Faut-il s'attendre à une guerre du gaz qui affecterait toute l'Europe ? C'est la crainte du premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk. Ce dernier, en refusant, samedi dernier, la hausse de 80% des prix du gaz imposée par Moscou, a agité le spectre d'une nouvelle «guerre du gaz» qui pourrait mettre en danger les approvisionnements européens, en disant s'attendre «à ce que la Russie restreigne ou stoppe les livraisons de gaz» à l'Ukraine. Dans le passé, dans un climat moins électrique qu'aujourd'hui, la Russie n'a pas hésité à couper le gaz à l'Ukraine en plein hiver, en 2005-2006 et 2009-10, et par la même occasion le flux d'exportation vers l'Europe, encore très dépendante de la Russie en la matière. Gazprom, le géant gazier russe souvent accusé d'être un bras armé du Kremlin, fournit ainsi environ le tiers des approvisionnements de l'Union européenne, qui a, une fois de plus à l'occasion de l'actuelle crise, affiché son intention de réduire cette dépendance. Et près de 40% de ce gaz transite via l'Ukraine. En rejetant la hausse de 80% des prix du gaz, Kiev a menacé de traîner Moscou devant une cour d'arbitrage. La Russie a annulé cette semaine coup sur coup deux ristournes accordées à l'Ukraine sur ses livraisons gazières, dont Kiev est très dépendant. En 72 heures le prix en est ainsi passé de 268 à 485 dollars les 1 000 mètres cubes, un des plus élevés en Europe. Le président du groupe énergétique russe Gazprom, Alexeï Miller, exige que l'Ukraine rembourse 11,4 milliards de dollars correspondant aux ristournes de ces quatre dernières années qui viennent d'être annulées. «La Russie a échoué à s'emparer de l'Ukraine par l'agression armée. Elle lance maintenant le plan pour s'emparer de l'Ukraine par l'agression gazière et économique», a tonné le Premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, lors d'un conseil des ministres. Le chef du gouvernement ukrainien sonne ainsi l'alarme au moment où les ministres des Affaires étrangères de l'UE achevaient à Athènes une réunion informelle consacrée en grande partie à la crise ukrainienne. A l'issue de la réunion d'Athènes, la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, a de nouveau appelé Moscou à «s'engager dans la désescalade» en Ukraine et a réaffirmé que l'UE était prête à imposer de «nouvelles sanctions», notamment d'ordre économique, si la crise s'aggravait. Plusieurs ministres présents ont mis en garde Moscou sur le risque d'un effondrement économique ou politique de l'Ukraine, alors que la Banque mondiale vient de réviser ses prévisions sur l'Ukraine, prévoyant une récession de 3% pour 2014 suite notamment à l'augmentation-sanction du prix du gaz russe. «La Russie a tout intérêt à ce que l'Ukraine ne s'effondre pas sur les plans économique comme politique», a affirmé le chef de la diplomatie allemande, Frank-Walter Steinmeier, en marge d'une réunion informelle avec ses homologues de l'UE à Athènes. La chancelière allemande, Angela Merkel, a été beaucoup plus virulente dans le discours, en menaçant la Russie de nouvelles sanctions, économiques cette fois-ci, en cas de nouvelle atteinte à «l'intégrité de l'Ukraine». «Si la main était de nouveau portée sur l'intégrité territoriale de l'Ukraine, nous devrions procéder à des sanctions économiques», a déclaré Mme Merkel, à l'occasion de la réunion de son parti conservateur CDU pour définir leur programme des élections européennes. La chancelière a affirmé que «personne ne devait se tromper» sur la capacité des pays européens à se mettre d'accord sur de telles mesures. Après s'être emparée le mois dernier de la Crimée à l'issue d'un référendum non reconnu par l'Ukraine et les Occidentaux et avoir massé des dizaines de milliers de soldats aux frontières de l'Ukraine, la Russie a désormais initié des pressions économiques, en doublant quasiment le prix du gaz livré à son voisin. Arseni Iatseniouk a enfin de nouveau évoqué la possibilité de négociations, notamment mardi à Bruxelles, avec des partenaires européens -Slovaquie, Pologne, Hongrie- pour qu'ils rétrocèdent à l'Ukraine une partie du gaz qu'ils reçoivent à des prix inférieurs à ceux désormais facturés à Kiev. Mais la Russie risque de ne pas apprécier un tel arrangement. Le patron de Gazprom a d'ailleurs averti, vendredi dernier, à la télé russe les pays tentés de faire «très très attention à la légalité» d'une telle décision.