Le tribunal criminel près la Cour d'Alger a décidé hier de reporter à une session ultérieure l'affaire liée au scandale de l'autoroute Est-Ouest, et cela en raison de l'absence de l'avocat français du principal accusé, Chani Madjdoub. Ce dernier a refusé catégoriquement d'être représenté par un autre avocat et a même rejeté froidement la proposition du juge de lui désigner un avocat d'office. Le juge Hallali, président de la séance, a fini, près de 5 heures après le début de la séance, par annoncer la décision du report. En effet, dès son ouverture, le juge a commencé par faire l'appel des accusés et des témoins. Parmi les 23 accusés, 16 personnes et 7 entreprises, seul Kouidri Tayeb était absent, toujours en fuite. Pour les témoins, le nombre des absents est beaucoup plus important. Juste après ont commencé les procédures préliminaires à la tenue de ce procès, à savoir la présentation des requêtes de la défense suivie des réponses du juge après délibération. La première demande présentée au juge est la constitution de l'agent judiciaire du Trésor comme partie civile. Cette demande a donné lieu à de nombreuses interventions des avocats de la défense qui, dans leur majorité, l'ont rejetée. Me Bourayou a ouvert le bal en affirmant qu'il était «inconcevable que l'agent judiciaire du Trésor (AJT) décide de se constituer partie civile 5 ans après, en plus sur convocation du procureur de la République». Me Bourayou, avocat de deux accusés parmi les prévenus, à savoir Bouchama et Hallab, a affirmé que l'AJT n'a pas qualité pour se constituer. Mais coup de théâtre, l'un de ses confrères, Me Berghel qui représente un même accusé que Me Bourayou, prendra la parole pour le contredire «les articles de lois sont claires. Chaque personne physique ou morale a le droit de se constituer partie civile et si l'agent du Trésor public veut se constituer. Il n'y a aucun problème. C'est le ministère des Travaux publics qui a délégué une partie de ses pouvoirs à l'Agence nationale des autoroutes (ANA, partie civile) et le ministère est représenté par l'AJT». Cette intervention n'a pas été pour plaire aux autres défenseurs qui ont défilé devant le juge pour récuser la constitution de l'AJT. Certains d'entre-eux ont rappelé que l'Etat est déjà représenté par l'ANA, d'autres ont expliqué que le Trésor n'a subi aucun préjudice, qu'il n'a pas été cité dans l'arrêt de renvoi et donc qu'au plus il pouvait se constituer comme une supposée victime. En répondant à ses confrères, l'avocat de l'AJT a été bref et précis : «Il y a une participation considérable de l'Etat dans les projets des institutions publiques qui sont, précisons-le encore, subrogés par l'Etat. Il s'agit donc de l'argent public et l'agent du Trésor public est en droit de représenter l'Etat.» Le représentant du ministère public, qui a appuyé cette constitution, a néanmoins tenu à affirmer que ce ne sont pas ses services qui ont invité l'AJT pour se constituer. Après toutes les interventions, le juge, qui s'est retiré pour délibérer, a annoncé sa décision : «Il est prématuré de récuser la constitution de l'agent du Trésor public comme partie civile. Nous traiterons de cette question une fois l'action publique entamée.» Loin de convaincre les avocats, cette décision amènera Me Miloud Brahimi à intervenir : «Vous avez décidé d'étudier la demande de constitution de l'agent du Trésor après le procès. Je tiens à parler au nom de l'ensemble de mes collègues pour vous informez que nous refusons catégoriquement l'intervention du représentant du Trésor au cours du procès. C'est déjà une honte et un scandale que la demande de ce dernier soit prise en considération.» Très calme le juge Hallali répond : «J'ai été très clair. L'objection est prématurée.» D'autres requêtes ont été formulées hier au juge dont celle de Me Maachaou Kamel, représentant du groupe Isolux corsan qui est poursuivi pour abus de pouvoir et corruption. L'avocat a demandé l'annulation des poursuites en s'appuyant sur le fait que les délits reprochés au groupe n'ont pas été commis par l'un des gestionnaires légaux, une des deux conditions sine qua non permettant d'accuser une personne morale. Me Ouali, représentant des deux frères Bouzanacha (qui font dans le marché informel de la devise), poursuivis quant à eux pour délit de violation de la législation relative aux mouvements de capitaux de et vers l'Algérie, a expliqué au juge que ses clients ont été impliqués dans cette affaire alors même qu'aucun PV des Douanes de constatation de l'infraction n'a été établi, ce qui représente, selon l'avocat, une violation flagrante des procédures. Plusieurs autres requêtes ont suivi avant que Me Bourayou ne reprenne la parole pour faire remarquer au président de séance que l'avocat de l'accusé Chani Madjdoub est absent. Le juge décide de se retirer pour délibérer en suspendant la séance pendant une heure trente. À son retour, il commencera par annoncer son rejet dans le fond de toutes les requêtes formulées. Il s'adressera ensuite à Chani Madjdoub, «qui vous représente ?». Et ce dernier de répondre : «Me William Bourgeon, un avocat français qui n'a pas pu se présenter aujourd'hui.» Le juge demande à l'accusé s'il est représenté par d'autres avocats, mais ce dernier insiste : «C'est mon principal défenseur et je tiens à sa présence.» À la question de savoir s'il voulait que le tribunal lui désigne un avocat d'office, l'accusé répond froidement : «Non j'ai les moyens de me payer des avocats. Faites cette proposition aux gens qui n'ont pas les moyens d'en avoir.» N'ayant pas d'autre choix, le juge Hallali décide d'annoncer le report du procès à une session ultérieure. Rappelons enfin que dans ce dossier qui a fait couler beaucoup d'encre, 16 personnes et 7 entreprises sont poursuivis pour plusieurs chefs d'accusations, dont association de malfaiteurs, blanchiment d'argent, abus de pouvoir, corruption et dilapidation de l'argent public. Parmi les accusés, Chani Madjdoub, déjà impliqué dans l'affaire du Faki (Fonds algéro-koweitien) qui remonte à une dizaine d'années, le secrétaire général du ministère des Travaux publics, Bouchama Mohamed, le chef de cabinet, Belkacem Bouferrach, le directeur des nouveaux projets auprès de l'Agence nationale des autoroutes, Mohamed Khelladi, Ouzane Mohamed (colonel Khaled) ainsi que l'intermédiaire Addou Tadj et son neveu Sid Ahmed. Les trois filles Ghereib (filles de l'ancien ambassadeur, député FLN et membre de l'autorité de lutte contre la corruption) sont également accusées dans cette affaire. L'affaire qui remonte à 2007, a éclaté après les investigations menées par les éléments de la direction de renseignements et sécurité (DRS). L'enquête a permis de découvrir que d'importantes sommes d'argent ont été perçues par des responsables du ministère des Travaux publics à différents niveaux en contrepartie de «facilitations» ou «informations» offertes à des entreprises étrangères dans le projet de l'autoroute Est-Ouest. H. Y.