Réelle ou pas, l'information au sujet du limogeage des premiers dirigeants de la Poste et de l'organisation du pèlerinage à la Mecque n'en est pas moins significative de l'idée même que l'on se fait des cadres ainsi que de leur usage en Algérie. Et là, il est question de Système, avec un grand S. C'est-à-dire d'une culture, d'une philosophie, bref, de mentalité générale. Autrement dit, de la vision qu'ont les Algériens, et pas seulement les pouvoirs successifs depuis 1962, du cadre et de l'usage qui en est fait. Précisément, de l'absence de politique de cadres et de plans de carrières stables, de fuite de cerveaux et de la marginalisation systématique des compétences réelles. Dans notre pays, le vrai pouvoir ce n'est finalement pas la présidence de la République et l'armée qui le détiennent. Certes diffus et dilué, il est en réalité entre les mains du plus grand parti politique du pays, la médiocrité qui règne partout, au sein de l'Etat comme dans la société. Y compris chez le privé, incapable qu'il est, à l'image du secteur public, de chercher et de trouver l'homme ou la femme qu'il faut, à la place qu'il faut et tout le temps nécessaire qu'il faut. Naturellement, il y a de belles exceptions à cette règle générale qui, malheureusement, la confirment. Dans un cas comme dans l'autre, l'éviction du directeur de l'Office du Hadj (OHO) ou son maintien éventuel à son poste, traduisent une autre réalité. Double celle-là : la longévité de cadres qui ne correspondaient pas au profil du poste lors de leur nomination mais qui restent longtemps en fonction, malgré des bilans d'activité généralement peu reluisants. Exemple en est donc l'organisation du pèlerinage, petit (ômra) ou grand (hadj), qui a rarement été une paisible excursion pour nos hadjis. Le plus souvent une véritable souffrance, un voyage au bout de l'enfer de l'incurie et de l'incompétence. Les pauvres hadjis payaient souvent un écot élevé à la médiocrité des agents de l'OHO et des agences de voyages privées sélectionnées. Derrière la pénitence religieuse, le calvaire né de la désorganisation et de l'incompétence. Et ce n'est que lorsque l'incurie atteint des proportions alarmantes et insupportables, que l'on se décide, enfin, à couper des têtes. Généralement après un bail long et désastreux. Des cadres de valeur, il y en a encore au pays, malgré la fuite continue et importante de cerveaux vers l'étranger. Et ils sont nombreux. Sauf qu'il n'existe pas de politique de chasse aux têtes confiée à des DRH compétents ou à des cabinets privés spécialisés, inexistants à ce jour. Il est vrai que cette spécialité, exercée à la petite marge par des cabinets de communication ou d'ingénierie financière, n'est pas incluse dans la nomenclature nationale des métiers. A titre anecdotique mais symptomatique, un spécialiste de la restauration architecturale, formé dans les meilleures écoles en Europe, s'est vu accorder une licence de restauration, au sens culinaire du terme ! Ces cadres bien formés et compétents, quand ils parviennent à se faire recruter, sont rarement installés aux postes idoines et sont généralement sous la tutelle de ronds de cuir recrutés selon la sacro-sainte règle du clientélisme et du népotisme. Le fameux piston qui fonctionne comme une clé de Sésame. Ainsi marginalisés, parfois poussés vers la porte de sortie par une coalition spontanée de médiocres, ils finissent par jeter l'éponge, de guerre lasse. Parfois, ils se résolvent à faire alors autre chose, sans rapport avec leur profil et leurs qualifications. Ou à aller voir si l'herbe n'est pas plus verte ailleurs. Cet état de fait fonctionne selon une équation immuable : le nombre de médiocres décideurs est aussi élevé que celui des cadres compétents est réduit ! On en arrive à cette situation ubuesque : l'Algérien peut être un grand savant sur Mars et un grand «walou» en Algérie ! Par exemple, chercheur émérite à la Nasa. Grand patron de la recherche médicale aux Etats-Unis. Traqueur mondialement célèbre du virus du Sida. Et, au pays du Soleil Levant, un Manitou de la recherche en physique. Et aux Etats-Unis, un big boss de la robotique. Ou bien DG de la chaîne Al Jazeera. Ou encore, l'artisan du succès planétaire de l'orgasme par Viagra stimulé. Rappelons-nous de Noureddine Melikechi de Thénia, diplômé de physique de l'Usthb, ce formidable crâne d'œuf a fait partie de l'équipe américaine ChemCam qui a lancé une sonde spatiale en direction de la planète rouge. Il y a aussi le professeur Elias Zerhouni, lauréat d'une faculté de médecine algérienne. Radiologue, spécialiste mondialement reconnu de génie biomédical, qui a dirigé pendant six ans le programme fédéral américain de recherche médicale, à la tête du NIH, l'institut national de santé. Ce fils de Nedroma est aujourd'hui un envoyé scientifique dans le monde du président Obama. Tout aussi prestigieux est également le professeur Mohamed Banat, diplômé de physique de l'université d'Alger. Spécialiste de physique atmosphérique et spatiale ainsi que de physique des fluides, il est notamment senior consultant ou leader de projet d'une vingtaine de grosses compagnies nippones telle Mitsubishi Atomic Power. Il est aussi encadreur de doctorants à l'université de Manchester et à celle de Tsukuba au Japon. Et, n'en jetons plus, superviseur de post-doctorant à la Space and technology agency de Tokyo. Il y a également le professeur Kamel Youcef Toumi, spécialiste de renommée internationale de robotique et chercheur à la Nasa. En France, où existe une importante communauté de scientifiques algériens, il y a notamment le professeur Kamel Sanhadji, né et formé à Alger. Même si son nom a été, injustement, dissocié de ceux de ses confrères français Jean-Louis Touraine et Luc Montagnier, cet enfant de Kouba a énormément contribué aux grandes avancées dans le domaine du VIH. Parmi les grands bienfaiteurs des hommes en détresse sexuelle, il y a par ailleurs un Kabyle, un certain Mohamed Sidi-Said. Un temps vice-président du géant pharmaceutique Pfizer, qui a largement contribué au succès planétaire de la pilule bleue. Un nombre incalculable de cadres de très haut niveau, souvent des scientifiques, un demi-million peut-être, sont partis d'Algérie du fait du terrorisme mais pas seulement. La bureaucratie, la corruption, le népotisme, l'incompétence, la pression psychologique exercée par la médiocratie favorisent l'exil et l'impossible retour au pays. Il y a aussi l'inadéquation de l'environnement professionnel, le manque d'attractivité de l'Administration et de l'économie, la dérisoire rémunération des compétences. Comme la question de l'équivalence des diplômes obtenus à l'étranger et dont la validation est le fait d'ignares, soit la médiocratie qui juge et asservit la méritocratie. Normal, quand on sait que le budget de la recherche, rapporté au PIB, est de 0,28 %, ce qui place l'Algérie en dessous de la moyenne africaine (0,6%), alors même que plus de 80% des sommes allouées au fonctionnement sont affectées aux salaires et indemnités. N. K.