Les créanciers avaient promis de reverser à la Grèce les profits réalisés sur la détention de la dette hellénique par la BCE. Mais depuis 2013, Athènes n'a pas reçu un centime de cette somme qui reste bloquée, pour des raisons politiques, et malgré une apparente détente dans les négociations Alors que la crise migratoire, malgré l'accord de l'Union européenne avec la Turquie, se poursuit et que de nouvelles - et lourdes - responsabilités vont être attribuées à la Grèce, le pays doit toujours mener des négociations serrées avec ses créanciers. Le ministre des Finances helléniques a indiqué ce mardi 22 mars devant le parlement grec qu'il espérait pouvoir conclure la première revue du programme d'ici au 13 avril. Selon lui, un accord global avec les créanciers, incluant la très contestée réforme des retraites, pourrait avoir lieu dans un mois. Des signes de détente ? Il semblerait, du reste, que la tendance chez les créanciers soit plutôt à la détente. Même le très orthodoxe ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble a reconnu lundi 21 mars que les créanciers «prennent en compte» l'absence de majorité d'Alexis Tsipras pour une réforme révisée des retraites, tout en s'assurant que «ce qui a été décidé cet été soit réalisé.» La raison de cette soudaine bienveillance est sans doute moins en soi l'inquiétude de l'Eurogroupe pour la majorité du premier ministre que la nécessité pour l'Allemagne principalement de disposer d'un gouvernement stable à Athènes pour gérer l'application de l'accord avec la Turquie et continuer à gérer la fermeture de la «route des Balkans». Car cette fermeture, déclenchée par l'Autriche à la mi-février, fonctionne. En mars, 5 280 réfugiés sont entrés en Bavière, contre 74.000 en janvier. Et pour cause : près de 50 000 réfugiés sont désormais «coincés» en Grèce. Il est essentiel pour l'UE qu'ils y restent et, pour cela, il faut donner des gages au gouvernement grec. Pierre Moscovici, le commissaire aux affaires économiques, ne s'en est pas caché mardi : il a confirmé que la Commission était effectivement prête à desserrer la pression sur la Grèce pour l'aider à gérer la «crise migratoire.» On comprend donc mieux pourquoi ce discours d'apaisement intervient en ce début de semaine. Les lourdes charges que la Grèce a dû accepter vendredi dans l'accord UE-Turquie auraient donc une «compensation», comme plusieurs informations publiées précédemment le laissaient entendre. Bienveillance limitée Reste que cette «bienveillance» a des limites. Le projet de réforme du gouvernement était déjà douloureux, il sera sans doute encore légèrement durci pour ne pas laisser l'impression d'une «capitulation» des créanciers. L'étreinte se desserre, mais le contrôle se maintient. La renégociation de la dette, qui, devait initialement débuter en septembre ou octobre et qui débutera sans doute en mai ou juin, sera l'occasion de mesurer réellement si les créanciers ont modifié leur approche de la question grecque. C'est mal parti si l'on en croit ce même Wolfgang Schäuble, mercredi 23 mars, qui a rejeté toute coupe dans le stock de dettes. Pour finir, les créanciers disposent d'un moyen simple de «soulager» le gouvernement hellénique qu'ils n'utilisent pas pour le moment. Le programme SMP Car les créanciers européens sont assis sur un véritable trésor qu'ils ont le pouvoir de remettre ou non à Athènes : les profits réalisés par la BCE sur les achats de dettes grecques effectués en 2010 et 2011 dans le cadre du programme «Securities Markets Programme» (SMP). Pour comprendre ce dont il s'agit, il convient de revenir en arrière, à l'automne 2010. A cette date, en effet, la BCE avait décidé pour calmer les attaques contre les dettes souveraines de procéder à des rachats de dette, notamment grecque. La BCE agissait alors comme un investisseur normal. Elle achetait des titres et attendait comme tout investisseur un remboursement de ces titres et le versement des intérêts qui y sont liés. La décision de reverser les intérêts touchés par la BCE Cette «normalité» a trouvé ses limites lors de la restructuration de la dette privée grecque (appelée «PSI») en mars 2012. La BCE s'est alors prévalue de son indépendance et son caractère «public» pour refuser de participer à cette mesure qui réduisait de 75% la valeur de la dette hellénique. La BCE a donc continué à toucher des intérêts de l'Etat grec. En février 2013, la BCE annonçait avoir gagné pas moins d'1,1 milliard d'euros sur ces titres, argent versé par l'Etat grec qui empruntait aux Européens pour pouvoir le payer... Il s'en était suivi un certain scandale qui avait déterminé les créanciers à modifier leur position : les bénéfices tirés de la détention des titres grecs dans le cadre du SMP, mais aussi de l'ANFA (un programme de rachats de titres par les banques centrales nationales) seraient reversé à Athènes moyennant un «bon comportement» du gouvernement grec dans l'application du programme issue du mémorandum. En 2013, la Grèce a ainsi reçu près de 3 milliards d'euros, ce qui lui a permis de dégager son premier «excédent primaire.» Mais, depuis, plus un euro n'a été versé à la Grèce dans ce cadre. Une «grâce» bien coûteuse Longtemps, ce reversement des profits sur la dette grecque achetée par la BCE a été présenté comme une « grâce » faite à la Grèce pour «l'aider». Grâce dont les ingrats Hellènes ne savaient pas reconnaître l'ampleur. Dans une lettre de mars 2013 au député européen français Liêm Hoang Ngoc, Mario Draghi parle d'un «soutien substantiel» à la Grèce. Mais cette «aide» soutient un pays qui s'est préalablement endetté pour la payer et qui ne devrait pas avoir payé après 2012 si la BCE avait participé au PSI. Le «cadeau» est donc très relatif, notamment au regard du stock de dettes immense de la Grèce. Ensuite et surtout, cette «grâce» est politiquement conditionnée. Fortement. Et cette condition est l'acceptation d'une politique économique d'austérité dont le succès en Grèce reste encore à démontrer et qui a surtout eu pour conséquence l'effondrement de l'économie. Donc l'augmentation du ratio d'endettement du pays. En réalité, cette «grâce» est un moyen de pression sur le gouvernement grec, une façon de le rendre obéissant alors même que la détention de ces titres par la BCE est contestable. Promesses non tenues Cette dernière condition est aujourd'hui évidente puisque depuis l'arrivée au pouvoir le 25 janvier 2015 d'Alexis Tsipras a conduit au gel de ces versements. Et malgré la signature du troisième mémorandum le 19 août 2015 et la mise en place des premières mesures de ce dernier, l'argent reste bloqué. Durant les six mois de crise entre Athènes et ses créanciers, le gouvernement Tsipras a longtemps demandé le déblocage des bénéfices pour 2014, mais cela lui a toujours été refusé. Lors des négociations très serrées entre le référendum du 7 juillet et la conclusion de l'accord du 13 juillet, il semble que l'idée d'utiliser ces profits immédiatement ait été émise. Dans un document du 10 juillet de la Commission européenne, proposant des financements pour la Grèce, cette possibilité est clairement démontrée : «Si les Etats membres sont d'accord, les profits SMP de 2014 et 2015, bien qu'insuffisants, pourraient être utilisés pour payer les arriérés du FMI et les autres paiements à venir», souligne le texte. Il est possible que cet argument ait pu jouer dans la décision du gouvernement grec d'accepter un accord. La Grèce n'a rien touché depuis 2013 Or, le versement n'a pas eu lieu. Les paiements de juillet ont été réglés par un prêt provisoire qui a été ensuite intégré au programme actuel. En réalité, la Grèce n'a toujours pas reçu un centime de cette somme qui, pour 2014 et 2015 s'élève à 3,3 milliards d'euros. La BCE plaide non-coupable. «La BCE a versé les profits réalisés sur les titres grecs aux banques centrales nationales, elle ne décide pas de l'usage de ces profits», affirme-t-on à Francfort. La BCE n'est donc pas concernée par ces reversements, elle n'a pas le pouvoir de les verser à la Grèce. Selon nos informations, les banques centrales ont en effet transmis ces profits aux trésors nationaux qui les ont placés sur un compte luxembourgeois. Pour le débloquer, il faut une décision de l'Eurogroupe et «cela est très politique», reconnaît une source européenne. La Grèce pas assez obéissante pour toucher cette cagnotte La somme n'est pas négligeable lorsque l'on songe que le gouvernement négocie pied-à-pied avec les créanciers pour un ou deux milliards d'euros de soutien financier. Selon le document de la Commission, le montant des profits à reverser à la Grèce d'ici à 2018 s'élève à 7,6 milliards d'euros. Or, le montant global des dettes que la Grèce doit rembourser d'ici à la fin 2018 est de 25,6 milliards d'euros. Ce reversement peut donc permettre de couvrir 29,7% des engagements de la Grèce sur les trois prochaines années. Mais pour l'obtenir, il faudra se montrer obéissant. Or, malgré les signes de détente, l'Eurogroupe trouve le gouvernement grec encore trop peu obéissant. Wolfgang Schäuble ce mercredi 23 mars l'a confirmé : «Selon la troïka (le ministre allemand s'oblige à utiliser ce terme honni en Grèce), la Grèce est en retard sur la mise en œuvre du programme.» Il y a donc fort à parier que, avant de voir revenir les intérêts dans ses caisses, le gouvernement grec doive encore réduire sa résistance aux demandes des créanciers. Ceci est clairement un piège pour le premier ministre grec. Le dilemme de Tsipras Car Alexis Tsipras a fait de «l'aménagement» des mesures prévues sa «marque de fabrique.» Elle lui permet de justifier son acceptation du troisième mémorandum vis-à-vis d'un électorat qui est de moins en moins convaincu (Syriza est désormais devancée dans les sondages par les Conservateurs de Nouvelle Démocratie). Si Alexis Tsipras abandonne toute forme de résistance, il est politiquement en danger, mais peut espérer toucher les revenus de la BCE. S'il refuse de changer, il sauve sa majorité, mais demeure dans une logique d'urgence financière permanente. Si l'Eurogroupe ne libère pas les intérêts du SMP après la première évaluation, il apparaîtra évident que l'allègement de la pression sur Alexis Tsipras, et le souci de préserver sa majorité proclamé par Wolfgang Schäuble seront inexistants. R. G.