La BCE a mis le couteau sous la gorge d'Athènes mercredi soir en privant les banques grecques d'un important canal de financement, contraignant les Européens à s'entendre sous peine de crise de financement de l'Etat grec. Le ministère grec des Finances a tempéré la portée de la décision de l'institution monétaire de Francfort, en assurant peu après qu'elle n'avait "pas de répercussions négatives" sur le secteur financier du pays qui reste "totalement protégé" grâce aux autres canaux de liquidités toujours disponibles. Cette décision de la BCE, ajoute le ministère dans un communiqué, "met la pression sur l'Eurogroupe (la réunion des ministres de Finances de la zone euro, ndlr) pour progresser rapidement vers la conclusion entre la Grèce et ses partenaires d'un accord qui bénéficie à chacun" sur l'avenir de la dette grecque et des réformes économiques du pays. La BCE a annoncé qu'elle suspendait un régime de faveur accordé jusqu'ici aux banques grecques, qui leur permettait d'emprunter de l'argent auprès de la BCE avec des garanties inférieures à ce qu'elle exige habituellement. Le communiqué de la BCE a fait l'effet d'une bombe sur les marchés financiers, l'euro chutant nettement à son annonce. Dans la journée encore, le ministre grec des Finances Yanis Varoufakis était venu en personne à Francfort demander à Mario Draghi, président de la BCE, de quoi "garder la tête hors de l'eau" le temps de s'entendre avec ses partenaires européens. La nouvelle équipe aux manettes à Athènes, menée par le chef du parti de la gauche radicale Syriza, Alexis Tsipras, veut renégocier sa dette de plus de 300 milliards d'euros et mettre fin à la cure de rigueur imposée par ses partenaires en échange de leur aide. MM. Tsipras et Varoufakis sont depuis dimanche en tournée européenne pour rallier les soutiens et expliquer leurs vues.
Jusqu'à 60 milliards d'euros de prêts d'urgence aux banques La Banque centrale européenne (BCE) est prête à accorder jusqu'à 60 milliards d'euros de prêts d'urgence aux banques grecques, a indiqué une source proche des banques centrales. Ce montant confirme une information du quotidien allemand Die Welt. Contactées, la BCE et la Banque centrale de Grèce se sont refusées à tout commentaire. Mais le conseil des gouverneurs réuni mercredi a maintenu la procédure qui permet aux établissements hellènes d'obtenir des liquidités d'urgence auprès de la Banque centrale grecque. Cette procédure connue sous le nom d'ELA (Emergency Liquidity Assistance), constitue un des derniers ballons d'oxygène des banques grecques, qui elles-mêmes permettent à l'Etat grec de se financer en achetant les obligations qu'il émet. En fixant un cadre très généreux à ce mécanisme ELA, dernier parachute, la BCE, après avoir envoyé un signal politique à Athènes, s'assure que le système bancaire grec ne sera pas pour autant à sec dans les semaines à venir. Sur les 60 milliards disponibles dans le cadre de la procédure ELA, le bilan financier hebdomadaire de l'eurosystème publié mardi suggère que les banques grecques ont emprunté 3,5 milliards d'euros la semaine dernière, selon plusieurs analystes. La presse grecque et Die Welt évoquent un chiffre "d'environ 5 milliards d'euros" en toutes ces dernières semaines. La BCE "ne veut certainement pas prendre la responsabilité de pousser la Grèce hors de l'euro" en asséchant toutes les sources de financement, expliquait Dario Perkins, économiste chez Lombard Street Research. Dans un entretien au quotidien économique Börsenzeitung jeudi, le président de la très orthodoxe banque centrale allemande Bundesbank, Jens Weidmann, a exprimé l'espoir que "des critères stricts soient appliqués (aux prêts) ELA".
Augmenter la pression M. Varoufakis était reçu jeudi par le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, l'un des plus fervents défenseurs de la rigueur budgétaire en Europe. Ce devrait être la dernière étape de cette opération séduction déjà pas très bien engagée, et à laquelle la BCE vient de porter un sacré coup. "Sur le fond", les autres Européens ont campé sur leurs positions, a estimé mercredi la chancelière allemande Angela Merkel. Ils ne veulent pas d'effacement de la dette, et veulent qu'Athènes continue ses réformes structurelles. A Paris où il a reçu mercredi M. Tsipras, le président français François Hollande a prôné "deux principes": la "solidarité" mais aussi le "respect (...) des règles européennes qui s'imposent à tous". Et à Bruxelles le président du Conseil européen Donald Tusk a laissé entrevoir "des efforts acharnés" pour parvenir à une solution. M. Draghi n'était visiblement pas enclin à se montrer plus accommodant. Il a demandé mercredi à M. Varoufakis de "négocier rapidement et de manière constructive" avec ses partenaires de l'Eurogroupe afin d'assurer "la stabilité financière" de la Grèce, selon une source à la BCE. Joignant le geste à la parole, le conseil des gouverneurs réuni mercredi après-midi a décidé d'augmenter la pression sur Athènes. La disposition qu'il suspend permettait aux banques grecques de financer des achats d'obligations grecques, et donc à l'Etat grec de lever de l'argent. Elle était conditionnée au programme d'aide dont bénéfice Athènes, et ce encore jusqu'à février.
Pas à sec Mais "il n'est pas possible à l'heure actuelle d'anticiper une issue positive" du programme d'aide, écrit la BCE dans son communiqué. En d'autres termes, il lui faut de la clarté sur le devenir du programme - les réformes lancées vont-elles être menées à bien ? Que se passera-t-il après fin février ? - avant de rouvrir ce robinet. L'institution ne laisse pas les banques grecques complètement à sec : d'une part, elles pourront toujours apporter en garantie à la BCE d'autres actifs que de la dette publique grecque ; d'autre part, elles pourront bénéficier d'un mécanisme d'urgence, appelé ELA, qui leur permet de recevoir des fonds de la Banque de Grèce en cas de crise de liquidité. Le coup de semonce de la BCE survient alors que M. Tsipras s'est dit mercredi à Bruxelles "très optimiste" sur la possibilité de "trouver une solution viable pour notre avenir". Il a proposé un plan de réformes et de financement sur quatre ans (2015-2018), a indiqué une source gouvernementale à Athènes. Ce plan comprend un programme "radical" en matière de lutte contre la corruption et la fraude fiscale, couplé à un allègement des obligations budgétaires de la Grèce, a ajouté cette source. Plusieurs dirigeants européens ont réclamé des mesures contre la corruption et le clientélisme, parmi eux le président du Parlement européen Martin Schulz ou encore le vice-chancelier du gouvernement allemand et ministre de l'Economie, Sigmar Gabriel.
La Grèce n'acceptera pas de chantage La Grèce ne souhaite exercer de chantage sur personne mais n'a pas l'intention d'accepter elle-même un chantage, a indiqué jeudi une source gouvernementale aux médias après la décision de la BCE de couper un des canaux de financement des banques grecques. La même source a réaffirmé que la liquidité des banques grecques est totalement assurée grâce aux autres moyens dont elles disposent toujours pour se financer, et a estimé que la décision de la BCE constituait une pression pour pousser à un accord entre la Grèce et ses créanciers sur la dette grecque. A la Banque de Grèce, on affirmait jeudi matin, à peu près dans les mêmes termes, que la stabilité du système bancaire grec et la liquidité des banques grecques ne seront pas affectées par la décision de mercredi de la BCE. Le gouvernement est engagé à trouver une solution bénéfique tant pour la Grèce que pour ses partenaires, a ajouté la source gouvernementale, misant sur la poursuite des négociations en cours dans le cadre des règles de l'UE pour y parvenir. Alexis Tsipras est de retour en Grèce après un déplacement de plusieurs jours en Europe qui l'a emmené à Chypre, Rome, Paris et Bruxelles pour discuter de l'allègement du fardeau de sa dette sollicité par Athènes et d'un plan de réformes de l'économie du pays sur quatre ans.
Pas de discussion sur la dette avec le gouvernement Le FMI a affirmé n'avoir eu aucune discussion avec la Grèce sur une renégociation de la dette que le pays doit à l'institution, un de ses bailleurs de fonds au sein de la troïka. Il n'y a eu aucune discussion avec les autorités sur une changement dans le cadre général de la dette, a indiqué une porte-parole du Fonds monétaire international, en réponse aux déclarations d'Athènes proposant au FMI un échange de titres de dette. Dans un entretien publié en Italie mercredi, le ministre grec des Finances Yanis Varoufakis a indiqué avoir entamé des négociations avec le FMI pour remplacer ses titres de dette existants par des titres plus récents au taux du marché et dont le remboursement serait lié au retour d'une croissance solide dans le pays. Depuis son arrivée au pouvoir à Athènes, le parti de gauche radicale Syriza affiche sa volonté de renégocier sa dette publique avec les capitales européennes et le FMI, qui ont prêté au pays quelque 240 milliards d'euros, au fil de deux programmes d'aide conclus en 2010 et 2012. Il y a un cadre général de discussion pour gérer la dette dans le programme actuel, a martelé la porte-parole du FMI dans un très bref communiqué. La Grèce doit rembourser au total près de 25 milliards d'euros au FMI, selon le site internet de l'institution. Celle-ci bénéficie en théorie d'un statut de créancier prioritaire qui lui garantit d'être remboursée en intégralité par les pays placés sous son assistance financière et interdit en principe toute restructuration de sa dette.
Schäuble et Varoufakis constatent leur "désaccord" Les ministres grec et allemand des Finances Yanis Varoufakis et Wolfgang Schäuble ont fait état de leur désaccord sur de nombreux points jeudi lors d'une conférence de presse. Ils ont indiqué n'avoir pas trouvé de solutions au problème posé à la zone euro. "Nous ne sommes pas encore vraiment d'accord sur ce que nous devons faire maintenant", a reconnu M. Schäuble à l'issue d'un entretien avec son homologue grec. Mais "nous sommes tombés d'accord sur le fait que nous ne sommes pas d'accord", a-t-il dit. M. Varoufakis, qui achève sa tournée européenne par cette étape cruciale à Berlin, n'est même pas allé jusque-là. "De mon point de vue, nous ne sommes même pas tombés d'accord sur le fait de ne pas être d'accord", a-t-il dit. "Nous sommes d'accord pour commencer des délibérations, en tant que partenaires, avec une orientation commune vers une solution commune aux problèmes européens". La rencontre de jeudi n'était pas là pour apporter des solutions, ont précisé les deux hommes. Un effacement partiel de la dette grecque n'est "pas d'actualité" et n'était pas sur la table, ont souligné les deux ministres.
Pas dans la bonne direction M. Varoufakis a affirmé que la Grèce faisait "tout pour éviter" le défaut de paiement, au lendemain d'une décision de la Banque centrale européenne (BCE) qui complique le financement des banques grecques et de l'Etat grec. Athènes est en pleine tentative de renégociation de son énorme dette. M. Schäuble a estimé que les discussions sur la dette grecque "devaient être conduites" avec la troïka rassemblant ses créanciers publics, soit la Commission européenne, la BCE et le Fonds monétaire international (FMI), écartant l'idée d'un changement d'interlocuteur. Athènes, très remonté contre la troïka, ne veut plus y avoir à faire. Inflexible défenseur de la rigueur budgétaire en Europe, le grand argentier allemand a confié n'avoir "pas pu cacher son scepticisme" à son homologue sur certaines mesures annoncées par le nouveau gouvernement grec, qui ne vont "pas forcément dans la bonne direction". En soirée, environ 5 000 personnes ont répondu à Athènes à un appel à manifester contre le "chantage" exercé sur le gouvernement grec. De nombreux manifestants présents ont voulu montrer "leur soutien" au gouvernement de Syriza qui "ose défendre les intérêts".
Tsipras promet des réformes à l'UE Le Premier ministre grec Alexis Tsipras a proposé à l'UE un plan de réformes et de financement sur quatre ans pour permettre à son pays de "garder la tête hors de l'eau". Il a aussi appelé Paris à la rescousse pour soutenir la croissance de l'économie européenne. Les nouveaux dirigeants grecs ont poursuivi leur tournée européenne pour tenter de convaincre de la nécessité d'alléger le fardeau de la dette colossale de leur pays. Elle atteint quelque 230 milliards d'euros et 177 % du PIB. A Bruxelles, M. Tsipras a été reçu chaleureusement par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Il a proposé la préparation, avec l'Union européenne, d'un plan de réformes et de financement de 2015 à 2018, a indiqué une source gouvernementale grecque. Cette mesure intègre un programme "radical" en matière de lutte contre la corruption et la fraude fiscale, couplé à un allègement des obligations budgétaires de la Grèce, a dit cette source à l'issue d'un entretien entre le Premier ministre et le président de la Commission européenne.