Cinquante et un ans après l'Indépendance, des langues se délient non pas pour faire du bien mais pour faire du mal inutilement. Yacef Saâdi, dans une rencontre avec certains responsables de journaux, s'est adonné à un déballage sur certains faits relatifs à la bataille d'Alger, accusant Zohra Drif d'avoir révélé aux autorités coloniales le lieu où se cachaient Ali la Pointe et Hassiba Benbouali. Ce qui a permis aux commandos de Bigeard de plastiquer la rue des Abderam et tuer ainsi les fidayine. Que suggère Yacef Saâdi à travers ces révélations tardives et inutiles pour l'Histoire ? Veut-il apprendre aux générations montantes que les acteurs de la Guerre de libération nationale étaient des surhommes qui ont résisté à la torture ? L'Algérie n'a pas été libérée par des êtres hors du commun. Ceux qui ont décidé de prendre les armes et tous les militants de la cause nationale depuis l'occupation jusqu'à l'Indépendance, étaient des être humains avec leurs forces et faiblesses humaines. Leur mérite réside justement dans leur capacité à vaincre leur égoïsme, leur peur, pour se lancer dans une aventure à haut risque parce qu'entre l'humiliation et la mort, ils ont choisi le sacrifice et les souffrances de la lutte sans pour autant perdre un seul trait de leur nature humaine. Peut-on considérer un militant, un moudjahid, un fidai comme traître lorsqu'il est contraint par la torture à faire des révélations ? Ces femmes et ces hommes qui n'ont pas pu tenir tête à leurs tortionnaires et à leurs méthodes inhumaines, ne se sont pas rendus de leur propre gré à l'ennemi. Ils ont été arrêtés en pleine action et ont été torturés de différentes façons afin de leur arracher des informations. Le moment de faiblesse de ces militants, est-il plus déterminant que les années d'engagement, de privation, de sacrifice et de don de soi pour l'intérêt de la nation et pour l'issue finale du combat collectif ? Yacef Saâdi lui-même est soupçonné d'avoir donné le lieu où se trouvait Larbi Ben M'hidi, ce qui a permis l'arrestation du chef de la révolution. Yacef serait-il un traitre pour autant ? Tous ceux qui se sont engagés dans la lutte armée savaient qu'ils ont choisi la mort individuelle pour que vive la collectivité. Les initiateurs de la lutte armée savaient que ceux qui allaient répondre à leur appel sont des êtres humains porteurs d'autant de courage que de peur face à la mort, à la torture et aux convoitises. C'est pour cette raison qu'ils ont établi des règles et des protocoles pour minimiser les dégâts de la faiblesse humaine. Quand un responsable arrêté s'évade de prison, il est automatiquement mis en observation pendant une période précise avant de reprendre ses fonctions au sein de la lutte armée. Lorsqu'un militant ou moudjahid est arrêté, il lui est demandé de résister vingt-quatre heures avant de révéler ce qu'il sait. Il revient à ses camarades de prendre les mesures nécessaires pour changer de cache, d'itinéraire et de plan. Qu'on cesse d'entretenir le mythe des surhommes au risque de compromettre la dimension humaine qui fait de la révolution algérienne l'une des plus illustres du vingtième siècle. A. G.