est apprendre aux jeunes Algériens que la BD a son importance dans la littérature car elle apporte la curiosité de lecture via le dessin. La BD c'est la première porte de l'enseignement pour un enfant vers le livre.»


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