Par Jeff (Enfant de la Casbah) «Tout ce qui s'est fait de grand dans le monde s'est fait au cri du devoir ; tout ce qui s'y est fait de misérable s'est fait au nom de l'intérêt». H. Lacordaire Après avoir gardé un silence assourdissant quasi un demi siècle durant, Madame DRIF épouse BITAT sort soudainement de sa sérénité sénatoriale pour fustiger le système qu'elle a contribué à sa consolidation. Il existe quelqu'un de pire qu'un bourreau, son valet. C'est en acceptant ce statut vous acquiescez votre rôle de domestique auprès d'un système qui n'avait cure de votre personne ; que le souci d'utiliser votre nom comme label commercial. La sincérité comme la vérité n'y sont plus celle de la révolutionnaire que l'Algérie ait connue. Coupée des réalités sociales, le système vous a emprisonné dans sa citadelle en prenant soins de vous offrir avantages et privilèges. C'est de cette forteresse sénatoriale que vous interpelliez un premier ministre de façade, un exécutant surtout des sales besognes, sur la manière lamentable de gestion des richesses du pays. Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Les algériens crient leur douleur, pleurent leur malheur, mais point d'oreilles aux doléances. Les responsables du pays, feutrés dans leur univers microcosmique, ont perdu les sens de la vision et de l'écoute mais apprécient les bons goûts des plaisirs de la vie. « Il n y a point de soleil pour les aveugles ni de tonnerre pour les sourds, s'ils ne veulent pas en croire aux autres » nous enseigne l'adage populaire. Avez-vous oublié ce que vous étiez ? Une fille du peuple pour devenir une femme du système, illégitime de surcroît. Quel était le sacrifice de tout un peuple face aux privilèges d'une bande de prévaricateur ? C'est un enfant de la Casbah qui s'adresse à vous en toute humilité. Quand l'esprit perd ses repaires dans les méandres de la vie, il doit retrouver sa source du départ afin de marquer ses pas. De même les fleuves retournent à la mer, les dons de l'être reviennent à lui. Il est temps de revenir vers soi, vers ce qu'on était réellement. Autant l'algérien apprécie, et reconnaît, le sacrifice consenti durant la lutte de libération, autant il dénigre l'attitude de ceux qui ont spolié sa dignité dans un monde libéré. « La révolution et les révolutionnaires, il faut les examiner de très près et les juger de très loin » disait Simon bolivar La source de notre mémoire, Madame DRIF, une date et un lieu : 8 octobre 1957 ; 5 rue des Abderames à la Casbah. Une rue perpendiculaire à la Rue porte neuve. Cinq algériens préféraient mourir pour la patrie que de se rendre à l'ennemi et courir le risque de dénoncer leurs frères sous la torture du commandant Aussaresse alias « commandant O » et du lieutenant Schmitt. Pour rappel, ce dernier est devenu chef des forces armées Françaises et rendra visite officielle à Alger en 1995 pour être reçu avec honneur par le Général LAMARI « alias sergent Garcia » chef d'état major de l'armée algérienne mais aussi ancien sergent de l'armée française et qui a reconnu avoir participé à la bataille d'Alger dans l'hebdomadaire le Point. En réalité, il n'a fait qu'accueillir son ancien supérieur hiérarchique comme au beau vieux temps. Parfois, la vie nous réserve de saugrenues circonstances. Certes, votre destin et celui du sergent Garcia part d'un point de départ opposé mais se rencontre dans le monde de l'aisance et des privilèges de l'Algérie indépendante ; l'Algérie utile. Mon intervention s'adresse à vous Madame Zohra, fille d'une famille aisée et instruite mais qui a préféré sacrifier son avenir pour sa patrie. Tout était à votre honneur. On est en 1956 quand vous vous êtes fait recruter par le réseau Algérois de Taleb Abderrahmane dans le milieu estudiantin. Les Paras de Bigeard se sont empressés de recomposer votre journal écrit par vos soins sur un cahier déchiré en petit morceau juste avant votre arrestation dans votre cache au 3 rue Caton à la casbah. Son contenu, collé, y figure jusqu'à nos jours dans les archives de l'armée française. Cinq algériens hantent vos nuits pour ne pas avoir le courage, voire le même destin ; mourir comme eux en Martyr. Amara Ali « alias Ali Lapointe » mais aussi le petit Omar, Omar Yacef n'avait même pas atteint la puberté il faisait déjà son devoir de coursier entre les différents groupes actifs à la Casbah et notamment entre BENMHIDI et Yacef. Ensuite, Hassiba Benbouali à la fleur de sa jeunesse refusa de sortir de la cache avec le jeune Mahmoud Bouhamid qui venait juste de se marier. L'appel au sacrifice était plus fort que celui de la capitulation. Habités par la peur du démantèlement de l'ensemble des groupes actifs restant, les cinq martyrs se sacrifièrent pour que la flamme de la lutte pour l'indépendance continue jusqu'à son terme. Plus qu'un engagement, nos cinq martyrs se sont fait serment authentique tel prescrit par notre religion de mourir pour la patrie. Mesurez vous aujourd'hui leur sacrifice ? Avez-vous tenu le serment de vos frères et sœurs Martyrs, qu'une fois l'Algérie recouvre son indépendance, les algériens vivront librement mais aussi dans la dignité ? Faites la comparaison, Madame Drif, entre les sacrifices du peuple et ses acquis actuels ? Il serait impossible de comparer l'incomparable. La balance s'inclinerait forcement du côté de la logique de l'histoire car son poids est réel. Et vous, vous situerez dans l'autre versant de la balance qui n'a pas du poids dans cette histoire factice qu'on doit désormais réécrire. Qu'avez-vous fait une fois l'indépendance acquise ? Avez-vous continué le combat des libertés, toutes les libertés pour le peuple algérien ? Vous vous êtes inséré dans un système quasi identique à celui que vous avez combattu. Vos anciens ennemis vous ont légué les structures, mais aussi la manière de faire, et la mentalité qui y sied. Ayez le courage de dire aux algériens à qui appartenait, durant la colonisation, la maison que vous avez toujours occupé avec votre mari monsieur Bitat. Vous vous êtes rendus au système de prédation de l'Algérie indépendante comme vous vous êtes rendus aux Paras de MASSU au 3, rue Caton, sans tirer un coup, les mains en l'air alors que vous étiez armés. Comble de l'ironie, votre arrestation fut filmée et archivée à l'INA. Les Paras de MASSU n'ont pas eu le privilège de filmer les martyrs de la rue des Abderrames. En contraire, pour se faire une conviction de la mort d'Ali La pointe, ils se sont empressés de ramener son frère Mohammed d'une prison pour la reconnaissance des corps. Il a reconnu son frère par le tatouage de son pied droit ramassé parmi les débris. Quand on n'a pas le courage de marquer l'histoire on ne doit pas s'ériger en donneur de leçon. Notre histoire, vous l'avez réellement perverti, vous et votre ami Yacef Saadi coproducteur du film la bataille d'Alger, en présentant Ali Lapointe comme ancien proxénète. Ce qui a donné l'occasion à l'écrivain tunisien, Toufik Benbrik, d'insulter notre Martyre en le traitant de personnage d'un Roman : un proxénète qui devient chahid ? Ensuite, dans le livre mémoire de votre ancien codétenu et actuel sénateur, comme vous du tiers présidentiel du régime illégitime, d'accabler Omar Chergui comme le délateur de votre cache à la casbah. Souvent, comme on dit : les absents sont assassinés à coups de langue. L'histoire parlera tôt ou tard et le rôle des uns et des autres serait défini pour les générations futures. Vous et Yacef Saadi, n'ayant jamais été torturés à la suite à votre arrestation, comme le mentionnait le criminel Aussaresses dans son ouvrage, donc épargnez-nous l'argument victimaire. Mais, il faut le reconnaître, vous avez amplement profité des largesses de votre indépendance. Car, il s'agit uniquement de la vôtre. La notre fut une formalité administrative avec moins de liberté et plus de marginalisation et d'exclusion dans votre Algérie utile. La vôtre uniquement. La nôtre reste à venir, le futur nous appartiendra. Il y a une grande similitude entre vos pratiques et celles du colonisateur. Vous avez, en tout état de cause, remplacé les anciens colonisateurs comme le décrit savamment Maître Verges dans son ouvrage « à mes amis algériens devenus tortionnaires». Il dit la phrase suivante : « la maladie des âmes se transmet par les fesses. C'est en s'asseyant sur les chaises des colons que vous avez remplacé, que vous avez acquis leur mode de pensée, leurs attitudes, leur manière de gouverner ». Hélas cette pathologie des âmes n'a pas de remède Madame Drif. Elle devient chronique pour ceux qui ont perdu leur dignité. Votre système de valeur n'est plus immunisé pour s'ériger en donneur de leçon, n'en parlant pas de l'histoire qui vous a exclu. Savez-vous que le frère d'Ali LAPOINTE vit dans la misère et n'arrive même pas à se soigner à Miliana ? Sa sœur n'a pas une situation réjouissante à Bouzaréah. Vous avez renié ce que vous étiez : une fille du peuple pour devenir une femme du système. On ne peut pas prétendre défendre des principes après les avoir enterrés quasi un demi-siècle durant. Les remords viennent souvent après les reniements. Ce n'est pas le poids de l'âge, ni la mort qui s'approche à grands pas, qui vous procure la force de critiquer le système dont vous avez bénéficié à satiété de ses largesses. Mais le souvenir de vos compagnons de lutte qui vous habite, car eux n'ont pas survécu pour voir leur pays mourir à petit feu. Sachez que le souvenir est le seul paradis dont nous ne puissions être expulsés. Le sacrifice de nos martyrs vous taraude en fin de vie. Nos martyrs demeureront immortels, pour l'éternité. Vous l'avez connu, Ali La pointe portait des tatouages sur son corps : sur le téton gauche, donc coté cœur, “Marche ou crève” et sur le dessous de son pied droit : “Tais-toi”. Donc : taisez vous madame DRIF une fois pour toutes, vos vociférations dérangent nos morts.