Noureddine Melikechi, physicien atomiste et chercheur émérite à la NASA, a participé au projet Curiosity, la mission la plus complexe et la plus coûteuse de toutes celles tentées sur la planète rouge. Récipiendaire de plusieurs distinctions pour son travail portant sur le développement du laser pour le dépistage du cancer, celui qui a été nommé «ambassadeur de Mars» par le gouverneur du Delaware relate, pour El Watan, son parcours, de l'université Houari Boumediène jusqu'aux cimes de la gloire.
- Parlez-nous de votre parcours, de votre scolarité en Algérie jusqu'à votre accession au poste de doyen de l'université du Delaware…
Mon parcours initial n'est pas atypique. Je suis né et j'ai grandi dans la petite ville de Thenia, à 50 km d'Alger. C'est là que j'ai appris à lire et à écrire grâce au travail énorme effectué par de nombreuses personnes qui se sont investies pour notre éducation. Malgré toutes les incertitudes qui existaient à l'époque, j'ai eu la chance et le bonheur de poursuivre mes études primaires et secondaires dans un cadre très agréable et enrichissant à la fois. A l'âge de 15 ans, j'ai quitté Thenia pour rejoindre le lycée Abane Ramdane à El Harrach, parce qu'à l'époque, il n'y avait pas de lycée à Thenia. Je garde un excellent souvenir de mon passage au lycée Abane Ramdane où j'ai décroché mon baccalauréat série mathématiques, avant de rejoindre l'Université des sciences et de la technologie Houari Boumediène de Bab Ezzouar pour poursuivre des études de physique. Durant les quatre années passées à l'université, j'ai eu encore une fois la chance d'avoir d'excellents professeurs, dévoués à leur travail et au développement scientifique et technologique du pays. Bien que relativement nouvelle, l'université offrait un cadre sérieux pour s'imprégner de sciences et de technologie. De plus, j'ai eu le privilège de connaître des personnes qui venaient des quatre coins du pays. Grâce à une bourse du ministère de l'Enseignement supérieur, j'ai pu faire des études post-graduées. J'ai donc fait un Phd. en physique à l'université de Sussex en Grande-Bretagne. Après une expérience en tant que postdoctoral research fellow à Londres, je suis rentré au pays en 1988 pour y effectuer mon service national. J'ai passé deux mois à Djelfa avant d'être affecte à l'université de Bab Ezzouar en tant qu'enseignant-chercheur. En 1990, j'ai quitté l'Algérie pour les USA.
- Comment avez-vous intégré l'équipe de la NASA ?
Aux USA, j'ai travaillé d'abord sur le développement des mesures optiques de très haute précision. Par la suite, j'ai reçu des financements de la Fondation nationale de la science (NSF), de la NASA, du National Institute of Health (NIH) et d'autres agences fédérales, de compagnies de hautes technologies et de l'Etat du Delaware. J'ai occupé différentes fonctions académiques avant d'être, aujourd'hui, doyen de l'université d'Etat du Delaware. De plus, je continue mon travail de recherche et contribue, autant que je peux, au développement des sciences et de la technologie en tant que membre, désigné par le gouverneur Jack Markell, de divers comités, tels le STEM Council (un groupe de réflexion aux meilleurs moyens de développer l'éducation des sciences, des mathématiques et de la technologie), l'ARP (qui se focalise sur la protection contre les radiations ionisantes) et d'autres conseils. Il est évident que cela n'aurait pas été possible sans l'aide précieuse de beaucoup de personnes qui m'ont aidé et continuent à le faire.
- Parlez-nous de votre expérience au sein du projet ChemCam on Mars. En quoi consiste votre mission dans ce projet ?
Pour répondre à votre question, permettez-moi de rappeler certains points essentiels de la mission Mars Science Laboratory. ChemCam est une des dix expériences qui font partie de Mars Science Laboratory (MSL) rover Curiosity. Curiosity a été lancé à partir de cap Canaveral, en Floride, le 26 novembre 2011 et a atterri avec succès sur la planète Mars le 6 août. Il nous permet déjà d'avoir des images de la planète Mars comme jamais cela n'a été possible auparavant. L'objectif fondamental de Curiosity est de savoir si la planète rouge est ou était habitable. ChemCam consiste en deux instruments : LIBS et un micro-imageur à distance (Remote Micro Imager). LIBS est une technique laser qui permet, avec un faisceau très bref, (5-10 milliardièmes de seconde) de générer sur des roches (et sur presque tout autre échantillon) une matière qui contient des atomes, des ions, des électrons libres à très haute température qu'on appelle plasma. Ce plasma, en se refroidissant, va émettre une lumière caractéristique de la composition physique et chimique de la roche. Ainsi, après analyse, nous pourrions avoir une idée de la constitution des roches sur Mars. De plus, comme la surface de Mars est recouverte de poussière, ChemCam utilisera LIBS pour dégager cette poussière avant de faire des mesures aussi bien en surface qu'en petite profondeur. Un de mes axes de recherche touche le développement de nouvelles méthodes de détection de biomarqueurs pour le dépistage de cancers dès leur début. Nous développons des méthodes optiques et des modèles mathématiques qui nous permettent de déceler très tôt des signes de cancer par des méthodes non invasives. Une des méthodes que nous utilisons pour ce travail consiste à exciter un échantillon biomédical par le biais d'un laser suivant une technique appelée LIBS (Laser Induced Breakdown Spectroscopie). Comme je l'ai dit, ChemCam est basé sur l'instrument LIBS, qui est en ce moment même sur Mars ! Je suis impliqué en tant que physicien spécialiste du LIBS et je travaille en étroite collaboration avec de nombreux chercheurs dont des géophysiciens, des géochimistes et bien sûr d'autres physiciens.
- N'est-ce pas là un rêve d'enfant qui devient réalité ?
Un rêve d'enfant, peut-être. Je ne me rappelle pas avoir rêvé de faire partie d'une telle mission. Enfant, mes rêves étaient plus terre à terre, bien que je voulais comprendre le monde autour de moi et que je me posais beaucoup de questions. Faire partie d'une expérience qui est un tournant dans l'histoire scientifique de l'humanité est un honneur et un privilège non pas pour moi, mais pour toutes les personnes qui m'ont aidé durant mon parcours et elles sont nombreuses. J'ajouterais qu'a mon humble avis, mon parcours, comme celui de bien d'autres, pourrait inspirer des enfants de tous les coins d'Algérie. Nos enfants peuvent rêver de faire un jour partie d'une très grande aventure humaine, qu'elle soit scientifique ou autre. Non seulement ils le peuvent, ils le feront s'ils le veulent bien et le prouvent en travaillant sereinement et durement, et ils croient en elle. Rêver est le premier pas vers le progrès et le bien-être. L'effort, le travail soutenu et continu et la force de l'inspiration permettent de concrétiser ce rêve.
- Votre exemple montre que le talent scientifique algérien existe. Pourquoi n'est-il pas mis en valeur, à votre avis ?
Il est indéniable que le talent scientifique existe en Algérie. Je n'ai aucun doute sur cela. Mais que fait-on pour que ces talents soient connus, valorisés et encouragés ? A titre d'exemple, j'ai appris il y a quelques semaines qu'un groupe de quatre étudiants algériens a reçu, en Australie, le troisième prix mondial de la compétition Microsoft Imagine Cup. Ce n'est pas le fruit du hasard, mais d'un travail de fond. Ces étudiants ne peuvent-ils pas être des exemples pour d'autres ? Il y a bien évidemment d'autres exemples de réussite qui méritent d'être étudiés, valorisés et peut-être pris comme exemples.
- Y a-t-il des obstacles qui empêchent ces talents de s'affirmer ?
Je pense qu'il est plus approprié que cette question soit adressée à des chercheurs qui se trouvent en Algérie. Toutefois, comme vous me la posez, permettez-moi de vous donner mon avis. N'ayant pas à ma disposition des chiffres qui reflètent la réalité, il se peut que je me trompe. Bien qu'il y ait des efforts et des progrès pour l'amélioration du cadre de la recherche en Algérie, les obstacles sont aussi nombreux que divers. Ils sont d'abord d'ordre structurel : il n'y pas encore en Algérie une autonomie réelle, nécessaire au bon fonctionnement des divers programmes de recherche. Par contre, il y a une reproduction d'année en année de schémas bureaucratiques qui ont montré leurs limites. De plus, peut être à cause du manque de vision, il y a très peu d'apports de solutions scientifiques et technologiques aux problèmes qui se posent en Algérie car le chercheur algérien est en grande partie pas ou peu impliqué dans le développement économique du pays. Il faut lui faire confiance.
- Pourquoi, selon-vous, la recherche scientifique n'arrive-t-elle pas à se développer en Algérie ?
Il faut d'abord qu'il y ait une vraie volonté de discuter et de définir le rôle de la recherche en Algérie. Pourquoi veut-on faire de la recherche ? Il serait judicieux de définir des objectifs clairs, de développer un système d'évaluation rigoureux et quantifiable, d'identifier des moyens adaptés, d'améliorer la gestion de la recherche et d'approfondir les études sur l'impact de la recherche sur la société. Ces points-là peuvent être discutés très largement, développés et communiqués aussi très largement. Le scientifique algérien, qu'il soit en Algérie ou ailleurs, démontrera alors ce qu'il lui est possible de faire, comme le font déjà des scientifiques de plusieurs pays.