Les Tunisiens sont appelés aux urnes pour choisir un nouveau Président. L'odeur voluptueuse du jasmin s'est estompée. La belle révolution n'est plus qu'une page de l'histoire récente de nos voisins de l'Est. L'enthousiasme né de la chute du régime de Ben Ali a laissé la place à une bipolarisation qui ne dit pas son nom. La victoire des islamistes d'Ennahda s'est vite émoussée face à la complexité de la tâche gouvernementale. La récession économique a fait revenir les anciens bourguibistes, devenus «rcdistes» avec Ben Ali, au pouvoir. Les Tunisiens semblent lassés de l'inexpérience des nouveaux partis. Le retour des hommes liges du régime anté-révolution est un signe, non du rejet des autres forces politiques, d'un besoin immense d'un retour à la stabilité. Qui mieux que Béji Caïd Essebsi pouvait incarner ce retour à l'ordre et à la croissance économique. Grand favori du scrutin, Béji Caïd Essebsi a fait l'essentiel de sa carrière sous Bourguiba, mais il a lui aussi occupé des fonctions sous l'ère Ben Ali en tant que président du Parlement de 1990 à 1991. Il a réussi, à travers la création de Nidaa Tounes, a rassemblé autour de lui des personnalités de l'ancien régime et de nouvelles têtes issues de la société civile dans un assemblage hétéroclite. Le discours et la démarche sont identiques. Anti-islamiste et retour au passé sont les seuls axes du programme. Bourguiba, le père de la Tunisie moderne, est de retour. Un retour timide à l'Assemblée, mais en force, semble-t-il, pour la présidentielle. La seule différence notable avec l'ancien régime réside dans le poids incontestable des islamistes. Il s'agit du seul courant qui pourra peser de manière forte sur les orientations politiques. La démarche d'Ennahda ne conteste pas le retour d'anciens du régime de Ben Ali, fils spirituels de Bourguiba. Au contraire, elle renforce le courant incarné par Nidaa Tounes en ne présentant pas de candidat à la présidentielle. Les héritiers de Bourguiba signent leur retour. La gauche n'a pas su conquérir sa place alors que la révolution tunisienne est née d'une demande économique et sociale forte. La Tunisie sera gérée par d'anciens du régime de Ben Ali soutenus par des islamistes réalistes. Stabilité et remise en ordre seront les deux actions majeures du futur gouvernement. Pourtant, tout n'est pas perdu pour la démocratie tunisienne. En quatre ans, elle est passée d'une forme de pluralisme relatif (octobre 2011) à une situation de pluralisme équilibré et mature (octobre 2014). La progression n'est pas seulement quantitative, elle est qualitative ; ce n'est pas un changement de degré, c'est un changement de nature. Il reste à concrétiser le but en préservant les libertés individuelles et collectives. A. E.