«Il est impossible pour la BCE de faire plus pour pousser les institutions financières à accroître l'offre de crédit. Malheureusement, cela ne signifie pas que le crédit va augmenter et permettre le rebond de l'économie» Mario Draghi n'avait plus le choix. Une situation macroéconomique de plus en plus précaire, la déflation qui s'installe en dépit de tous les efforts, et des marchés qui passent d'une crise de nerfs à l'autre, ont mis la Banque centrale européenne (BCE) le dos au mur. Elle ne pouvait pas, le dix mars, annoncer des mesures susceptibles de décevoir les attentes comme en décembre 2015. Et les marchés n'ont pas été déçus. Mario Draghi a annoncé trois groupes de mesures, qui seront mises en œuvre dans les prochaines semaines. 1) Les taux baissent à nouveau. Les prêts à court terme (techniquement appelé «opérations de refinancement», qui constituent la majeure partie du financement du secteur bancaire), sont aujourd'hui à taux zéro ; les taux sur les réserves excédentaires, à savoir la rémunération des liquidités, hors réserves obligatoires que les banques gardent oisives auprès de la BCE baissent de -0,3 % à -0,4 % ; un taux négatif qui représente un « impôt « imposé aux banques qui décident de ne pas faire circuler la liquidité. 2) L'assouplissement quantitatif est accéléré, avec la liquidité injectée dans le système qui passe de 60 à 80 milliards par mois. Plus important, la BCE a annoncé que les 80 milliards comprendront non seulement des titres d'Etat, mais aussi des obligations émises par de sociétés non financières. Nouveaux programmes de financement à long terme 3) Enfin, la BCE a annoncé quatre nouvelles vagues de prêts à long terme pour les banques (les opérations de refinancement à long terme ciblées dites «Targeted Long Term Refinancing Operations» T-LTRO), qui seront en mesure d'emprunter avec une échéance de quatre ans, et des taux qui peuvent être négatifs si les montants empruntés sont prêtés aux firmes et aux ménages. Le deuxième et surtout le troisième constituent les points forts de l'annonce. Concernant l'assouplissement quantitatif, la modification de sa nature est évidente. L'achat direct de titres de sociétés non financières transforme la BCE en financeur direct de l'activité économique. Certes, pour le moment, les titres éligibles ne sont pas très nombreux, mais le principe a été établi, que la BCE peut mener des politiques dites «quasi budgétaires» de soutien direct à l'économie. En procédant ainsi, la BCE a fait un pas, suivant la formule consacrée vers «le lancer de monnaie par hélicoptère» («helicopter money», (selon l'économiste américain Milton Friedman (1912-2006)), c'est-à-dire l'octroi de liquidités à l'économie sans passer par les intermédiaires financiers. A ceci s'ajoutent les nouveaux programmes de financement à long terme, le T-LTRO, qui pour la première fois sont à des taux négatifs. Cette mesure vise à alléger la charge que représentent pour le système bancaire les taux négatifs sur les réserves excédentaires, tout en le forçant à accorder des crédits : d'un côté, les banques seront «payées» pour emprunter, et pourront ainsi faire un profit tant qu'elles prêtent, aux Etats ou au secteur privé, à des taux même proches de zéro, de l'autre, elles perdront de l'argent si elles ne prêtent pas. Trois étapes En bref, il est impossible pour la BCE de faire plus pour pousser les institutions financières à accroître l'offre de crédit. Malheureusement, cela ne signifie pas que le crédit va augmenter et permettre le rebond de l'économie. Il y a, en fait, trois étapes à une politique monétaire efficace. La Banque centrale doit fournir des liquidités au système, ce qu'elle a fait avec l'assouplissement quantitatif. Ensuite, elle doit s'assurer que les institutions financières sont disposées à prêter, ce qu'elle a fait en combinant des taux bas voire négatifs avec un financement à long terme. Mais il y a ensuite une troisième étape, sur laquelle la BCE a très peu (voire aucun) de contrôle, qui est celle de la demande de crédit. Si l'offre augmente, mais pas la demande, la transmission de la politique monétaire au secteur réel ne se fera pas, et la BCE aura été impuissante. C'est l'essence même de la trappe à liquidités, connue depuis les années 1930. Avec en plus le paradoxe d'un secteur bancaire qui n'arrive pas à «se libérer» de la liquidité en excès sur laquelle il est obligé à payer une taxe, et qui s'en trouve affaibli. Il y a débat parmi les économistes sur les raisons pour lesquelles l'assouplissement quantitatif n'a pas fonctionné jusqu'à présent. Nous sommes parmi ceux qui pensent que ce qui fait défaut c'est précisément la troisième étape, celle sur laquelle la BCE a le moins de contrôle. Ce pourrait, pourtant, être là l'aspect le plus positif des dernières mesures annoncées par la BCE. D'autres acteurs devront prendre le relais Si l'absence de tout obstacle à l'offre de crédit ne fait pas redémarrer la croissance, comme nous le craignons, la preuve sera faite que la politique monétaire tire sur la corde sans pouvoir sortir l'économie de l'ornière. D'autres acteurs seront alors obligés de prendre le relais. Les gouvernements (et les institutions européennes) n'auront plus d'alibi. Seule une relance budgétaire robuste pourra relancer l'économie européenne et faire redémarrer dans la foulée la demande de crédit du secteur privé. On ne pourra plus se cacher derrière les épaules de Mario Draghi. En attendant ce moment, le lecteur malveillant pourrait toujours prendre plaisir à ces deux calculs : – Combien de mois d'assouplissement quantitatif serait-il nécessaire pour couvrir les 350 milliards d'euros du plan Juncker, qui a vu douloureusement le jour au bout de huit années de crise, et qui, de façon non moins prévisible, est encore plus douloureusement mis en œuvre ? – Combien d'heures d'assouplissement monétaire seraient-elles nécessaires pour couvrir les 700 millions d'euros que l'Union européenne, également très péniblement, a accepté de donner la Grèce, pour faire face à l'afflux de réfugiés ?… J-L. G.