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Drames sociaux et questions existentielles sur les planches du TNA
Etteffah et Foundoq El aâlamayne en lice au 10e FNTP
Publié dans La Tribune le 31 - 05 - 2015

La compétition du 10e Festival national du théâtre professionnel (Fntp) a atteint sa vitesse de croisière avec des œuvres des plus intéressantes, à l'instar de celles présentées vendredi dernier par les théâtres régionaux d'Oran et de Skikda. La salle Mustapha-Kateb du Théâtre national d'Alger Mahieddine-Bachetarzi (TNA), a accueilli un public nombreux lors de ces représentations. Le Théâtre d'Oran, qui porte le nom de Abdelkader Alloula, est entré en lice dans cette 10e édition avec un texte du regretté dramaturge, dont la puissance du verbe est toujours d'actualité, vingt-et-un ans après sa mort. Adaptée et mise en scène par Samir Bouannani assisté par Abdelkader Belkaïd, la pièce Etteffah se déroule dans l'espace de toilettes publiques souterraines.
Le public est convié à suivre le destin de l'ouvrier qui a perdu son emploi suite à la privatisation de l'usine de textile où il travaillait, et qui est en quête d'une pomme pour assouvir les envies de sa femme enceinte. Il y a aussi ce comédien de théâtre marginalisé par ses pairs et qui ne trouve que cet espace pour s'exprimer. Et enfin, un ajout au texte originel de Alloula, une famille démunie jetée à la rue et qui ne trouve que cet espace pour que son fils puisse étudier et décrocher son bac.
Ainsi, les toilettes deviennent un espace où est présenté le diagnostic d'une société en mal être, et la pomme, au-delà de la symbolique de la discorde, devient aussi le symbole de la mère-patrie dont le principal désir est la réussite de sa jeunesse pour une société citoyenne loin de toutes formes d'obscurantismes.
La représentation a été portée par les talentueux Amine Missoum, dans le rôle du gardien de toilettes, Hocine Farés dans celui du goual et des comédiens Mustapha Meratia, Malika Nedjadi, Sanae Nechad, Zakaria Akil, Billel Benzouika et Bey Nasser.
Amine Missoum, qui n'est pas remonté sur les planches du TNA depuis 2009, année où il avait remporté le prix de meilleur espoir masculin, a endossé avec justesse le rôle de l'employé qui gère ces toilettes publiques. Un lieu où se cristallisent les préoccupations et le malaise de tout un peuple. L'employé, ancien syndicaliste, offre dans ces sanitaires publics un espace de liberté où chacun peut s'exprimer, «vomir» sa révolte et son sentiment d'injustice, tout en respectant l'autre dans une discipline et une réglementation spartiate.
Après 21 ans, Etteffah toujours d'actualité
Amine Missoum confiera à la fin du spectacle que «certes, ce n'était pas évident de reprendre un rôle déjà interprété par le grand Sirat Boumediène, mais j'ai fait le choix délibéré de ne pas visualiser son jeu dans cette pièce. J'ai opté pour ma propre approche, tout en suivant les directives du metteur en scène qui m'a donné la chance de remonter sur scène». Le talentueux comédien a souligné que le fait d'avoir travaillé par le passé sur les textes de Alloula, et sa compréhension profonde de ce grand homme de théâtre ont largement contribué à habiter le personnage et le rendre authentique sur scène. Car, au-delà de la musicalité du verbe de Alloula, l'attention a été portée sur la symbolique de la gestuelle et du mouvement sur scène où chaque mouvement et chaque objet sont justifiés, à l'instar de la serpillère brandie tel un étendard.
Lors des débats qui ont suivi la représentation, l'assistant metteur en scène, Abdelkader Belkaïd, a souligné qu'«il était important de faire découvrir Alloula à la nouvelle génération du théâtre en Algérie». Il soulignera qu'«il fallait apporter une touche nouvelle avec l'introduction d'un troisième personnage, celui du jeune bachelier, hébergé dans les toilettes, qui finira par réussir. Le lien entre les représentations, qui ont 21 ans d'intervalle, était la séquence du flashback, avec l'ajout de ce troisième personnage. Cela nous a permis de poser des questions actuelles tels que le charlatanisme et la médecine parallèle qui font des ravages dans notre société».
Pour le directeur du TRO, Ghaouti Azri, «cela fait 21 ans que Alloula a été assassiné et également 21 ans que Eteffah a été écrite. Le metteur en scène a fait un choix délibéré d'éclater les différents personnages qu'avaient interprétés Sirat Boumediène et Benziane Blaha sur plusieurs comédiens pour marquer, d'une part, la réactualisation de la pièce théâtrale et, d'autre part, pour offrir aux jeunes comédiens l'opportunité de s'approprier le texte de Alloula. Je pense que c'est la meilleure manière de lui rendre hommage». Il soulignera à propos du rajout de la partie de la famille prise en charge par le gardien des toilettes publiques, que «cette scène a été ajoutée pour exprimer la solidarité des pauvres entre eux et pour voir les difficultés que rencontre notre jeunesse pour accéder à des diplômes supérieurs».
Foundoq El aâlamayne, texte puissant sublimé par la mise en scène
La deuxième pièce à avoir ravi les amateurs du 4e art présents, vendredi dernier, au TNA, est Foundoq el aâlamayne (Hôtel des deux mondes) produite par le Théâtre régional de Skikda. Dès le lever de rideau, le spectateur est plongé dans une atmosphère surréaliste, où les effets de lumière et sonores annoncent que l'action se déroule dans un espace surréaliste intemporel.
Mise en scène par Ahmed Aggoune, la pièce est adaptée du texte d'Eric Emmanuel Schmidt et s'articule autour de questions existentielles. La conception de la mort, de la vie, la notion du destin et du libre arbitre sont autant de questionnements posés dans la représentation portée par un excellent jeu des comédiens qui incarnent les cinq principaux protagonistes de la pièce.
L'histoire se déroule dans ce qui semble être un hôtel ultra moderne, mais il s'agit en fait d'un lieu suspendu entre la mort et la vie où se retrouvent les âmes et les esprits de personnes plongées dans le coma et qui attendent leur retour à la vie et leur passage dans l'au-delà symbolisé par un ascenseur. C'est l'occasion de suivre le destin d'un journaliste, d'un haut responsable, d'un astrologue, d'une femme de ménage et du touchant personnage de Laura, clouée dans un fauteuil roulant en attente d'une greffe de cœur et qui dans ce lieu est pleine de vie et de mouvements graciles.
Au-delà du tragique de la situation, les personnages expérimentent dans ce lieu les sentiments d'amour, de remise en question, de rédemption et d'héroïsme. Les personnages, pétris de fragilité et de force, ont pris vie sur scène avec légèreté et gravité, grâce à la maîtrise de tout un registre d'émotions, d'expressions corporelles et de dictions des talentueux comédiens Khalifa Shahrazade, Abdelraouf Boufnaza, Seyfddine Bouha, Ali Namouss, Adel Ahmed Azila, Nora Dalila et Soumaya Albani .
La pièce donne lieu à des passages de chorégraphie pertinemment introduits dans le déroulement de l'intrigue par la chorégraphe Nouar Adami. Elle confiera que son travail a également porté sur le jeu des acteurs et les mouvements sur scène, ce qui donne plus de fluidité et d'authenticité à chacun des personnages.
Il est également à saluer encore une fois le travail du scénographe Abderrahmane Zaboubi qui, cette fois-ci, a opté pour une atmosphère privilégiant un décor épuré et une mise en relief des effets lumineux, et le choix du gris, et de la couleur blanche pour les costumes. Il précisera que «comme c'est une action qui se passe dans l'esprit du personnage, le gris est un symbole de la matière grise, il y a eu le même souci sémiologique pour le choix du blanc et l'utilisation des lumières et de la musique. Je tiens à saluer le travail des techniciens et de la conception musicale de Hassen Lamamra».
Le talent du metteur en scène Ahmed Lagounne est d'avoir sublimé un texte qui peut paraître élitiste, avec un choix pertinent d'éléments scéniques harmonieusement agencés. Grâce à la magie du 4e art et au talent des techniciens et des comédiens, les scénographies et la chorégraphie ont captivé le public qui a longuement ovationné le spectacle.
S. B.


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