Il ne se passe pratiquement pas une saison climatique complète sans que les autorités marocaines ne se rappellent qu'il faille faire quelque chose pour irriter l'Etat algérien et faire parler de lui sur la scène internationale. Le Makhzen, en vérité, bien ramassé sur l'ensemble du territoire marocain, derrière les services de la DST, ne prend à partie l'Algérie dans une «affaire» ou une autre que dans les situations où le royaume est face à la contestation populaire, qui décrie le régime de la monarchie absolue dans les villes et les campagnes, à travers toutes les couches sociales, surtout chez les jeunes - qui disent de l'Algérie «bled l'Ansej» pour exprimer une comparaison par rapport au mépris de l'autorité royale sur la population juvénile. Ou alors lorsque l'Etat algérien est sur la voie de résoudre une problématique qui concerne la région du Maghreb ou les régions subsahariennes. Une certaine presse marocaine inféodée au Makhzen, il y a quelques jours, fait état d'une «information exclusive» espérant une réaction de la part des confrères algériens pour donner du rebond à l'écho et, du coup, accorder de la valeur ajoutée à l'esprit de la rumeur, qui consiste à ré-exhumer les anciens différends territoriaux qui mettaient en conflit permanent le Maroc et l'Algérie. Le journal El Akhbar, propagandiste du gouvernement, rapporte dans son édition du mardi 14 octobre que «le royaume a récupéré des terres situées tout près de Jbel Ousfour à 15km d'Oujda, que le voisin de l'Est contrôlait depuis les années soixante». Ce quotidien ajoute que cette opération avait été réalisée peu avant l'Aïd El Kébir et elle aurait été menée sous la supervision de militaires français, en présence du ministre de l'Intérieur, Mohamed Hassad, et le chef de la gendarmerie, le général, Hosni Benslimane, ainsi que des représentants de l'Etat algérien, qui ne sont pas cités nommément, ni quels postes ils occupent dans leur «responsabilité», tandis que ce journal n'indique pas la nature de la présence des «militaires français» sur le lieu, ni par quel processus d'entente maroco-algérienne ils ont été habilités à «superviser» la démarche imaginée. El Akhbar sait qu'aucun communiqué officiel de part et d'autres des deux frontières n'existe pour commenter cette invention car son intention et ses visées sont destinées d'une part à l'opinion locale, histoire que les populations marocaines qui le lisent interprètent l'«information», d'une part, comme une victoire de l'autorité de Rabat sur l'intégrité du royaume et, d'autre part, comme une sorte de démonstration du retour à la raison des dirigeants algériens reconnaissant leur tort à propos de tout ce qui tourne autour de la question des frontières. Si on se rappelle, les frontières ont été fermées au lendemain de l'attentat meurtrier contre un hôtel touristique à Marrakech en août 1994. Que les autorités marocaines immédiatement font apparenter aux services du renseignement algériens, «pour internationaliser le conflit algérien et forcer les gouvernements des pays avoisinants à leur propre position avec les responsables algériens en charge de la lutte contre les islamistes armés», disaient à l'époque les porte-paroles du Makhzen. Mais depuis, l'acceptation de la réouverture des frontières reste tributaire de la reconnaissance par Rabat de sa méprise concernant l'origine de l'attentat de Marrakech. L'Algérie maîtrise l'usage sain de ses troupes Mais voici alors arriver un épisode - qu'on ne peut pas dire imprévisible- dans lequel le régime monarchique décide d'en arriver à la confrontation diplomatique avec son voisin de l'Est. Les autorités marocaines affirment que l'armée algérienne dans les frontières communes à proximité d'Oujda, samedi passé, aurait ouvert le feu sur des ressortissants civils marocains et en a blessé gravement un à la tête. Le gouvernement marocain, considérant l'incident grave s'indigne et demande des explications aux autorités algériennes avant que l'ambassadeur algérien ne soit convoqué à Rabat. Le ministre de l'Intérieur marocain, l'inamovible Mohamed Hassad, pour sa part, a demandé à ce que l'auteur des tirs soit traduit en justice. «En visant l'œil et le nez de la victime, le soldat algérien avait l'intention de tuer le citoyen marocain», a affirmé ce responsable en ajoutant qu'il ne s'agissait pas d'un acte isolé. Et il le dit comme s'il était présent à l'endroit de l'incident et qu'il ait vu de ses propres yeux le garde-frontière algérien, l'arme sur l'épaule et la pupille dans le viseur. Dans les scenarii de ce genre pour tenter d'inculper d'une manière ou d'une autre l'entité de l'autorité algérienne on risque de vivre les absurdités les plus inimaginables. La réalité, et c'est écrit sur un rapport des autorités sur les lieux, est que des ressortissant marocains se sont mis à lancer des cailloux dans la direction du personnel algérien des garde-frontières en se regroupant en face et que pour les disperser les fonctionnaires ont eu recours à des tirs de sommation en l'air, sans toucher quiconque. Pour reprendre le terme du porte-parole du MAE, M. Abdelaziz Benali Chérif, les incidents de ce genre, où les soldats ou agents surveillants de frontières usent de leurs armes en l'air pour dissuader les rôdeurs, arrivent partout dans le monde. Mais même au cas où. C'est-à-dire qu'effectivement un agent des frontières ait eu la folie de viser un ressortissant marocain. Est-ce la manière civilisée de réagir ? D'ameuter les médias et les réseaux sociaux du Net - avec des montages vidéos- jusqu'à en faire une affaire diplomatique, voire d'Etat, par la convocation de l'ambassadeur ? Alors que l'ensemble des pays de la région, les Etats de l'Union européenne et toutes les grandes nations du monde savent qui est le principal bénéficiaire des frontières algéro-marocaines et qui est à l'origine de la zizanie dans cet environnement frontalier. Le monde entier sait que l'essentiel du kif traité marocain, en milliers de tonnes, transite par l'Algérie via l'Europe et l'Asie, voire l'Amérique, par les voies maritimes de l'Afrique de l'Ouest en passant le delta du Niger. Et on ne lutte pas contre ce fléau en commençant par tirer un coup de feu sur le nez d'un Marocain. Encore moins pour dresser une barrière aux millions d'hectolitres de carburant qui quittent l'Algérie pour aller alimenter les besoins motorisés marocains. Lorsque l'Algérie met en place des installations militaires à ses frontières de l'Est et du Sud, c'est pour prévenir ou freiner quelque velléité islamiste périlleuse, dans l'intérêt de toute la région - y compris quand elle se place en médiatrice pour traiter de la question du Mali ou de la Libye- même du Maroc, qui possède toute la latitude gratos de la vigilance algérienne sur des centaines de bornes pour la préservation de ses territoires. Mais Rabat n'accepte pas qu'Alger ait tout le temps une longueur d'avance sur lui en matière d'initiative stratégique. Il ne comprend pas que l'Algérie possède une expérience démontrée dans l'usage sain de ses troupes. N. B. Le ministère des Affaires étrangère réagit Dans un communiqué officiel du ministère des Affaires étrangères, l'Algérie a énergiquement rejeté la présentation par les autorités marocaines de l'incident qui s'est produit samedi dernier dans les frontières algéro-marocaines, prenant à partie des garde-frontières algériens. «Le ministère des Affaires étrangères rejette catégoriquement la présentations fallacieuse d'un incident survenu le 18 octobre courant à la frontière algéro-marocaine ainsi que l'exploitation politico-médiatique abusive qui en est faite par la partie marocaine», affirme le communiqué. «La réalité est qu'une patrouille de garde-frontières qui a été ciblée ce jour-là par des jets de pierres lancés par un groupe de contrebandiers marocains, a réagi d'une manière professionnelle, comme d'habitude, par deux tirs de sommation en l'air, qui ne peuvent en aucune manière provoquer des blessures à l'une quelconque des personnes engagées dans l'actes de provocation. La manipulation des faits et l'escalade dans le discours des autorités marocaines à des fins, pour le moins inavouables, témoignent d'une attitude irresponsable qui ne sied point aux valeurs de fraternité et de bon voisinage qui lient les deux peuples», ajoute le communique avant de souligner que l'Algérie, qui «déplore la propension de certains dirigeants marocains à travestir la vérité, rejette, encore une fois, le recours à ces méthodes provocatrices au moment où le contexte international et régional exige une relation sereine et constructive ainsi que la retenue dans les actes comme dans les propos. Cette inclination de la partie marocaine à détériorer délibérément le climat des relations bilatérales ne sert ni ses intérêts bien compris ni ceux des peuples de la région».