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La vie droite de Germaine Tillion
Du combat antinazi à la décolonisation, la vie héroïque de l'ethnologu
Publié dans La Tribune le 30 - 05 - 2015

En raccourci, Germaine Tillion, ce sont trois expériences de jeunesse qui ont fait de sa vie ce qu'elle est devenue. Parmi les toutes premières bachelières de France, cette fille de la bourgeoisie catholique entre à l'université dans les années vingt. C'est là qu'elle rencontre Marcel Mauss, le plus grand nom de l'ethnologie française, intellectuel de haute facture, socialiste et ami de Jean Jaurès. Ses études la conduisent en 1933 en Prusse où elle observe de près la prise du pouvoir par les amis d'Hitler. Ensuite, sa première mission d'ethnologue la conduira dans les Aurès pour étudier les Chaouis. Ne connaissant pratiquement rien de ce sujet, elle s'initie à la langue berbère à l'Ecole des langues orientales (Inalco). En 1940, en plein exode en France, elle entend le discours de Pétain. Républicaine et progressiste, elle avait déjà vu le nazisme à l'œuvre. Elle s'engage alors intensément dans la Résistance au sein du réseau du Musée de l'Homme. Le 13 août 1942, elle est arrêtée, emprisonnée puis déportée en Allemagne. C'est alors l'expérience des camps de la mort. En 1954, au lendemain des premières actions des moudjahidine algériens, elle part en Algérie, à la demande du gouvernement de Pierre Mendès-France.
Dans les Aurès, sa première mission a lieu en 1935-1936. Germaine Tillion poursuit ses recherches dans ce qui est la alors la «commune mixte de l'Aurès», avec comme chef-lieu Arris où résident les administrateurs coloniaux. Elle parcourant d'abord la région de Menaâ où se trouvent quelques habitants parlant français, y recueille un grand nombre de contes et légendes. Puis elle s'installe sur le versant sud du djebel Ahmar Khaddou, à Kebach, centre de l'arch des Ouled Abderrahmane. À 70 km d'Arris, il faut plusieurs heures à cheval pour arriver en ces lieux alors très isolés. Kebach se situe dans le douar Tadjemout, aujourd'hui dans la wilaya de Biskra, douar qui regroupe les arch Beni Melkem et Ouled Abderrahmane. Les Ouled Abderrahmane sont des agriculteurs-éleveurs transhumants entre la bordure du Sahara en hiver et les hauteurs des Aurès en été. À Kebach, à mi-chemin, se trouve les guelaa, greniers collectifs où ils conservent les récoltes de blé et surtout d'orge. C'est donc ce groupe qui devient le sujet de sa thèse, qu'en 1938 elle envisage d'intituler Une «République du sud-aurésien».
Ses séjours réguliers dans les villes de Batna en été ou Biskra en hiver lui révèlent cependant que des tensions existent entre communautés indigène et européenne. En particulier, au début de 1935, elle rencontre le docteur Chérif Saadane, victime à Biskra de l'attitude raciste de la «bonne société». Cela l'amène à réinterpréter un certain nombre de faits apparemment anodins en termes de racisme manifeste. Par la suite, elle entre en contact avec d'autres intellectuels algériens, notamment Mohammed Bendjelloul, médecin à Batna ou des instituteurs qui éditent La Voix des humbles. En France, en 1938, elle apprend l'existence du mouvement formé autour de Messali Hadj. Elle a dès cette époque conscience des problèmes à venir de la société algérienne; elle en fait état lors d'une conférence à Paris en 1938, à la demande de William Marçais, créateur de la chaire d'arabe maghrébin à l'Inalco, et du commandant militaire arabisant Montagne.
Au total, de 1935 à 1940, Germaine Tillion effectue deux missions en Algérie, la première grâce à l'International Society (1935-1936), la seconde au CNRS (1939-1940). Une grande partie des travaux effectués pendant ces années a malheureusement disparu au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ce n'est qu'en 2000 qu'elle a publié un ouvrage consacré spécifiquement à l'Aurès : Il était une fois l'ethnographie, suivi en 2005 de L'Algérie aurésienne, avec un choix de ses photographies des années 1930.
De nouveau l'Algérie. Et une mission d'observation de novembre 1954 à février 1955. Le 1er novembre 1954, jour de la « Toussaint rouge», qui marque le début de la guerre d'Algérie, un des attentats les plus importants eut lieu dans les Aurès. Il s'agit de l'interception de l'autobus Biskra-Arris, suivi de la mort du caïd Ben Hadj Saddok et d'un instituteur venu de métropole, Guy Monnerot ; d'autre part, quatre militaires français sont tués à Batna et à Khenchela. Ces événements retentissants amènent l'éminent islamologue Louis Massignon à faire appel à Germaine Tillion. Il obtient pour elle une mission d'observation de trois mois du ministre de l'Intérieur de Pierre Mendès-France, François Mitterrand. Ce fut à partir du 25 novembre 1954. Sa mission se déroule principalement dans l'igamie de Constantine, surtout dans les Aurès où elle revient sur les lieux qu'elle a connus vingt ans avant, et qu'elle trouve assez changés. A Kebach, elle constate surtout la chute brutale du niveau de vie des Ouled Abderrahmane qui sont maintenant un millier, alors que la production agricole est de plus en plus précaire et la déstructuration de la société traditionnelle assez profonde.
Ce phénomène général, indépendamment de la répression militaire, qui touche particulièrement l'Aurès, aboutit à ce qu'elle va appeler la « clochardisation de la population algérienne», notamment par l'exode rural et la formation des bidonvilles autour des grandes villes. Elle pense qu'un effort doit être fait en priorité pour scolariser correctement et former professionnellement les jeunes Algériens du monde rural.
Dès lors, son implication sera encore plus forte, et revêtira désormais un cachet politique. À la fin de sa mission, elle revient à Alger au lendemain de la nomination comme gouverneur général du gaulliste et ancien résistant Jacques Soustelle, lui-même ethnologue. Il décide de lui confier une responsabilité en qualité de membre de son cabinet chargé des affaires sociales et éducatives. Sur le plan administratif, elle ne quitte cependant pas le Cnrs, dont elle est seulement «détachée».
Ce fut ensuite les centres sociaux à partir d'octobre 1955. C'est dans ce cadre qu'elle élabore avec un certain nombre de personnalités le projet des centres sociaux. Elle dit à ce propos : «Quand j'ai vu l'énorme épuisement de l'Algérie et l'énorme épuisement financier des familles, j'ai pensé que la seule chose qui était faisable était de nantir les paysans algériens d'un outillage leur permettant de survivre dans une ville, c'est pour ça que j'ai conçu les centres sociaux. Les centres sociaux, c'était un moyen de permettre à ceux qui le voulaient d'accéder à l'enseignement le plus élevé et à ceux qui ne le voulaient pas d'avoir un métier. J'ai considéré que l'on n'avait pas le droit de faire passer une paysannerie à l'état de citadin sans lui offrir un métier par personne.» Une leçon de réalisme et d'humanisme à méditer beaucoup de nos jours.
L'implication directe de Germaine Tillion prend fin rapidement du fait du rappel de Jacques Soustelle début 1956, désormais passé du côté des conservateurs, et la nomination de Robert Lacoste, socialiste qui mène une politique encore plus axée sur la répression à grande échelle dans laquelle Germaine Tillion, chose évidente, n'avait pas sa place. Face à cette politique du gros bâton, elle soutient le développement des centres sociaux jusqu'au début de 1957 quand elle se rend compte que les choses ont changé et notamment que la généralisation de la torture rend impossible tout arrangement politique. Les centres sociaux résistent cependant, fonctionnant plus ou moins bien dans un climat de plus en plus violent; leur histoire est marquée par des procès (1957, 1959) pour complicité active avec le FLN, et surtout par l'attentat de l'OAS le 15 mars 1962, tuant six des cadres, dont l'enseignant et écrivain algérien Mouloud Feraoun.
Après le départ de Jacques Soustelle, elle passe trois mois chez les Touareg dans le Sahara, avant de rentrer à Paris. Elle met notamment au point un texte sur la situation économique et sociale de l'Algérie, publié en plusieurs livraisons dans l'organe Voix et visages, puis sous forme de brochure. Ce texte, d'abord peu connu, touche un public beaucoup plus large lorsqu'il est publié tardivement en 1957 par les Editions de Minuit, provoquant de nombreuses critiques. Il fut reproché, entre autres, à l'auteur, de ne pas évoquer les questions politiques, en liaison avec les critiques dont fut alors l'objet Albert Camus, préfacier de l'édition américaine du livre. Elle intervient d'autre part en mai 1957 comme témoin de la défense dans le procès du moudjahid Mohammed Ben Sadok, qui a tué Ali Chekkal, ancien vice-président de l'Assemblée algérienne. Cela entraine sa rupture définitive avec Jacques Soustelle, témoin, lui, de l'accusation. Mohamed Ben Sadok échappe finalement à la peine de mort.
En juin 1957, alors que la « bataille d'Alger» fait rage depuis cinq mois, David Rousset, le grand résistant, compagnon de Sartre et un des fondateurs du Comité Maurice Audin, obtient de Guy Mollet une autorisation de visite des lieux de détention en Algérie. La Commission envoie en Algérie cinq personnes, dont Germaine Tillion. La mission dure du 18 juin au 3 juillet. Puis ce furent les contacts avec Yacef Saadi en juillet-août 1957. Responsable de la Zone autonome d'Alger, alors traqué par les parachutistes du général Massu, il sollicite de Germaine Tillion un entretien qui a lieu le 4 juillet 1957, dans la Casbah d'Alger; ce jour-là, elle le rencontre accompagné d'Ali la Pointe, et en présence de Zohra Drif et de Djamila Bouhired. L'entretien dure cinq heures d'où il en ressort que Yacef Saadi s'engage à mettre fin aux attentats en contrepartie d'un arrêt des exécutions capitales.
Revenue à Paris, elle a dès le 8 juillet une entrevue avec André Boulloche, ancien résistant et déporté, chef de cabinet du nouveau Président du conseil Maurice Bourgès-Maunoury. Il est décidé qu'elle reprenne contact pour, «à ses risques et périls», rencontrer un membre du CCE du FLN. Le 9 août, elle rencontre de nouveau Yacef Saadi, en présence de Zohra Drif, aucun membre du CCE n'ayant pu ou voulu venir. Yacef Saadi est arrêté le 22 septembre; étant donné qu'il a respecté son engagement concernant les attentats, Germaine Tillion s'efforce de le faire transférer de la garde prétorienne des parachutistes à celle de la justice civil. Puis, lors de son procès, en juillet 1958 à Alger, elle témoigne à décharge. Condamné à mort, il sera gracié par le général de Gaulle en 1959.
Le texte de son témoignage, publié dans la presse dès 1958, suscitera deux attaques acerbes, amenant Germaine Tillion à répondre publiquement, d'abord à Simone de Beauvoir en 1964, puis au général Massu en 1971.
Le combat anticolonialiste de Germaine Tillion, ce sont aussi d'autres engagements, d'autres interventions, notamment auprès de de Gaulle. Elle le rencontre pour la première fois en septembre 1957, à la demande du général, au sujet de son livre sur l'Algérie. Mais elle lui parle aussi de ses entretiens avec Yacef Saadi. Le 7 juin 1958, peu après son retour au pouvoir, elle lui écrit à propos du procès de Saadi qui doit avoir lieu peu après.
Sans oublier sa remarquable Lettre au cardinal Feltin : elle y évoque les différents problèmes posés par la conduite de la guerre, en particulier l'élimination des blessés et prisonniers rebelles, les nombreuses disparitions forcées de personnes arrêtées et la torture systématique et généralisée. De même, sa puissante Lettre à Albert Camus le 3 janvier 1959. Elle sollicite son appui pour la grâce de plusieurs condamnés, dont Yacef Saadi. Une année après, ce fut sa participation à partir de 1960 au groupe Vérité-Liberté, issu du Comité Maurice Audin de 1957. Pierre Vidal-Naquet indique qu'elle était unanimement respectée sauf, pour des raisons encore obscures, par Jacques Vergès, qui, manifestement, ne la portait pas dans son cœur. Mais cette femme de cœur et de conviction, n'en avait cure.
Plus tard, durant les années 1990, on verra ce bout de femme qui cachait un cœur de lion et des convictions solides comme les montagnes de son Aurès d'étude, défendre l'Algérie sur les antennes de radio et les plateaux de télés. L'Algérie qui était isolée sur la scène internationale et combattait le terrorisme seule, en avait bien besoin. De cette modeste mais puissante voix de la Juste.
N. K.


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