Nasser Hannachi L'artiste engagé libanais, Marcel Khalifa, ne se sépare jamais de son arme, l'oûd (luth). Il le prend pour le faire résonner et porter les cris de révolte des opprimés, privés de libertés ou marginalisés par des systèmes obsolètes faisant barrage à la démocratie. Le concert de Marcel à la clôture de la 4e édition du Festival international de l'Inchad de Constantine était riche en musique et en poésie. «Je me place aux côtés des peuples arabes qui revendiquent leur liberté...», réitèrera le chanteur qui a magistralement clôturé le festival, jeudi soir dernier dans un théâtre plein à craquer. L'affluence pour cette soirée n'a pas son égale durant les précédentes ni pour d'autres manifestations artistiques institutionnalisées organisées à Constantine, à l'exception du rendez-vous de jazz au printemps. L'auteur-compositeur et interprète a frappé fort. Son concert a drainé femmes, hommes, jeunes et moins jeunes qui ont dû se bousculer pour dénicher une place dans un espace qui s'est révélé exigu pour cet évènement. Révolutionnant sa musique, tout en gardant intacte sa trame patriotique, le luthiste a conquis ses fans avec des textes d'un autre artiste engagé, le défunt poète palestinien Mahmoud Darwich, articulés vocalement, mélodieusement et harmonieusement. Piano, violon, percussion (tar), accordéon et une voix. Le vibrato du violoncelle accompagnait délicatement sur les cordes de l'oûd, vibrant maître à jouer. Un prélude sera enchaîné de Rita Wa el Boundoukia. Le public est vite convié pour une chorale à l'unisson. Passionné et passionnant, le chanteur instille l'émotion et personne ne pouvait demeurer indifférent à sa magie parolière. Profitant d'un interlude, il exprime son attachement à l'Algérie «dont il avait hérité la lutte». Les morceaux s'enchaînent. Le public reste sous le charme Bi ghibti nizil chita, Mountassiba alqamati. Marcel Khalifa n'a rien perdu de son engagement en faveur des causes justes qu'il défend. Djamila Bouhired, ce symbole féminin algérien, sera magnifiée au piano et à l'accordéon. Dans le même registre des hommages aux artisans de l'histoire, Marcel offrira un tango à Che Guevara. Une belle composition qui lui valut une salve d'applaudissement. Et Darwich revient. Aynaha, Ahinou lla khoubzi oumi, Djawaz essafar, les textes appris par cœur par les admirateurs ajoutent une harmonie supplémentaire à ce spectacle, indélébile. Innovant en faisant progresser sa musique par l'introduction d'instruments modernes empruntant diverses influences pour mieux véhiculer son message surtout aux nouvelles générations, sans pour autant lâcher ses tonalités antérieures et son style lyrique, le luthiste ouvre une portée d'improvisation «jazzy». Son fils Rami se lance dans un exercice pianistique assez long en s'appuyant sur des syncopes de l'accordéon. Marcel Khalifa interprétera également Fall of the moon (Sokout el qamar), dédié à Mahmoud Darwich. La note finale est un pur retour aux sources. Le public accompagnera l'artiste dans Mounadiline. Livrant ses impressions en fin de spectacle, Marcel Khalifa saluera «la participation ininterrompue des présents à l'ouïe délicate». L'humaniste hors pair, défenseur des opprimés, et révolutionnaire, continue à mettre sa musique au service des causes justes. Et il l'a mise au goût du jour pour qu'elle soit encore et toujours percutante et gracieuse. Il aura tout simplement donné au festival une autre dimension, celle de la lutte pour le triomphe des libertés et de la justice. Ça sera le point d'orgue du festival. «La chanson engagée est éternelle. Elle chante les hommes, les enfants, l'amour, la vie,... Elle demeurera tant que les personnes sont en vie», a-t-il affirmé. A une question de La Tribune sur les printemps arabes, Khalifa répondra d'emblée : «Nous sommes aux côtés de tous les peuples arabes voulant défier la dictature.» «Je suis derrière chaque révolution populaire se déclarant dans les rues. Car, le peuple arabe vit dans des conditions extrêmement difficiles à cause de l'absence d'une réelle démocratie et libertés individuelles. Mais ces révoltes ont besoin de temps pour se concrétiser», ajoutera-t-il. Lui qui disait anticiper son voyage à Grenade (Espagne) à travers sa musique, avant même de fouler le sol andalou, maintient sa perception sur la mémoire, la musique, la poésie et la beauté de ce legs commun. «L'Andalousie est notre mémoire», dira Marcel Khalifa qui a signé son dernier opus dans le hall du TRC en présence d'une foule nombreuse. In fine, cette clôture du festival d'El Inchad a été une réussite en dépit de quelques couacs d'ordre organisationnel. Le commissariat se félicite de ce sursaut qualitatif dès lors que la manifestation a vu «le défilement de plusieurs formations venues de plusieurs pays arabes chantant divers styles, hadra, aïssaoua, madih, soufi... C'est cette pluralité qui a conféré à cette quatrième édition un niveau appréciable». N. H.