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Toutes les idéologies sont criminelles lorsque l'intelligence cède
Dans la lutte mondiale contre la violence meurtrière
Publié dans La Tribune le 07 - 02 - 2015

Si l'on considère le siècle sortant, sur le plan de l'évolution de la pensée humaine active, on peut dire qu'il a été, pendant plus de soixante-dix années, au moins depuis février 1917, date de la chute du régime tsariste en Russie, marqué par une lutte permanente entre deux courants idéologiques opposant les partisans d'une société humaine construite selon le modèle de la libre entreprise, où l'Etat ne s'implique pas dans le circuit du capital dans les affaires de la communauté, et les tenants de formule d'une économie politique basée sur le contrôle permanent de l'Etat, dans laquelle l'intérêt des classes ouvrières et de leurs outils de travail est prépondérant par rapport au mouvement du capital dans la relation du procès social. Ce qu'on appelle la dictature du prolétariat, au lieu et place de la contrainte du capital et des classes qui tentent de s'en accaparer.
De ce point de vue, les révolutions européennes les plus importantes ont été beaucoup plus des actions contre le pouvoir de la féodalité que comme l'intention manifeste de promouvoir les individus dans la masse et de mettre entre leurs mains les moyens de changer leur destin. Bref, les transformations dans les sociétés européennes ont été -et elles le sont toujours- entreprises dans le sens du triomphe des catégories bourgeoises. Les groupes sociaux possédant une bonne partie du capital, mais l'essentiel du savoir et de la connaissance du siècle. Dont les prédécesseurs ont réussi à ouvrir une brèche irréversible dans l'édifice de la foi. La chute de l'Empire ottoman, au moment de la Première guerre mondiale, mais surtout à son issue, par la victoire contre la volonté annexionniste, la laïcité entre dans une espèce de latence dans l'ensemble du Vieux continent, tandis que le pouvoir léniniste installé à Moscou bannit de toutes les institutions nouvelles soviétiques la notion du religieux. Après la victoire sur le fascisme, en 1945, le monde occidental officialise la laïcité dans les Etats respectifs en tant que modèle dans les contenus institutionnels, dans le politique, l'économique et le socioculturel.
Depuis le Plan Marshall, exécuté pour la relève de l'Europe -malgré le maintien de ses principes coloniaux dans le monde et de son asservissement des cultures- et dans certains pays de l'Asie acquis au régime du capitalisme libéral, la pensée occidentale considérait l'idéologie prônée par l'ancien grand allié vainqueur de la Seconde guerre mondial, l'Urss en l'occurrence, comme une nouvelle religion, qu'il faille lutter contre parce que dangereuse pour l'évolution vers les libertés individuelles et communautaires. Capable de heurts permanents, inintéressants pour la race humaine, ouvrant vers les rapports de force inutiles et des conflits sanglants entre les nations, dans le processus de contamination. Alors que le système de Moscou, appliqué dans les quinze républiques soviétiques, dans les pays du Bloc de l'Est et de tous les ralliés dans le monde, Cuba, la Corée du Nord, le Vietnam, des Etats décolonisés en Afrique, considérait, d'après les grands référents marxistes, que toute religion est vécue comme une drogue abêtissante pour les populations.
En tout cas tout le vingtième siècle, jusqu'à ses deux dernières décennies, a été une succession d'épisodes mettant en procès les valeurs du travail et ses schémas d'organisation, à l'échelle de l'individu et du groupe, en même temps qu'une permanente confrontation au sommet, entre les hommes politiques se remettant en cause les préoccupations idéologiques mutuelles, visibles depuis tous les recoins de la planète, à travers ce qui était appelé, alors, la Guerre froide. Le dernier tiers du siècle passé a permis à l'humanité de réussir quasi complètement le processus de décolonisation - si l'on excepte une ou deux situations en Afrique, impliquant le Maroc pour l'annexion du Sahara occidental et de laisser faire l'Espagne dans ses deux territoires de Ceuta et Melilla. Mais dans lequel on a assisté aussi à des volontés indépendantistes à l'intérieur des Etats, réputés inébranlables du point de vue de l'harmonie de leurs institutions officielles - le Royaume-Uni, la France et l'Espagne, ont vécu, et ne s'en sortent pas définitivement aujourd'hui, les revendication virulentes de l'IRA, de l'ETA et du Flnc (le Front de libération nationale corse), mais les officiels des Etats respectifs ont depuis le début traité les évènements liés aux revendications dans les trois pays sous les termes de la manifestation terroriste. De la même manière dont les combattants algériens contre l'occupant qui asservissait et spoliait, étaient taxés par les autorités coloniales et par leurs alliés très puissants de l'Occident.
Le nouveau containment
Au cours des processus de décolonisation, dans les négociations, ici et là, il n'a jamais été question de traiter avec les leaders des pays anciennement asservis du devenir des croyances des populations autochtones -sauf de prévenir pour la protection de l'église, du temple ou de la synagogue, au profit des fractions européennes restées dans les contrées ayant recouvré l'indépendance. Les pourparlers tournaient autour de la question des bases stratégiques, s'il en fut, mais surtout sur les matières premières, dont l'ancien colon a besoin pour maintenir en forme les rouages de ses démarches économiques et financières. On ne se racontait pas des histoires sur la polygamie ou la tannées contre la composante féminine, mais sur les gisements de Hassi Messaoud et Hassi R'mel où on ne devait pas pénaliser Total, par exemple, qui sert le peuple français dans la métropole, n'ayant rien à voir avec la colonisation. Et on ne met pas sur la table des négociations la tragédie de l'excision par rapport à l'intérêt universel du Canal de Suez -encore moins dans la Péninsule arabique où la foi était une bénédiction pour les décideurs du monde capitaliste, agrippant dans une main les Lieux Saints, compatibles avec la civilisation des «Gens du Livre» et de l'autre les incommensurables réserves énergétiques, régies dans le principe de ne jamais laisser en manque la machinerie dominatrice yankee. Les quelque huit cents millions de musulmans dans le monde ne posaient aucun problème au reste de l'humanité jusqu'à l'émergence de Khomeiny sur la scène politique internationale. Avènement géopolitique coïncidant avec une période de la Guerre froide jugée alors flasque, non motivante, qui ne rentrait pas assez dans les cordes des tenants américains de la stratégie de l'endiguement, «the containment», par rapport à une Union soviétique qui ne cesse de démontrer de grandes limites dans les domaines de l'innovation industrielle et technologique, mis à part les équipements d'apparat de la recherche spatiale -coûtant les yeux de la tête au Kremlin, mais qui va s'essouffler avec le joyau MI, démonté quelque mois après la scission de l'Empire soviétique. Les services du renseignement américano-israélien échafaudent alors un plan pour faire entrer les Russes en Afghanistan et les disqualifier. La première partie -dont on dit qu'il s'agit du premier acte spectaculaire signé du terrorisme international- consiste en l'attaque de l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran par un groupe de 400 étudiants iraniens qui occupent les lieux en prenant en otage plus de cinquante personnes. Suivie de la seconde, deux semaine plus tard, par l'occupation de la Grande Mosquée El Mesdjed El Ahram de la Mecque par presque une deux centaine d'intégristes saoudiens et égyptiens, étudiants à l'université islamique de Médine. Un peu plus d'un mois plus tard, Moscou ordonne l'annexion de l'Afghanistan, qui mène depuis une dizaine d'année une espèce de guerre sainte, qui risque d'irradier dans les républiques «musulmanes» de l'Empire soviétique.
La Guerre froide aura atteint, ici, de la manière de l'action militaire balistique à Cuba, le stade de la confrontation américano-soviétique en territoriale tiers. Mais à la sortie des troupes de l'Armée rouge de
l'Afghanistan, le monde commence à considérer un apaisement définitif de la tension entre les deux plus grandes puissances de la planète -malgré la démarche carnavalesque de Ronald Reagan, un ancien acteur de cinéma, qui agitait dans les médias du monde l'épouvantail de la «Guerre des étoiles», un procédé de défense cosmique capable de prévenir n'importe quelle attaque aérienne sur le territoire américain. Toutefois c'est la chute du Mur de Berlin, après la déflagration de l'Union soviétique, redistribuée dans ses quinze républiques, désormais indépendantes, qui signifia pour de bon la fin de la Guerre froide - dans l'élan indépendance la Tchétchénie, à forte composante musulmane, qui dépend de la fédération républicaine russe, tente depuis les années quatre-vingt d'acquérir son détachement de Moscou, n'hésitant pas à recourir aux actes de violence pour faire admettre la légitimité de ses revendications.
La mondialisation exclusive
Dans le redéploiement du monde après la disparition de l'Urss en tant que puissance contrant le capital mercantiliste et son implacable véhicule intercontinental, la mondialisation, les peuples «intermédiaires» qui ne parviennent pas à s'extraire du sous-développement, sont aujourd'hui pied et poings liés dans le cheminement du progrès, même s'ils disposent de ressources naturelles possédant de la valeur dans les échanges commerciaux internationaux. La plupart demeurent dans les modèles de gouvernance qui ne parviennent pas à nourrir chez les populations les réflexes de se dépêtrer des habitudes qui ne promettent pas sur les lendemains de modernité. Le progrès dans les patrimoines de la communication ouvre de grandes fenêtres sur les expériences du genre humain qui réussit dans les domaines de l'agriculture, l'industrie et les services, mais les paradigmes proposés par les dirigeants restent inefficaces. Les systèmes d'éducation et d'enseignement qu'ils offrent ne parviennent pas à transformer la famille et changer la façon d'être de la société. Lorsque les individus se sentent exclus d'un ordre de production -et de consommation- ils réagissent par le recours à la foi et les éléments qui réconfortent, qui rassurent et redonnent confiance, dans sa pratique- quitte à user de la violence. Dans les années quatre-vingt, en Algérie, les citoyens ont porté à la gloire un parti islamiste, quelque virulent qu'il fût parce qu'il l'opposait au parti au pouvoir qui a failli à toutes ses promesses.
Ces déperditions «comportementales» sont très peu marquées dans les pays industrialisés, même chez ceux qui ont accueilli et qui accueillent toujours les ressortissants étrangers. Ils peuvent se réclamer de la laïcité parce que les étapes pour y parvenir, en Occident, ont été réalisées et respectées durant tout le processus vers la consécration de la démocratie. Lorsque le président français dit : «Les évènements tragiques qui se sont déroulé en janvier en France m'ont complètement changé», faisant allusion à l'attaque contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo, on ne sait pas quels ont été les éléments l'ayant «changé», du moment qu'il ne peut ignorer que dans les fractions qui constituent le mouvement de l'Etat Islamique ou Daech, il existe des dizaines de nationalités, dont des européennes, notamment française, englobant des individus, des deux sexes, majeurs et vaccinés. Dont l'évolution dans leurs pays respectifs était en contradiction par rapport aux principes de la démocratie et des droits de l'Homme. C'est-à-dire des personnes, capables de crimes contre autrui dans n'importe quelle condition sociale bâtie dans l'insécurité essentielle, qui est celle du droit à la participation dans le groupe, pour le droit de vivre.
Les êtres en peine peuvent aller au pire de la violence, hissant au bout du bras n'importe quel pavillon. Et c'est au politique, dans la gestion des communautés, d‘inscrire l'intelligence nécessaire et suffisante pour que tout le monde puisse avoir sa part dans la mondialisation, quelle que soit sa foi ou sa non croyance. Une sagesse qui ne dit pas d'aller demander la fabrication des drones pour aller depuis, Washington, Londres ou Paris, bombarder des contrées, dont les habitants ne mangent pas à leur faim alors que l'Occident est menacé dans le plus sain de sa démocratie -pire que toutes les religions rebelles existante ou à venir- et qui est l'exclusion de la catégorie des populations
fragiles.
N. B.


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