Lorsqu'il était encore aux affaires militaires, l'ancien chef de l'état-major de l'ANP Mohamed Lammari, avait dit un jour que l'islamisme a été vaincu militairement mais pas politiquement. Dans la bouche du grizzli de la Casbah, c'était mieux qu'un simple aphorisme, ce fut un constat implacable mais réaliste. De plus en plus vérifié, dix ans après, dans l'espace public, les medias arabophones et les réseaux sociaux. Et qui a pris récemment une grande tournure avec une fatwa appelant au meurtre du chroniqueur Kamel Daoud. L'auteur, un certain Abdelfettah Ziraoui Hamadache, ancien du FIS et du GIA, repenti et reconverti dans la prédication salafiste et la politique, est un multirécidiviste de l'imprécation, l'excommunication et les appels à appliquer les sentences les plus rigoristes de la charia islamique, notamment la lapidation et la mort. Ce dangereux hurluberlu, spécialiste de la fatwa cathodique, complaisamment relayée par des télés privées arabophones, a préempté le courant salafiste algérien au nom duquel il a déposé en janvier 2013 une demande d'agrément, à ce jour non accordée par le ministère de l'Intérieur. Le chroniqueur oranais, finaliste du prix Goncourt pour son roman «Meursault contre-enquête», a porté plainte. Enquête enclenchée mercredi par le parquet d'Oran, et les services de sécurité ont indiqué à Kamel Daoud que «l'affaire est prise en charge». Le chroniqueur compte aussi poursuivre la chaîne Ennahar TV après la diffusion, en direct, des appels au meurtre du salafiste djihadiste Ziraoui Hamadache, initialement émis dans une fatwa publiée sur sa page Facebook. Au-delà de l'appel au meurtre en soi, réitéré, rappelons-le par des journaux et des télés arabophones complices, l'enjeu est fondamentalement politique. Et là, Kamel Daoud a bien raison de souligner que «les années 1990 sont une menace permanente, une possibilité si on baisse les bras». On l'a déjà observé, l'islamisme, dans sa version salafiste la plus rétrograde, la plus menaçante, a retrouvé du poil de la bête et est devenu encore plus menaçant, exhibant progressivement ses muscles sur la voie publique et dans le champ des medias, notamment arabophones. Il a désormais pignon sur rue, et se permet même de lancer un parti politique, certes non encore agréé par les autorités mais qui est toléré et qui active au grand jour. Surtout pour prôner, au nom d'une association religieuse dit de «l'Eveil salafiste des enfants des Mosquées algériennes», la création d'une police des mœurs islamique, sur le modèle iranien ou saoudien. Une police de la morale rigoriste qui agit depuis plusieurs années au vu et au su de tout le monde. Et c'est ce zigomar enturbanné de Ziraoui Hamadache qui est derrière nombre de tentatives de fermeture de débits de boissons alcoolisées et d'interdiction du maillot de bain féminin sur les plages que le sectateur et sectaire salafiste veut voir sans mixité. Où l'on voit donc que l'Hydre de Lerne de la mythologie grecque est bien algérienne, salafiste en l'occurrence. Et, ne pas l'oublier, tuer ce monstre de la résurrection, constituait le deuxième des douze travaux d'Hercule. Cette créature de l'enfer est décrite comme un monstre immonde possédant plusieurs têtes, dont une immortelle. Celles-ci se régénèrent doublement lorsqu'elles sont tranchées, et l'haleine soufflée par les multiples gueules exhale un dangereux poison, même durant le sommeil du monstre. Le salafisme aux relents wahabites, c'est bien cela. Il faut par ailleurs le souligner et le surligner, avant même d'appeler à la condamnation à mort du journaliste-écrivain, le soudard en kamis avait déjà jeté l'anathème sur Louisa Hanoune du Parti des travailleurs (PT) et les ministres de l'Education nationale et de la Culture. Au motif que ces trois femmes s'expriment en français et œuvrent, selon lui, à détruire la langue arabe et l'Islam. L'équation langue arabe-islam devient ainsi un paradigme politique, un dogme sacré qu'on ne doit pas violer, sous peine d'être traité d'apostat, d'impie et d'ennemi d'Allah. Comme c'est déjà le cas de Kamel Daoud et de Mmes Louisa Hanoune, Nadia Labidi et Nouria Benghebrit. Et toujours par le même imprécateur Ziraoui Hamadache. La sacralisation de la langue arabe, érigée en valeur coranique par les intégristes de la langue d'El Djahiz, n'est pas l'apanage des salafistes. On a bien vu à ce propos des universitaires, des journalistes, des politiques et même un ancien ministre de la Communication jeter l'opprobre et l'infamie sur les hommes publics qui s'expriment dans l'idiome de Molière. Ou, pis encore, qui s'aventurent à dire que l'arabe est une langue aussi figée qu'est attardée la sphère de civilisation dans laquelle elle évolue, ou plutôt n'évolue guère. Cette coalition d'arabophones de tout bord est dangereuse pour le pays, dans la mesure où elle est porteuse de risque de schisme et d'instabilité sociale dans un pays qui serait divisé par la ligne de fracture francophones-arabophones. Le danger, bien réel, est là. Sur un autre registre, tout aussi symbolique, celui de la création et de la recherche universitaires, il y a quelques jours, le livre de l'anthropologue Meriem Bouzid Sababou, dédié au rituel de la célébration de la S'béïba, l'Achoura à Djanet, paru initialement aux éditions du Cnrpah en 2013, a fait l'objet d'une polémique et d'un acte de censure subséquent. Des «notables» et «des jeunes» de la capitale du Tassili ont en effet adressé une lettre au Premier ministre dans laquelle ils exigent que le livre, jugé «diffamatoire», soit retiré du marché. Ils reprochent à l'auteure d'avoir suggéré que des femmes touarègues aient pu se prostituer pendant la période de la colonisation. Résultat de ce chantage à l'Immaculée conception, version touaregue, le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques, cédant à la pression, a retiré le livre de la circulation. Comme on le voit, d'autres petits Hamadache et d'autres petits Belhadj, se permettent de saisir l'Etat et surtout de le sommer d'interdire un produit de la pensée libre, qui plus est universitaire. Ces Torquemada agissent ainsi en censeurs irrésistibles. Mais pourquoi donc l'Etat, ici représenté par les ministères de la Culture et de la Communication, obtempère aussi facilement ou reste silencieux et passif face à des injonctions certes moins graves que des appels au meurtre ou des jets d'anathèmes, mais tout aussi intolérables ? D'où le fait qu'il ne faudrait pas se contenter de condamner ou de dire que puisque plainte a été déposée contre Ziraoui Hamadache, il faudrait laisser alors la Justice suivre son cours. Comme l'ont fait les ministres de la Communication, du Commerce et de la Justice qui, lui, a fait des déclarations timorées, à l'eau tiède. Et ne pas attendre d'autre part qu'une autre figure du salafisme, Ali Belhadj, se démarque de l'ex-militant du FIS et terroriste du GIA, auquel il a juste dénié sa qualité d'exégète et de muphti. Un Belhadj qui a soigneusement évité de dénoncer et de condamner, se contentant de dire que Ziraoui n'est pas un «juge» civil pour prononcer une condamnation à mort. Tout en réglant des comptes avec une figure du salafisme djihadiste, Ali Belhadj, issu du salafisme dit «scientifique» et rival de l'autre courant, a probablement cherché des gains d'image pour faire oublier ses propres exégèses comme celle qui a considéré les terroristes qui ont attaqué le site gazier de Tiguentourine comme étant des «moudjahidine». Et faire oublier également qu'il méprise l'hymne national et qu'il a considéré comme impies et apostats les non-jeuneurs de Tizi Ouzou durant le Ramadhan. Mais tout compte salafiste fait, la vraie question n'est pas en fait Hamadache ou Ali Belhadj. Le vrai problème est le laxisme et la passivité de l'Etat algérien. Il ne s'agit donc pas de savoir pourquoi Hamadache a appelé au meurtre, mais comment est-il devenu possible d'inciter franchement au meurtre sans en être inquiété le moins du monde ? Il y a vingt ans, les appels au meurtre étaient souvent anonymes, même s'ils portaient sur papier des sigles d'organisations terroristes. Appels affichés clandestinement et généralement sur les murs de certaines mosquées. Désormais, ces exhortations au crime sont signées et leurs auteurs ne s'en cachent guère. Le général Mohamed Lammari n'était certes pas un séraphin, encore moins un démocrate patenté, mais il a eu raison de dire que l'islamisme et son pendant salafiste, ont été militairement défaits, mais n'ont pas été vaincus sur le terrain politique. N. K. Abdelfattah Ziraoui Hamadache Son vrai nom est Ahmidache Ziraoui. Mais il se fait appeler Abdelfattah Hamadache Ziraoui El Djazaïri Il est né à Alger, au Télemly où il a passé son enfance et où il réside toujours. C'est un ancien militant du FIS qui a fricoté avec le GIA. Il a fait de la prison à Berrouaghia durant la décennie 1990. Il est réapparu durant les années 2000 en créant une association religieuse dénommée Assahwa Al Islamiya li massadjid El Djazaïr (L'éveil islamique des mosquées d'Algérie). Le 2 janvier 2013, il a déposé au ministère de l'Intérieur une demande d'agrément d'un parti salafiste, appelé Front de la renaissance libre salafiste et islamique. Ce parti n'a jamais été légalisé mais son fondateur est laissé libre de prêcher et jouer à la police de la vertu islamique en tentant de faire fermer des bars et autres débits de boissons... C'est lui qui est derrière toutes les tentatives d'interdire la mixité sur les plages du littoral algérois et d'y proscrire le maillot de bain féminin et notamment le bikini... Il a même, par courrier à l'ancien ministre Daho Ould Kablia en 2010, demandé la création d'une Moutawwa3e, la police des mœurs islamiques orthodoxes. Il a co-signé avec l'imam Ali Ferkous, un prédicateur salafiste qui a une certaine audience religieuse et une réputation d'exégète rigoriste en Algérie, un appel en faveur de l'abandon de la violence armée en Algérie en septembre 2010. Il avait même proposé aux autorités de jouer au médiateur auprès des groupes terroristes qui activent encore en Algérie, dans le but de les convaincre de se rendre, contre des mesures d'amnistie. C'est ce salafiste dégénéré qui a appelé sur sa page Facebook, à pendre haut et court Kamel Daoud, en le qualifiant de renégat, d'incroyant, d'athée, d'apostat et de blasphémateur.... N. K.