Mohamed Rahmani Malgré les aménagements et les équipements mis à disposition par le ministère de la Santé, les services des urgences dans la wilaya de Annaba ne sont pas en mesure de répondre au flux de patients, qui arrivent d'un peu partout et même des autres communes et wilayas limitrophes. Une virée du côté des urgences de nuit du CHU Ibn Rochd renseigne sur l'état des lieux de cet établissement censé prendre en charge les personnes en situation d'urgence. Il est 19 heures, la petite cour est noire de monde, des agents de sécurité débordés essayent tant bien que mal de dégager un passage pour les ambulances qui arrivent. Des voitures de particuliers garées n'importe où et n'importe comment, des conducteurs dont le civisme n'est pas le fort font la sourde oreille et ne veulent pas déplacer leurs véhicules, des cris, des gesticulations, des disputes... À l'entrée du service, une chaleur étouffante et des odeurs de sueur sont à l'accueil, des téléphones mobiles qui sonnent, des gens qui crient dans l'appareil sans aucune retenue et l'on entend même des termes que l'on ne peut citer dans ces lignes. Les couloirs sont archicombles, on arrive difficilement à se frayer un passage. Des patients sur des brancards ou des lits mobiles, certains sont assis à même le sol et se tordent de douleur attendant que l'on daigne s'occuper d'eux. La salle de consultations où deux médecins femmes prennent en charge les patients est exiguë. Ces derniers s'y bousculent. Aucune intimité pour les patients, pas d'agents de sécurité pour organiser les consultations, les malades sont obligés de tout dire devant tout le monde et parfois de dénuder une partie de leurs corps pour montrer de quoi ils souffrent. Un hurlement dans le couloir fait sursauter tout le monde, un jeune sur un brancard, le pied droit tout retourné, (une rotation de 180°) se tord de douleur. «Il s'agit d'un accident de moto, nous dit un parent de la victime, il a très mal et ne peut plus supporter la douleur.» Après la consultation, on l'emmène à la salle de radiologie n°1. Là, le couloir y menant est noir de monde, chacun attendant son tour. «Je suis là depuis 18h et mon fils n'est pas encore passé, à chaque fois on ramène un cas urgent comme celui de l'accident de moto. Je ne serais pas venu ici si la radio de Sid Amar, ou celle d'El Hadjar, fonctionnait. Mon gosse qui a 16 ans, a fait une chute en jouant au ballon avec ses camarades vers 17 heures à Sid Amar, à l'Etablissement de proximité de santé publique (Epsp) on nous a orientés sur l'hôpital d'El Hadjar, mais, là aussi, on nous a signifié que la radio est en panne et qu'il faut s'adresser aux urgences de l'hôpital Ibn Rochd. Pour éviter tout cela, je l'ai emmené dans une clinique privée à la cité Safsaf, la clinique El Djazair, là on me dit que l'opérateur ne travaille pas le soir et qu'il faut l'emmener à Ibn Rochd. Je l'ai pris à la clinique Les Jasmins à l'autre bout de la ville, du côté de la baie des corailleurs, mais là aussi on m'oriente vers le même hôpital avec les mêmes explications et je me retrouve ici après avoir cavalé pendant 2 heures sans pour autant faire cette radio. C'est incroyable comme vous voyez c'est tout Annaba qui se déverse ici, je crois que je vais rentrer et revenir demain, pourvu que ce ne soit pas une fracture», nous a déclaré un citoyen qui nous a laissé ses coordonnées pour nous informer sur la situation de son fils, dont le poignet de la main gauche est enflé. La salle de radio n°2 située sur le même couloir est vide, la porte grande ouverte, un opérateur se roule les pouces assis sur une chaise attendant des patients. À la question pourquoi la deuxième salle n'est pas ouverte au public, une infirmière nous a répondu que la salle n°2 est réservée uniquement pour les radios en position debout (phtisiologie), pour les autres cas, c'est la salle n°1. Les patients s'impatientent, la colère gronde et certains commencent à s'agiter. «On fait passer des gens qui ne sont pas vraiment des cas urgents parce qu'ils ont des relations et nous, nous sommes ici depuis plus d'une heure, on ne peut pas accepter ça. Tout le monde doit attendre son tour», nous disent en colère deux jeunes accompagnant un malade, «il n'est plus question pour personne de passer avant nous, à chaque fois on ramène quelqu'un et on le fait passer». Sur ce, ils bloquent carrément l'accès et les agents de sécurité postés dans le couloir intervinrent pour essayer de rétablir l'ordre. Les 2 jeunes restèrent malgré tout devant la porte. Il faut dire que les aménagements et les équipements concédés par le ministère se sont avérés insuffisants, du fait que tout le monde afflue vers les urgences du CHU qui s'en trouve débordé malgré le semblant d'ordre qu'on a voulu imposer. Les communes limitrophes telles qu'El Bouni, Sidi Amar, El Hadjar, malgré les Epsp et l'hôpital d'El Hadjar doté des mêmes équipements, orientent les patients vers Ibn Rochd. Les hôpitaux régionaux d'El Tarf, de Guelma, de Souk Ahras et même de Tébessa envoient également leurs malades vers le CHU, qui se trouve obligé de les prendre en charge avec un personnel qui suffit à peine à satisfaire les populations locales. «S'il n'y avait que les patients de Annaba, on s'en sortirait aisément. Je ne dis pas ça pour exclure les autres citoyens qui arrivent des autres wilayas que nous sommes obligés de prendre en charge, mais avec cet afflux on n'arrive pas à faire face. Les équipements sont les mêmes et les personnels n'ont pas été renforcés. C'est pourquoi vous voyez tout ce monde», nous explique un médecin urgentiste. Jusque vers 22 heures, les urgences sont toujours aussi encombrées et la situation n'a pas changé et les patients affluent, qui a fait une chute qui a une crise d'asthme ou des coliques néphrétiques, des hypertendus, des diabétiques, des victimes d'accidents, tous se retrouvent au niveau des urgences attendant leur tour qui ne vient pas. Le parent du jeune garçon que nous avons contacté le lendemain, nous dit qu'il a dû emmener son fils dans un centre d'imagerie médicale privé pour la radio, car même le lendemain, la radio de Sid Amar était toujours en panne et celle d'El Hadjar n'avait pas encore été réparée. «Heureusement, nous apprend-il, mon fils n'a pas eu de fracture sinon qu'est-ce-que ça aurait été. C'est un vrai calvaire et il vaut mieux ne pas tomber malade, ou avoir un quelconque accident après 17 heures.» M. R.