Quand David Cameron a promis, en janvier 2013, d'organiser un référendum sur la sortie de l'Union européenne, il a fait sensation. A l'époque, il pensait réaliser une formidable opération politique : non seulement il allait faire taire les europhobes de son parti, resserrer les rangs autour de lui et assurer sa réélection, mais la réponse des électeurs irait de soi. Bruxelles, stupéfait par son audace, accepterait une renégociation des traités à l'avantage du Royaume-Uni. Fort de ce succès, il remporterait le référendum et réglerait pour longtemps la question européenne qui empoisonne les tories. Quand David Cameron a promis, en janvier 2013, d'organiser un référendum sur la sortie de l'Union européenne, il a fait sensation. A l'époque, il pensait réaliser une formidable opération politique : non seulement il allait faire taire les europhobes de son parti, resserrer les rangs autour de lui et assurer sa réélection, mais la réponse des électeurs irait de soi. Bruxelles, stupéfait par son audace, accepterait une renégociation des traités à l'avantage du Royaume-Uni. Fort de ce succès, il remporterait le référendum et réglerait pour longtemps la question européenne qui empoisonne les tories. A Herman Van Rompuy, alors président du Conseil européen, qui lui demandait en 2014 pourquoi il s'était mis lui-même dans une situation aussi incertaine en organisant un référendum sur l'indépendance de l'Ecosse, M. Cameron avait rétorqué : «Je le gagnerai facilement et j'enterrerai la question écossaise pour vingt ans, rapporte le Financial Times. Pour l'Europe, ce sera la même chose.» Deux ans plus tard, le tableau est tout autre. Certes, le Premier ministre est apparu extrêmement combatif, jeudi 2 juin au soir sur Sky News, pour défendre le «maintien dans une UE réformée» face à un intervieweur ultra-musclé. «Sortir de l'UE serait un acte d'automutilation», a-t-il ensuite lancé face à un auditoire très agressif, qui l'a fait apparaître en position défensive. De fait, sa campagne ne décolle pas. Son camp n'est toujours pas crédité d'un avantage décisif dans les enquêtes d'opinion, en dépit d'un pilonnage anti-«Brexit» par toutes les institutions de l'Etat depuis des semaines. En dépit aussi d'un engagement personnel quotidien de M. Cameron dans une campagne qui phagocyte toute la vie politique. Pour la première fois, un sondage réalisé par téléphone a donné la majorité au «out» : 52% contre 48% Certes, la moyenne des six dernières enquêtes d'opinion donne un léger avantage au «in» (51% contre 49%), mais, pour la première fois, un sondage réalisé par téléphone, méthode systématiquement plus favorable au «in» que les questionnaires en ligne, a donné la majorité au «out» : 52% contre 48%. Il y a seulement deux semaines, le même institut donnait le «in» gagnant à 55% contre 45%. Quant aux bookmakers, ils viennent tous de réduire leur cote, autrement dit les promesses de gain sur les paris en faveur du «Brexit» devenu moins improbable. Un credo qui sonne mal Le premier ministre peine à apparaître crédible dans son nouveau personnage de fervent défenseur du maintien dans l'UE, lui qui n'a pas cessé jusque-là de jouer sur son euroscepticisme pour mener sa carrière politique. En 2005, alors que le Labour vient de remporter ses troisièmes élections d'affilée et que David Cameron se prépare pour l'élection du leader de l'opposition, il se déclare «plus eurosceptique que tu ne l'imagines» lorsque Denis MacShane, ancien ministre des affaires européennes de Tony Blair, lui conseille de rompre avec l'euroscepticisme qui ronge son parti. L'anecdote, citée par M. MacShane dans son livre Brexit : How Britain Will Leave Europe (I. B. Tauris, 2015), conforte ce que ressentent confusément les électeurs d'aujourd'hui : David Cameron apparaît comme un eurosceptique modéré mais contrarié, dont le credo proeuropéen, entonné pour des raisons de stratégie politique à courte vue, sonne mal, sinon faux. Largement décrit comme un politicien impulsif sans véritables convictions, il compterait, non seulement sur son charisme et son énergie débordante, mais aussi sur la bonne étoile qui lui a souvent permis de se sortir de mauvais pas, pour emporter la bataille du 23 juin sur l'Europe. «Il a toujours été fermement eurosceptique», a confirmé le 26 mai au Times Steve Hilton, ancien conseiller de M. Cameron passé dans le camp du «out». De fait, depuis une décennie, le chef des conservateurs a habilement apaisé les accès d'europhobie de certains de ses compagnons de parti en leur donnant des gages, en leur distribuant des postes et des promesses. Celle concernant un référendum a pris naissance en 2007, lorsqu'il a donné une «garantie en béton armé» d'en organiser un sur le traité de Lisbonne. Lorsqu'il est entré à Downing Street en 2010, cette promesse avait été vidée de son sens, car le texte avait été ratifié entre-temps par le travailliste Gordon Brown. Pour calmer l'incessante rébellion des europhobes attisée par sa coalition forcée avec le très europhile Nick Clegg, M. Cameron a fini par leur promettre le gros lot : un référendum sur la sortie de l'UE s'il était reconduit en 2015. Des europhobes au gouvernement Dès 2005, pour se faire élire à la tête du parti, il avait promis de rompre avec le Parti populaire européen (PPE), le groupement des partis conservateurs au Parlement européen. En 2009, il avait tenu cette promesse qui a compromis ensuite sa bonne relation avec Angela Merkel, dont la CDU est membre du PPE. Les tories avaient alors fondé un nouveau groupe au prix d'une alliance avec le parti polonais ultraconservateur de Jaroslaw Kaczynski et d'autres nationalistes de l'ancienne Europe de l'Est. Il n'a cherché à se rapprocher de ses partenaires européens que cet hiver, lorsqu'il a eu besoin d'eux pour faire accepter les réformes négociées avec Bruxelles. A rebours de la promesse de «cesser de discourir sur l'Europe» qu'il avait faite juste après son élection à la tête du parti, il n'a cessé d'utiliser ce thème pour gérer l'euroscepticisme au sein du parti, exacerbé il est vrai par la montée du Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP). Une fois au pouvoir, il a promu comme ministres des personnalités europhobes comme Michael Gove ou Iain Duncan-Smith, qu'il trouve aujourd'hui face à lui dans la campagne référendaire. M. Cameron a aussi satisfait les europhobes en menaçant de se retirer de la Cour européenne des droits de l'Homme. Sa vaine campagne pour empêcher la désignation de Jean-Claude Juncker en 2014 à la présidence de la Commission l'a éloigné de ses partenaires européens. Il n'a cherché à s'en rapprocher que cet hiver, lorsqu'il a eu besoin d'eux pour faire accepter les réformes négociées avec Bruxelles. Les électeurs ont donc quelque peine à accepter la métamorphose de cet eurosceptique actif en un fervent avocat de l'Europe. S'il perd le référendum du 23 juin, la sanction, largement auto-infligée, ne se limiterait pas à son propre avenir politique. David Cameron resterait alors dans l'Histoire comme l'homme qui a présidé au divorce du Royaume-Uni avec l'Europe et même, si l'Ecosse refusait cette rupture, à l'éclatement de son pays. P. B.