Un journal arabophone algérien, bigot et hypocrite, mais commercialement cynique, a titré «énssomo ramdhane ounaghalbou l'Allemagne». Cette formule fanfaronne veut dire que le jeûne du Ramadhan ne serait pas pour les Verts d'Halilhodzic un obstacle dirimant pour battre la Mannschaft de Joachim Löw. Manière de dire que les Fennecs algériens boufferaient les Aigles allemands même le ventre vide ! Cette provocation insolente a néanmoins le mérite de se focaliser sur le rapport entre carême et performance, abstinence et endurance sur un terrain de confrontation sportive, surtout en période de grande compétition internationale. Le problème se pose donc pour tous les joueurs musulmans encore en lice au Mondial brésilien. Avec plus d'acuité pour les deux équipes musulmanes et africaines qualifiées pour les huitièmes de finale, l'Algérie et le Nigeria. Être à la diète ou, pis encore, parfaitement à jeûn le jour d'un match crucial pour le devenir d'une sélection en Coupe du Monde, constitue-t-il pour autant un handicap sérieux ? Ou bien comme le croient des footballeurs très à cheval sur le respect du dogme religieux, la privation stricte serait-elle, au contraire, une source de motivation psychologique supplémentaire ? Le débat n'a jamais été tranché. Il fait actuellement rage dans les colonnes des gazettes et enflamme le Web. Il constitue surtout un casse-tête chinois pour les sélectionneurs qui savent à quel point la question est délicate et relève de l'intime conviction des concernés. Imams, exégètes et jurisconsultes ne savent plus eux-mêmes à quel saint se vouer à ce sujet. Les joueurs jeûneurs aussi qui sont divisés entre ceux qui feront le Ramadhan et ceux qui le «mangeront», à charge pour eux de faire un jour un carême de compensation. Même une fatwa en bonne et due forme ne trancherait pas une question relevant de la conception qu'ont les uns et les autres de la pratique religieuse. D'ailleurs, les religieux algériens, pourtant tous de rite malékite, ont émis à ce propos des avis divergents. Pour l'oulémiste Mohamed Mekerkeb, un match de football, même une rencontre de Coupe du Monde, relève du jeu et rien que du jeu. En aucun cas des contraintes majeures autorisant l'irrespect exceptionnel de l'obligation de jeûner. A l'opposé, Cheikh Mohamed Chérif Kaher, président de la Commission des fatwas du Haut Conseil islamique, estime, lui, que les footballeurs algériens peuvent s'abstenir de jeûner, le contexte propre à un match de haute intensité physique dispensant de facto de l'observance stricte de la loi coranique. Même les médecins algériens sont divisés sur la question tout en étant d'accord sur les conséquences physiologiques de l'abstinence. Aux yeux du Dr Yacine Zerguini, membre algérien de la Commission médicale de la Fifa, les joueurs peuvent observer le Ramadhan, sous réserve d'adapter leur régime alimentaire en terme de niveau de nutrition, de qualité et d'horaires de prise des aliments. Soit. Il leur faudrait donc s'adapter à l'exercice physique, surtout mieux s'hydrater. Encore plus, allonger la durée de la sieste avant match pour mieux récupérer une partie du temps de sommeil perdue de la nuit en raison du shor, le repas nocturne de résistance. Autre voix autorisée en la matière, le Dr Hakim Chalabi, médecin algérien, lui aussi membre de la Commission médicale de la Fifa et ex-médecin attitré du PSG, n'a pas un avis tranché. Il souligne néanmoins les risques accrus de blessures en période de Ramadhan, notamment au niveau des lombaires, des articulations et des muscles. Ces risques sont favorisés encore plus par la déshydratation, sachant que les rencontres se déroulent en période estivale. Les deux spécialistes sont néanmoins d'accord sur le «paradoxe du carême». Curieusement, et l'expérience l'a montré, il y a des sportifs qui ont de meilleurs résultats durant le mois sacré, parce que le jeûne est fortement désiré et nullement imposé. Il peut même se transformer en béquille spirituelle et en levier psychologique. Comme quoi, il ne faudrait toujours pas chercher des réponses dans le fonctionnement complexe du métabolisme humain, mais parfois dans l'alchimie du mental. Comme quoi, footeux d'Algérie qui allez affronter la Kolossal Allemagne, faites le Ramadhan et Allah y pourvoira ! Mais comme Dieu n'a rien à voir avec un ballon qui roule sur le gazon, les Fennecs, fort heureusement, auront d'autres arguments techniques, tactiques, physiques et psychologiques à faire valoir. Avec, en plus, un supplément d'âme, un complément de cœur et un additif de volonté. Surtout une rage de vaincre pour marquer encore plus l'histoire du foot et la légende du sport algérien. Et, après avoir détruit le Mur de Berlin, s'offrir le droit de rencontrer éventuellement, le 4 juillet, à la veille du jour de l'indépendance nationale, l'équipe de France. Et, qui sait, refaire, à rebours historique, le fameux «coup d'éventail» d'avant 1830. Mais, cette fois-ci pour ce qui concerne les Algériens, avec les pieds et la tête. N. K.