Photo : Riad C'est dans la pénombre de la cage d'escalier d'une cité populaire de Aïn Naadja que Mohamed, Mourad et leurs potes ont pris l'habitude de se retrouver aux premières heures de la nuit. Ici, loin de l'ambiance mondaine et électrique des restaurants et des clubs chics de Sidi Yahia ou du Sheraton et du Hilton, des adolescents âgés de 14 à 16 ans tentent de faire de leur soirée de week-end un moment plus au moins agréable. «On n'a rien à faire. On se donne rendez-vous ici le soir et on part jouer au baby-foot à la cité d'en face. Quelquefois, on se fait des parties de playstation. Mais sinon, c'est toujours la même routine», confie Mourad, 15 ans, dont les frustrations se mesurent au nombre des cigarettes qu'il a décidé de griller au cours de la soirée. «Le demmar n'a pas d'âge» «Allah ghaleb, je sais que fumer est dangereux pour la santé, mais la cigarette est ma seule véritable copine. Elle me soulage. Et puis j'ai l'impression que je suis un vrai adulte en fumant. Je me sens mieux ainsi dans ma peau», tente de justifier un jeune adolescent. Mohamed, 16 ans, quant à lui, sort spontanément des poches de son pantalon un paquet de clopes, teinté de rouge et blanc. «J'ai commencé à fumer dès l'âge de 13 ans. Avec le temps, c'est devenu banal. Au lycée, tous mes amis ont commencé à fumer au collège. Je ne connais pas quelqu'un dans mon entourage qui ne fume pas», affirme-t-il sur un ton péremptoire. En quelques tours de mains, c'est toute la clique qui se met à flirter avec les clopes. «Chriki, file-moi encore une autre», crie-t-on encore de part et d'autre. La soirée ne fait que commencer et le tabac rythme d'ores et déjà les palpitations de nos jeunes adolescents. Mineurs et fumeurs, ces «ados» l'assument sans le moindre complexe. Et comme se plaît à dire Mohamed, «le demmar n'a pas d'âge». Confortés dans leur refuge tabagique, ces ados confirment n'hésiter devant rien pour se procurer leur maîtresse incontournable, la cigarette. «Il y a l'argent de poche que mes parents me donnent. Parfois, je pique quelques cigarettes à mon père. Comme tout le monde, j'ai ramassé des mégots dans la rue. Une fois, un voisin m'a vu et m'a dénoncé à mon père, qui m'a sévèrement puni. Depuis, je suis plus discret», raconte le petit Mourad, sans état d'âme. Des adolescents comme Mohamed, Mourad et leurs amis, sont de plus en plus nombreux en Algérie. En tout cas, les experts sont unanimes : les mineurs algériens sont largement exposés aux périls du tabagisme. C'est ce que révèle une récente étude scientifique sur la prévalence du tabagisme chez les jeunes de moins de 18 ans. L'étude a démontré que près de 40% des fumeurs en Algérie sont des mineurs. Un pourcentage assez élevé, soulignent les experts, ce qui reflète l'ampleur dramatique de ce fléau en milieu des jeunes. Ainsi, cette étude, exposée lors du premier congrès euro-africain sur les maladies d'asthme, d'allergie et d'immunité clinique, indique que plus de 40% des jeunes Algériens âgés entre 13 et 18 ans ont déjà fumé. Le congrès, qui s'est tenu l'été dernier à Alger, a vu la participation de nombreux pays africains, européens ainsi que l'intervention d'éminents spécialistes algériens sur les dangers du tabagisme, particulièrement chez les mineurs. A ce propos, les spécialistes ont tiré la sonnette d'alarme sur le risque de mortalité induit par des troubles cardiaques et des difficultés respiratoires. Aussi, ces fumeurs mineurs encourent également le danger de contracter un cancer des poumons qui mettra leur vie en péril. La sensibilisation fait défaut Malheureusement, le manque de sensibilisation constitue la cause principale de l'augmentation du nombre de fumeurs parmi les mineurs en Algérie, relève-t-on. Dans ce chapitre, les intervenants évoquent l'importance de l'adoption d'une stratégie de lutte efficace contre le tabagisme, fondée sur le principe de prévention par la sensibilisation de la société civile, sur les périls de cette dépendance funeste qui tue annuellement, rappelons-le, près de 15 000 personnes en Algérie. Les spécialistes ont indiqué, d'autre part, que la majorité des fumeurs commencent à fumer entre 15 et 24 ans. Pour rappel, une étude de la Forem, effectuée au cours de la première quinzaine de mai 2006, portant sur un échantillon de 1 370 élèves, a montré que le tabagisme en Algérie toucherait 8% des jeunes de moins de 12 ans. De cette étude, il ressort également que 77% de ces enfants déclarent bénéficier d'argent de poche de leurs parents pour s'acheter des cigarettes, et 13% disent se débrouiller autrement pour s'en procurer. Cette enquête de la Forem démontre que 15% des enfants interrogés ignorent la relation entre la consommation de tabac et la consommation de drogue. Ce constat amer explique largement le passage de ces mineurs vers la toxicomanie, fléau encore plus dangereux et plus destructeur.