Après une comédie burlesque Mascarades le réalisateur franco-algérien Lyes Salem durcit le ton avec l'Oranais son second long-métrage projeté en avant-première hier matin à la salle El Mouggar. D'une durée de 128 minutes ce film coproduit par Dharamsala, Leith Medias et l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel est, et d'après le réalisateur «une fresque dramatique à fort caractère politique», une œuvre qui raconte l'évolution de trois potes ayant connu les affres de la Guerre de libération, mais aussi l'euphorie de l'indépendance. Ecrit par Lyes Salem, le scenario raconte l'histoire de Djaffar dit l'Oranais, un jeune homme embarqué dans la guerre presque malgré lui. Aux côtés de ses amis Hamid et Farid, Djaffar mène la guerre et revient chez lui en héros. Cependant, lors de son retour il prend connaissance du drame qui s'est abattu sur sa famille. En effet, suite à la mort d'un garde-champêtre français, le fils de ce dernier accuse Djaffar et se venge en violant son épouse Yasmine. Cette dernière tombe enceinte et donne naissance au petit Bachir. En l'absence de Djaffar qui était au maquis la jeune femme se laisse mourir de tristesse. Blessé dans son orgueil, l'Oranais encaisse le coup et accepte Bachir comme son fils. Il se lance dans l'industrie et devient patron d'une grande société de fabrication de bois. Pour sa part, Hamid qui a défendu la cause nationale à travers le monde, épouse une Américaine et devient un homme politique fort influent au sein du parti unique. Farid quant à lui, reste dans l'ombre et craint de tremper dans les affaires douteuses de Hamid. Farid sera d'ailleurs liquidé par les services secrets. Désormais l'Algérie est indépendante, tous les excès sont permis pour certains tandis que la misère gagne le pays, l'appétit du pouvoir finit même pas aveugler Hamid. C'est en racontant l'histoire de ces trois hommes, dont l'amitié a éclaté, que Lyes Salem a voulu porter au grand écran un certain échec en la reconstitution de l'indépendance algérienne. En effet, en cette période où les perspectives étaient énormes, beaucoup se sont laissé emporter par les délices de la vie et du pouvoir oubliant même les valeurs pour lesquels ils se sont battus. Néanmoins Lyes Salem ne porte aucun jugement sur les personnages fictifs et encore moins les condamne «ce sont des gens qui ont eu à faire des choix dans leurs vies», dit-il. Le film se penche aussi sur l'histoire assez ambiguë de Djaffar avec son fils Bachir qui ne cesse de poser des questions sur son origine jusqu'au jour où la vérité éclate. Film coup de poing, l'Oranais est une œuvre qui s'est intéressée à des thèmes jusque-là occultés de notre histoire comme la corruption, la forte influence des gens du parti unique, les services secrets et d'autres thèmes épineux. Le réalisateur qui ne cherche guère la provocation a affirmé vouloir répondre à des questions sur notre identité et de se réapproprier la mémoire. Réunissant Lyes Salem qui a crevé l'écran dans le rôle de Djaffar, Khaled Benaïssa dans le rôle de Hamid, Djamel Mebarek et Amel Kateb, le film s'est carrément offert un casting d'enfer. Côté distribution des rôles le réalisateur a vraiment assuré. Les comédiens ont tous, et sans exception, garantis une performance hors normes, ce qui est assez rare à voir. Très beau film, l'Oranais est une œuvre qui corrige pas mal d'idées fixes et bouscule l'image qu'ont certains de l'Algérie. W. S. M.