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«Il y a une grave violation des libertés individuelles, du code de procédure pénale et des droits de la défense»
Me Belloula Djamel à la Tribune :
Publié dans La Tribune le 14 - 05 - 2016

LA TRIBUNE : Votre client est en détention depuis 4 ans. Une détention que la défense qualifie d'abusive. Pouvez-vous expliquer ?
Me BELLOULA DJAMEL : Il a été mis en effet en détention préventive le 12 mars 2012 après avoir été inculpé de faits qualifiés de délits pour lesquels la détention préventive ne peut dépasser 8 mois. Deux semaines avant la fin de cette période de 8 mois, un réquisitoire supplétif l'inculpe de faits qualifiés de crime ce qui permet la reconduction de sa détention préventive. A l'issue de l'instruction, il bénéficie d'un non-lieu pour les faits qualifiés de crime et est renvoyé devant le tribunal statuant en matière de délits. Ce qui aurait dû automatiquement conduire à sa mise en liberté. Le parquet fait appel de la décision du juge d'instruction devant la chambre d'accusation qui rejette l'appel du parquet. Là également, cette décision de la chambre d'accusation aurait dû avoir pour conséquence la libération de Ali Boumbar. Non content de la décision de cette chambre, le parquet se pourvoit en cassation devant la cour suprême qui par arrêt du 20 novembre 2014 rejette le pourvoi. Tous les recours ayant été épuisés par le parquet, Ali Boumbar doit être remis en liberté par la force de la loi. Ce qui n'est pas le cas et cela constitue une grave violation des libertés individuelles, du code de procédure pénale et des droits de la défense car sa détention est manifestement abusive d'autant qu'elle n'a jamais été justifiée.
A l'ouverture du procès de la Cnan, le président du tribunal a refusé la demande de la défense qui réclamait la présence de MM Belkhadem et Temmar, comment a-t-il justifié ce refus ?
La défense avait sollicité la convocation, en tant que témoins, de MM. Belkhadem Abdelaziz, ancien chef du gouvernement, ainsi que Hamid Temmar, ex-ministre de l'Industrie et de la promotion des investissements, afin de recueillir leurs témoignages en tant que respectivement président et membre du Conseil des participations de l'Etat (CPE) car c'est le CPE qui avait en vertu de la résolution du 04/03/2007 autorisé la création d'un partenariat entre Cnan Group et le Groupe Pharaon-CTI-Laradji : IBC. Le président du tribunal a déclaré que ce n'est pas la décision du CPE qui sera discutée. Il a donc estimé inutile la convocation de ces deux personnes. Ceci est d'autant plus regrettable car l'objectif visé par cette demande de la défense est seulement la manifestation de la vérité et rien d'autre.
Certains avocats ont insinué que la justice se dressait «des lignes rouges» dès qu'il s'agit de convoquer un haut fonctionnaire d'Etat. Qu'en pensez-vous? Et au-delà de la loi, que pense la défense de ce refus de convocation ?
Cela est regrettable si tel est le cas. C'est pourquoi, il me paraît essentiel, à travers vous, d'expliquer dans quel but précis, la défense a souhaité, la présence à l'audience de MM. Temmar et Belkhadem. Le CPE a, à travers, la résolution datée du 29 juin 2004 expressément prévu que l'acceptation ou le rejet de toute opération de partenariat ou de privatisation est du seul ressort du CPE. Cette prérogative est tirée de l'ordonnance 01/04 du 20 août 2001 relative à l'organisation, la gestion et la privatisation des entreprises publiques économiques qui prévoit en effet dans son article 8 qu'il est chargé «d'examiner et d'approuver les dossiers de privatisation». Mieux encore, selon l'article 20 de cette même ordonnance, «la stratégie et le programme de privatisation sont adoptés par le Conseil des ministres». Quant à l'article 22, il nous apporte une information essentielle puisqu'il souligne que c'est le ministre des participations, qui a à sa charge de faire estimer la valeur des actifs ou de l'entreprise à céder. Dans ce dossier, le partenariat de la Cnan Group mis en cause, a été jugé, à tort, par le ministère public, comme étant contraire à la loi et comme étant de la seule responsabilité des cadres de Gestramar et Cnan Group notamment son ex-Pdg. Alors que cette décision relève du CPE et est adoptée par le Conseil des ministres. Il s'agit d'une décision éminemment politique conforme à la loi sur la privatisation des EPE. Au regard de ce qui précède, la défense à souhaité la présence de l'ex-président du CPE et de l'ex-ministre de la promotion des investissements afin qu'ils apportent leurs témoignages et éclairages permettant ainsi une meilleure compréhension du fondement légal des choix décidés lors de l'autorisation de ce partenariat.
N'est-ce pas une façon pour la défense de vouloir «faire porter le chapeau» à l'ancien président du CPE ?
Bien au contraire. La défense de Ali Boumbar a toujours soutenu que le CPE avait agi dans le cadre de la loi sur la privatisation des EPE qui lui accorde de larges prérogatives. Il est regrettable que le ministère public estime qu'Ali Boumbar soit responsable de ce qu'il considère comme la conclusion d'un contrat en violation de la loi en vue d'accorder des avantages injustifiés à autrui. Or, ce n'est qu'après toutes les autorisations accordées par le CPE, qu'Ali Boumbar ait été désigné aux côtés d'un autre cadre, par l'assemblée générale de Cnan Group, en application de l'article 24 de la loi sur la privatisation des EPE, pour la signature de l'acte de cession. L'acte de cession a été élaboré par le ministère de l'Industrie et de la promotion des investissements conformément au Code de commerce avant d'être approuvé et autorisé par le CPE. Quant aux avantages accordés au partenaire, c'est une question qui relève des prérogatives du CPE, reposant sur les dispositions de la loi sur la privatisation des EPE. Les avantages ne peuvent pas être injustifiés s'ils sont prévus par la loi. D'ailleurs, la commission de contrôle des opérations de privatisation n'a émis aucune réserve quant au partenariat.
La commission n'a certes émis aucune réserve, il y a cependant un rapport de l'IGF qui semble ne pas être du même avis. Cette commission aurait-elle failli à sa mission ?
Lorsque le Premier ministre de l'époque a saisi l'IGF à travers le ministère des Finances, ce dernier aurait dû se référer d'abord à la loi qui a prévu la commission de contrôle des opérations de privatisation. L'inspection n'avait pas pour rôle d'apprécier le choix qui a été fait par le CPE. Elle devait s'assurer tout au plus que ce dernier a usé des prérogatives prévues par la loi. Ce qui est absolument le cas. La commission de contrôle des opérations n'a donc pas failli à sa mission qui consiste en un contrôle de la légalité et non de l'opportunité. Cette dernière relevant exclusivement d'une décision politique. Je tiens à rappeler par ailleurs que tous les autres rapports de l'IGF en lien avec la gestion de la Cnan ont été examinés par l'instruction et en aucun cas des infractions à la loi n'ont été relevées. Il y a uniquement le rapport de 2010 qui est un véritable «réquisitoire» contre ce Partenariat et la «partie algérienne». Un de ses auteurs venu au tribunal (lors de la première audience de jugement) nous apprenait qu'il avait diligenté son enquête afin de répondre aux questions du Premier ministre de l'époque Ahmed Ouyahia. Sauf que dans ses réponses, il induit le Premier ministre en erreur. Sur la question de l'évaluation des navires, l'auteur du rapport auquel vous faites allusion, considère qu'il aurait fallu désigner non pas un commissaire aux apports, mais une société de courtage maritime. Son ignorance de la loi va jusqu'à remettre en cause la compétence du président du tribunal de Sidi M'Hamed qui avait désigné, à la demande de Cnan Group, un commissaire aux apports pour l'évaluation des navires en application de l'article 601 du Code de commerce. Il ajoute que les actionnaires avaient la possibilité de revoir à la hausse l'évaluation des navires faite par le commissaire aux apports. Or, l'article 800 du Code de commerce prévoit une peine emprisonnement d'un an à cinq ans et une amende de 20 000 DA à 200 000 DA, à l'encontre de ceux qui frauduleusement auront fait attribuer à un apport en nature une évaluation supérieure à sa valeur réelle. L'auteur du rapport accuse la «partie algérienne», sans toutefois nommer les personnes qui la constituent, de passivité. Mais, soyons clairs, la partie algérienne c'est le CPE et donc son président et les ministres qui le constituaient en plus d'une trentaine de cadres.
Qu'en est-il du préjudice, si préjudice il y a ?
Lorsque vous lisez le rapport en question, son auteur indique qu'il a été dans l'impossibilité d'évaluer un quelconque préjudice faute de pièces justificatives. Des experts désignés par l'instruction n'ont également déterminé aucun préjudice. Car, il n'y a tout simplement pas de préjudice. En droit, lorsqu'il n'y a pas de préjudice, cela signifie qu'il n'y a pas de faute ou de violation de la loi.
Si au regard de la loi le CPE est souverain, il semble néanmoins que le tribunal soit décidé à discuter la question de l'évaluation des navires.
Je note ici une contradiction entre le fait que le tribunal ait déclaré que l'instruction ne portera pas sur la résolution du CPE qui a approuvé le partenariat et donc arrêté l'évaluation des navires et le fait qu'il entende questionner les experts sur la prétendue sous-évaluation des navires. Il me semble que vouloir examiner cette question revienne à examiner la décision du CPE. Ce qui n'est en aucun cas du ressort d'un tribunal pénal.
H. Y.


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