Le Comité monétaire de la Fed (Réserve fédérale des Etats-Unis) a publié hier le compte-rendu (minutes) relatif à sa réunion du 27 juillet, à l'issue de laquelle il avait décidé de maintenir le statu quo sur les taux directeurs de la banque centrale américaine. Si les minutes cherchent à expliquer cette décision, il n'en reste pas moins qu'elles révèlent aussi une profonde incertitude quand à l'évolution de la politique monétaire de la Fed. Le Comité monétaire de la Fed (Réserve fédérale des Etats-Unis) a publié hier le compte-rendu (minutes) relatif à sa réunion du 27 juillet, à l'issue de laquelle il avait décidé de maintenir le statu quo sur les taux directeurs de la banque centrale américaine. Si les minutes cherchent à expliquer cette décision, il n'en reste pas moins qu'elles révèlent aussi une profonde incertitude quand à l'évolution de la politique monétaire de la Fed. La tension était palpable hier sur les principales places financières de la planète. Suspendues à la publication des minutes de la Fed, Wall Street et la Bourse de Paris accusaient un léger recul quelques minutes avant la fermeture des marchés financiers européens (à 20 heures). Alors que William Dudley, président de la Fed de New York, avait laissé entendre mardi qu'une hausse des taux directeurs serait possible dès septembre, les différentes bourses espéraient que ce compte-rendu de la réunion du 27 juillet donnerait plus d'indices sur la date à laquelle la Fed retournerait à une normalisation de sa politique monétaire. Le maintien du statu quo sur les taux Pour rappel, depuis le 16 décembre 2008 la Fed s'était attachée à maintenir le taux des fonds fédéraux dans une fourchette cible extrêmement basse de 0-0,25% avant de relever celle-ci en décembre 2015 de 25 points de base en la portant à 0,25-0,50%. Une décision qui avait implicitement sonné le coup d'envoi de la normalisation de la politique monétaire, après 7 ans de maintien des taux à un niveau proche de zéro. Les marchés financiers s'attendaient donc à ce que la réunion du Comité monétaire de la Fed le 27 juillet confirme cette évolution. Mais alors même qu'elle soulignait la bonne santé de l'économie américaine et la diminution des risques à court terme pesant sur l'activité économique, laissant présager une hausse des taux, la banque centrale américaine a décidé de laisser inchangés ses taux directeurs et n'a donc donné aucun indice sur le retour à un resserrement monétaire. La Fed maintient l'ambiguïté sur ses décisions futures Les minutes publiées hier soir, censées donner plus d'indications sur le déroulé de cette réunion, n'ont pas plus réussi à lever les incertitudes des marchés financiers quant à l'évolution de la politique monétaire américaine. Le document souligne en effet qu'il est «approprié de conserver toutes les options ouvertes» en matière de politique monétaire, mais les participants y affichent leurs divisions. Si une majorité estime que la croissance américaine va s'accélérer au second semestre, accompagnée par un renforcement du marché du travail, «plusieurs» signalent «la faiblesse continue des investissements» des entreprises et un certain ralentissement du marché immobilier. «Plusieurs membres» estiment aussi «que les risques à la baisse sur l'évolution de l'inflation ont augmenté», alors que la Fed espère que celle-ci (0,9% sur un an, selon l'indice PCE) va atteindre 2% à moyen terme. Si la trajectoire de l'inflation n'est donc pas au rendez-vous, cela plaide pour patienter encore avant de resserrer la politique monétaire. Omer Esiner, de Commonwealth Foreign Exchange, estime que «la Fed semble manquer d'un consensus, ce qui a souvent tendance à provoquer des propos contradictoires de ses responsables» avant d'ajouter «depuis quelque temps, cela contribue à accentuer l'instabilité des marchés et cela les pousse à attendre de plus en plus le discours que tiendra la semaine prochaine Janet Yellen, présidente de la Fed, au symposium annuel de Jackson Hole». Vers une normalisation monétaire risquée Cette ambiguïté dans le langage utilisé par la Fed traduit en vérité la crainte de la banque centrale américaine de s'engager clairement dans une normalisation de sa politique monétaire. La hausse de ses taux directeurs mettrait fin à sa politique adoptée en 2008 au lendemain de la crise. Une politique à taux «zéro» couplée à un Quantitative Easing qui vise à alimenter en liquidités quasi-gratuites les banques, et par effet de ricochet l'ensemble des marchés financiers. Cette politique monétaire expansionniste qui visait à soutenir l'économie américaine en période de récession devrait logiquement prendre fin une fois que les Etats-Unis retrouvent une croissance stable, un taux d'emploi satisfaisant et une inflation mesurée (les trois objectifs de la Fed), ce qui est le cas aujourd'hui. Avec une croissance dépassant 2%, un taux de chômage en baisse et une inflation autour de 1%, on pourrait s'attendre à un cycle de durcissement monétaire progressif comme engagé en décembre dernier. Mais les défis et les risques d'une telle politique sont importants et font reculer la Fed. La politique monétaire expansionniste de ces dernières années a en effet amené les investisseurs à «monter l'échelle des risques», c'est-à-dire à investir davantage dans des actifs risqués, aux rendements plus élevés. La hausse des taux directeurs pourrait dès lors entraîner une augmentation de l'aversion au risque qui viendrait diminuer les investissements et par conséquent contracter l'activité économique. On observe ainsi statistiquement que depuis les années 1980, l'enclenchement d'un cycle de durcissement monétaire entraîne quasiment toujours une récession. Ceci explique pourquoi la perspective du simple démarrage d'un cycle de resserrement monétaire effraie la Fed et la pousse à maintenir l'ambiguïté quant à ses décisions futures. Derrière cette timidité se cache aussi la volonté de ne pas reproduire l'erreur des années trente, où il avait été reproché à la Fed d'avoir aggravé la crise par le resserrement du crédit. Devant les signaux positifs, mais encore fragiles, de la santé de l'économie américaine, la Fed préfère ne prendre aucun risque. Des prises de décisions erronées Mais cette latence est tout aussi dangereuse. Car la politique monétaire expansionniste entraîne une véritable distorsion de l'économie. Comme théorisé par le Prix Nobel d'économie Friedrich A. Hayek (Prix et production, 1931), l'abondance de liquidités finance «artificiellement» les investissements et donc l'activité économique. La politique de taux d'intérêt zéro conduit à des prises de décisions erronées en matière de décision d'investissement ce qui fragilise les conditions de la reprise et menace même de créer des bulles spéculatives. «La maintien de taux à court terme proches de zéro, bien après le retour de l'activité réelle à la normale et la disparition des vents contraires, pourrait encourager un endettement excessif et d'autres formes de prise de risque inappropriées, susceptibles de compromettre la stabilité financière», avait ainsi indiqué en 2015 Janet Yellen, présidente de la Fed américaine. Un resserrement monétaire trop tardif pourrait donc entraîner une réaction sévère des marchés financiers. La Fed joue ici un véritable numéro d'équilibriste, soucieuse de ne pas brusquer les marchés et en même temps attentive à ne pas soutenir artificiellement l'activité économique. Un exercice de style d'autant plus compliqué qu'il a des conséquences évidentes sur les économies du monde entier. Janet Yellen avait indiqué l'année dernière que «si le Fomc (Comité monétaire de la Fed) différait trop longtemps la normalisation de la politique monétaire, nous finirions probablement par avoir à relever assez brutalement les taux». A un mois de la prochaine réunion du Comité monétaire, la Fed se trouve dans l'obligation de clarifier ses décisions au risque d'entretenir un climat d'incertitude néfaste. Mais en a-t-elle vraiment le courage? C. M. In latribune.fr