L'économie algérienne s'est considérablement affaiblie depuis la drastique chute des prix du pétrole qui a réduit les recettes du pays de plus de 40% depuis juin 2014. Cette crise des finances publiques rend pratiquement, du moins pour certains experts avertis, la diversification de l'économie nationale par construction d'un appareil productif une ambition quasiment hors d'atteinte, faute de temps et de réactivité ! Il faut dire que peu d'investissements productifs (nationaux et étrangers) sont réalisés en Algérie, depuis son indépendance, et ce malgré ses potentialités et les opportunités d'affaires reconnues par les institutions internationales, les investisseurs, les spécialistes et les observateurs sérieux de la scène économique nationale. Conséquences directes de ce mal développement (plus de 800 milliards de dollars dépensés depuis les années 2000), le pays dépend encore des marchés extérieurs et importe quasiment tout ce qu'il consomme en équipements et biens de consommation ! La facture des importations flirte avec les 65 milliards de dollars et le chômage semble hors de contrôle, il est de plus de 24% chez les jeunes diplômés. Rappelons au passage qu'en économie, science sociale, toute erreur de pensée, donc de modèle, conduit souvent à des erreurs de priorités et d'actions qui peuvent aggraver le sous-développement que l'on veut pourtant combattre. Le défi pour l'Algérie d'aujourd'hui est donc de réussir, dans un premier temps, sa mutation vers une économie de marché et de production, pour espérer, dans un second temps, pouvoir exporter et construire une économie d'innovation créatrice de richesses et d'emplois stables. Pour cela, la puissance publique toute seule ne peut produire une croissance durable et concrète qui dépend d'ailleurs pour l'essentiel des investisseurs privés, à côté bien sûr des opérateurs publics, naturellement moins nombreux. L'alternative va devenir de plus en plus pressante ; et la réforme est déjà devenue une exigence forte pour les Algériens. Il faut donc à la fois éviter le pire et aller dans la bonne direction (de bonnes réformes). Par chance, le pays dispose encore d'une marge de manœuvre : ses ressources financières se situent à près de 150 milliards de dollars. Mais d'un autre côté, le mal et les carences structurelles ne se limitent pas à la sphère financière comme le laisse entendre certains débats de politiques économiques qui occupent les colonnes de nos médias. Le débat national sur les capacités réelles, les réformes à mener et les conditions de la production est biaisé par l'urgence financière et le court-termisme. La réalité est que les principaux moteurs de la croissance sont à l'arrêt, et ce depuis des années. Les manques et le déficit de croissance sont plutôt d'ordre structurel et nécessitent donc des réponses structurelles, intégrées dans une stratégie nationale globale à long terme. Comparée à celles des pays voisins, l'économie algérienne, comme nous l'avons souligné plus haut, souffre de faiblesses structurelles : dépendance des recettes d'hydrocarbures à plus de 98%, dépendance extérieur pour les produits alimentaires et les équipements. Il est primordial de rallumer, dès maintenant, tous les moteurs de la croissance et d'actionner tous les leviers générateurs du progrès social et technique, tant que le pays dispose encore de certaines possibilités financières. L'investissement, un levier de croissance et d'immersion économique Nous sommes dans une crise financière et les prochains mois vont être cruciaux pour le pays. Le diagnostic est unanime, la baisse des recettes de Sonatrach n'arrange nullement la situation, sachant que la machine économique peine à démarrer, et ce en dépit de sommes astronomiques engrangées par le pays depuis les années 2000. Au sens strict, l'Algérie souffre d'une crise de structure de l'économie et de modèle de croissance (rentier), c'est-à-dire d'une crise de l'offre, de production. Hors hydrocarbures l'Algérie produit très peu et exporte à peine quelques 2 milliards, alors que notre voisine, la Tunisie, par exemple, exporte pour 15 milliards chaque année. Il importe de noter, ici, que la croissance à long terme est devenue indispensable aux modèles des économies modernes. Dans ce sens, l'expérience historique montre que les modèles qui ont permis l'émergence des économies industrielles sont pour la plupart des modèles de croissance «inclusive» par l'innovation où de nouvelles entreprises et activités économiques et industrielles viennent sans cesse concurrencer et remplacer les unités de production existantes sur le marché. Il apparaît donc primordial, aujourd'hui, de modifier en profondeur la structure de l'économie nationale : repenser le mode de production et de consommation des Algériens, de façon à favoriser la production nationale et locale. Les théories économiques ayant traité la croissance économique sont multiples. Par souci de clarté et de contraintes liées à celles d'un article, nous nous bornerons ici à évoquer les principaux moteurs de la croissance, à savoir l'investissement, la consommation, la dépense publique et les exportations. Comme nous l'avons noté précédemment, sur ces quatre propulseurs économiques que l'on peut d'ailleurs comparer aux réacteurs d'un avion gros-porteur, seul celui de la dépense publique a vraiment fonctionné ces dernières années en Algérie, accompagné, comme tout le monde le sait, par une redistribution d'une partie des ressources à travers des subventions en tous sens. Une forte dépense publique, notamment dans la construction des infrastructures de base, qu'a favorisée l'embellie financière des dernières années, et qui est marquée aussi, il faut le dire, par d'énormes gaspillages, de compléments budgétaires et de scandales de corruption récurrents. Aujourd'hui, la donne a changé et le danger pour le pays, avec la perte de cette aubaine faute de certaines priorités, des gaspillages et pratiques clientélistes, est de voir cet unique moteur économique que constitue la dépense publique s'éteindre, faute de ressources financières suffisantes. D'où l'urgence de réagir, d'apporter des réponses et une politique de transition. Que faire ? Agir dès maintenant et mettre en œuvre des réformes structurelles visant à dynamiser le marché des biens et services (investissement et production), à moderniser l'administration publique, à rendre efficace le marché du travail (en réhabilitant la valeur travail notamment, mais aussi la formation et la mobilité sociale). Il s'agit donc d'actionner au même temps les leviers d'une croissance durable, fondée sur l'imitation ou le rattrapage technologique particulièrement dans les domaines des industries légères et de l'agriculture, pour espérer ensuite engager le pays sur une croissance par innovation. Un défi majeur de construction d'une économie diversifiée pour l'Algérie passerait par la libération de l'acte d'entreprendre, la décentralisation et la simplification massive des décisions administratives, la modernisation du système financier, en particulier bancaire qui constitue la pierre angulaire de tout développement économique et social. L'Etat et ses institutions sont appelés donc à investir dans les domaines porteurs de la croissance et de la connaissance, c'est-à-dire des secteurs susceptibles de créer des richesses et des emplois, et en même temps limiter la pression fiscale, sur les unités productives existantes et déclarées, de manières à ne pas pénaliser les entrepreneurs honnêtes. La diminution des recettes, ici, pourrait être compensée par l'élargissement de l'assiette fiscale vers les agents exerçant dans l'informel (en les domestiquant dans les circuits formels). Il est vrai que depuis quelques années les pouvoirs publics ont pris une série d'initiatives visant à faciliter la création d'entreprise, à réduire le taux d'imposition, mais il n'en demeure pas moins que la réalité bureaucratique continue toujours à bloquer et compromettre des milliers de projets économiquement viables. Le défi, aujourd'hui, est donc d'engager (et réussir) une transition d'une économie bureaucratisée vers une économie de marché ouverte. La modernisation de la machine administrative devrait comporter une révolution des mentalités encore plus considérable que l'évolution technologique qui impliquerait le recours aux NTIC, pour faciliter l'acte d'entreprendre tout en permettant aux initiateurs de gagner du temps. Car les modifications administratives seules ne seront que réformettes qui occulteront encore plus la nécessité de la réforme de la mentalité héritée de l'ancien système socialiste hyper centralisé. Il faut civiliser la conception envers les investisseurs privés, qui ne constituent pas forcément des prédateurs, mais plutôt des créateurs de richesses et de postes d'emplois. Sur ce point, nous osons espérer que la conscience du péril peut être un coup de fouet pour aller dans le sens de la responsabilité à tous les niveaux de la prise de décision : suppression de la loi 49/51% pour les PME, la réduction des délais d'étude des dossiers et de réponses des administrations, le maintien de l'autorisation préalable du Conseil national d'investissement que pour les projets stratégiques touchant à l'énergie, la santé publique, l'éducation, la gestion de l'eau etc. Savoir ce qu'il faut faire pour résoudre la masse critique des obstacles qui bloquent l'investissement en Algérie est insuffisant ! La volonté politique est certainement la clé ici. Il faut que l'Etat investisse lui-même grâce à un budget propre et à une politique exceptionnelle (une sorte de plan Marshall). Cela impliquerait d'abord qu'il puisse dégager un budget exceptionnel pour atteindre cette ambition, lever des impôts, émettre des dettes, et surtout l'orienter vers des projets porteurs prédéterminés et discutés démocratiquement (pas d'investissement sans confiance). Les investissements requis pourront servir à amorcer la dynamique des investissements privés : une fois le secteur public est réactivé et des politiques sectorielles ciblées définies, l'investissement privé ne peut que suivre et sous-traiter la demande de celui-ci. Ainsi, de nouvelles entreprises (PME) pourraient émerger du commerce entre les deux secteurs complémentaires public/privé. Pour cela, il faut donc bien cerner le potentiel, les opportunités et surtout libérer les initiatives en levant tout obstacle face à l'investissement national et étranger. Propositions : créer une commission nationale (équipe de haut niveau) qui déterminerait une politique exceptionnelle d'investissements (une stratégie sectorielle) en fonction de la situation économique et financière du pays et des spécificités locales et régionales. Cela nécessiterait, légitimement, un contrôle démocratique. Doublons par exemple les partenariats public-privé, Augmentons la disponibilité du foncier industriel par la création de nouvelles zones industrielles. Cette disposition permettra d'augmenter massivement et rapidement le nombre d'investissements nationaux et étrangers. La nécessaire promotion des IDE Au regard des éléments discutés précédemment, il apparaît que l'amélioration de l'environnement des affaires est un préalable à l'essor des entreprises nationales et étrangères. Sur ces dernières, l'exemple des économies émergentes illustre le rôle que peuvent jouer les Investissement directs étrangers (IDE) dans le processus de développement économique. Ainsi, un souffle pourrait être donné à l'économie algérienne par l'ouverture aux IDE. Dans cette optique, la création de Zones économiques spéciales (ZES) peuvent permettre, comme c'est le cas en Chine qui a formidablement réussi son émergence économique et industrielle, d'accueillir des investisseurs étrangers en leur proposant des facilités d'implantation, des condition fiscales avantageuses et la possibilité de réaliser des échanges avec le marché maghrébin (de plus de 100 millions d'habitants) et avec le continent africain. Certes, l'Algérie ne peut être développée que par les IDE, mais de nombreuses études ont souligné l'important rôle de ces investissements dans le développement économique de par le monde. Outre l'expérience chinoise récemment, de nombreuses économies ont fait des IDE un levier d'immersion dans l'économie mondiale, y compris les USA, le Canada, le Viêtnam, la Corée du sud et Singapour récemment. Toutes ces expériences ont montré à quel point les IDE ont permis la croissance de la production, de l'investissement, de la création d'emplois, des gains de productivité, voire des exportations pour certaines économies. Effectivement, ces investissements, quand ils sont correctement orientés, contribuent efficacement à la transformation structurelle des économies des pays d'accueil, aux rattrapages technologiques, à l'adoption des nouvelles technologies et à la modernisation des modes de fonctionnement des entreprises nationales. Cependant, l'importance du rôle des IDE varie selon les secteurs d'activités. D'où la nécessité d'élaborer une stratégie sectorielle nationale de soutien pour créer un environnement favorable adapté comme moyen d'attirer et de canaliser l'IDE. Puis de diffuser, dans un second temps, les avantages (impacts) qui résulteraient de ces implantations étrangères par leur contact avec leurs clients locaux. Les secteurs où les pouvoirs publics peuvent améliorer la perspective d'attractivité des IDE et bénéficier de leurs apports dans le développement et la diffusion de la productivité comprennent les infrastructures, le capital humain (formation universitaire et professionnelle), davantage de protection des investisseurs (Etat de droit et justice), la stabilisation et la cohérence institutionnelles, la libéralisation des activités économiques qui impliquerait décentralisation de la prise de décision au niveau des agents économiques privés eux-mêmes, des administrations publiques et des collectivités locales : les décisions de création d'activités, d'extension de projets, d'innovations, de fixation des prix, d'exportations La voie pour l'émergence économique L'avenir de l'Algérie dépend donc, en grande partie, de son aptitude à construire une économie moderne, solide et compétitive. Pour cela, l'intervention publique devrait privilégier les investissements productifs nationaux et étrangers. La situation est devenue urgente après la chute des prix du pétrole et la contraction des recettes des exportations de près de 50% et la baisse vertigineuse du Fonds de régulation des recettes (FRR) et de réserves de changes dont dispose le pays. Pour atteindre cette ambition d'émergence économique, l'Etat algérien et ses institutions devraient s'atteler à élever le niveau de vie des citoyens, en particulier par l'industrialisation des régions algériennes et le développement local durable. Concrètement, cela impliquerait de renoncer immédiatement aux multiples alibis qui retardent, à chaque fois, les réformes nécessaires et la suppression de situations de rentes. La démarche, ici, exigerait aussi de lutter fermement contre la corruption et l'informel qui gangrènent des pans entiers de l'économie nationale, opter sérieusement pour la démocratie et la justice sociale, et la liberté d'entreprendre (d'initiatives) pour favoriser l'éclosion d'un tissu de jeunes entrepreneurs (femmes et hommes) capables de produire et d'innover, qui seront, de ce fait, porteurs d'une promesse d'un avenir meilleur pour le pays et pour sa population, dont le moral est souvent atteint par les échecs répétés et le mal-développement économique dont a souffert et souffre encore le pays depuis son indépendance en 1962. En un mot, l'Algérie de 2016 a besoin de formuler de grandes perspectives et fixer d'un cap, plutôt que de petits programmes ou réformettes. K. S-L. *Docteur en sciences économiques de l'université de Versailles St Quentin en Yvelines. Enseignant de Sciences Economiques et Sociales (France) étrangers.