Au moment où le présent article a été rédigé, l'instance tunisienne élue et indépendante en charge de l'organisation et du contrôle des élections législatives n'avait pas encore proclamé les résultats du scrutin. De la tendance constatée par les observateurs dans les opérations de dépouillement des urnes à un moment avancé de celles-ci, il en est ressorti qu'il faut raisonnablement s'attendre à une victoire de « Nidaa Tounes », la formation que dirige Béji Caïd Essebsi, ancien ministre durant l'ère bourguibienne et ancien chef du gouvernement pendant la transition post-Ben Ali. Il l'emporterait probablement d'une courte tête sur le parti islamiste Ennahda qui a pourtant été donné favori même si on lui prédisait lui aussi une victoire à l'arraché. Ce qui est définitivement assuré est que le gagnant du scrutin de dimanche va devoir se résoudre à contracter alliance pour pouvoir former un gouvernement et conduire le pays. Ni Nidaa Tounes ni Ennahda ne pourront en effet, eu égard à leur score électoral respectif, présager se passer de l'apport d'autres formations pour gouverner. Pour Ennahda, l'entreprise serait ardue car ayant été l'adversaire à abattre pour la grande majorité des partis ayant pris part à la compétition électorale alors que ceux susceptibles d'accepter une alliance avec lui ont selon les estimations subi une véritable débâcle électorale. Ce qui serait le cas d'Ettakatol et du Congrès pour la République du président Marzouki qui ont fait partie durant la transition de la coalition emmenée par Ennahda. A priori la tâche serait plus aisée pour Nidaa Tounes ayant pris la tête de l'opposition anti-Ennahda. Sauf que la formation présidée par Béji Caïd Essebsi n'est pas elle-même en odeur de sainteté auprès du reste de la casse politique qui voit en elle un conglomérat d'acteurs politiques n'ayant pris aucune part à la révolution qui a renversé Ben Ali et son régime et d'autres ayant été des cadres sinon des piliers de ce régime. Nidaa Tounes et Ennahda se sont livrés une bataille électorale qui peut les faire considérer comme réfractaires à une alliance gouvernement entre eux. Mais il semble bien que Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi se sont gardés d'exclure sans appel cette perspective. Les deux hommes sont assez fins politiquement et pragmatiques. Ils ont à coup sûr décelé que leurs compatriotes souhaitent un gouvernement d'union nationale dont la feuille de route est la remise en marche de la Tunisie, dans lequel les deux formations les plus représentatives du champ partisan tendraient à lui faire relever ce défi et non s'entredéchirer sur des querelles doctrinales et encore moins sur des questions de l'ordre du religieux. Cet état d'esprit qui prédomine dans la société tunisienne expliquerait que le scrutin de dimanche ait pour résultat une victoire écrasante de l'une des deux formations ayant été données favorites pour les élections. Essebsi et Ghannouchi ne pourront qu'en tenir compte car sachant que la seule alternative à leur cohabitation au pouvoir ne serait de ce fait qu'une instabilité permanente aux conséquences catastrophiques pour leur pays. Du déroulement du scrutin lui-même, il ressort que la Tunisie et les Tunisiens ont administré une remarquable preuve de maturité et de patriotisme. Les autorités de la transition ont bouclé sans accroc la mission pour laquelle elles ont été désignées : organiser des élections à l'abri de toute menace sécuritaire qui soient libres et transparentes. Elles l'ont fait. Les Tunisiens dont on a trop vite dit que désabusés ils se seraient détournés de la sphère politique, ont pour leur part été plus nombreux que prévus à aller voter. Le tout a fait que dimanche a été une journée qui va durablement compter pour la démocratie en Tunisie.