Cette technologie va bouleverser pas la finance. Mais pas au point de remettre en cause son gigantisme et sa disproportion en regard de l'économie. Animée par l'impérieux besoin de réduire ses coûts pour combattre l'importante baisse de ses rendements, l'industrie financière a découvert son Graal, la technologie Blockchain, cette chaîne de stockage et de transmission sécurisée qui supprime les intermédiaires. Dans la finance, le mot-clé est désintermediation, et l'objectif poursuivi est d'opérer un très important dégraissage. Les estimations varient, les chiffres valsent, mais les économies potentielles s'expriment en dizaines, voire en centaines de milliards de dollars annuels selon les estimations. C'est dire l'ampleur de ce qui se prépare. La disparition de l'emploi à cadence accéléré qui est annoncée accrédite la thèse de la raréfaction à venir du travail. En mars dernier, les analystes de Citigroup estimaient que les banques américaines pourraient réduire leurs effectifs de 30% en l'espace de dix ans, passant de 2,6 millions de salariés en 2015 à 1,8 million en 2025. Les banques européennes seraient, quant à elles, amenées à diminuer l'emploi de 37% dans la même période. Une réflexion générale est engagée, chacun étant dans son rôle. L'Autorité bancaire européenne (EBA) s'intéresse à l'émergence de nouveaux risques, l'Esma, en charge des produits dérivés, va prochainement publier un papier à ce sujet. Le Financial Stability Board (FSB) a lancé une étude centrée sur les risques proprement systémiques et la S.E.C. américaine une réflexion sur l'avenir de la Bourse qu'elle régule. Toutes les activités des banques sont au premier chef concernées : le trading, l'analyse financière, l'évaluation du risque, l'octroi de crédit et la gestion de portefeuille. Le back office et le front office vont être atteints et le clearing est particulièrement visé. Les transferts d'argent de toutes natures entre banques, entreprises ou particuliers sont concernés. Enfin, le fonctionnement des grands marchés - monétaire, du repo ainsi que des devises - pourraient en sortir reconfigurés. Pour ce dernier, un système utilisant la technologie Blockchain est en cours de test à échelle réduite par huit grandes banques et institutions financières. Un foisonnement de projets est apparu. Tenant le haut du pavé, une pléiade de banques et d'institutions financières travaillent déjà au sein du consortium «R3». Ses membres visent à créer un système de référence adapté aux besoins spécifiques des marchés financiers, ce qui les a conduit à prendre leurs distances avec la Blockchain d'origine : «Celle-ci n'a pas été conçue pour répondre à tous nos besoins», font-ils valoir, car : «Il nous faut empêcher un partage inapproprié des transactions par tous les participants». Au-delà de cette restriction, on croit comprendre que le plus important regroupement de forces du moment n'a pas vocation à changer son monde. Il est au contraire critiqué comme étant destiné à protéger les grands établissements financiers d'une mutation réservée aux autres. D'autres projets sont en développement, auxquels contribuent des adhérents multi-cartes du consortium «R3», qui ne misent pas sur un seul cheval car la course aux standards n'en est qu'à son commencement. IBM s'appuie ainsi sur le projet open-source Hyperledger, chapeauté par la fondation Linux, où se retrouvent notamment Intel, Accenture, la Bourse allemande, le stock exchange de Londres, J.P. Morgan et Wells Fargo. L'apparition des FinTech De nouveaux venus, les FinTech, sont très vite apparus, lançant sans attendre de nouveaux services dans tous les domaines : le transfert des flux financiers, le financement participatif (crowdfunding), les activités de crédit, la simplification des services bancaires, le conseil en placement (les «robo-advisers») et enfin le marketing prédictif. Aux Etats-Unis, leurs services ont déjà grignoté des parts de marché significatives. Le créneau du crédit sur les plateformes électroniques devrait ainsi représenter plus de 8% des crédits à la consommation aux Etats-Unis, et 16% des prêts accordés aux PME dans cinq ans, d'après Morgan Stanley. Des plateformes électroniques de prêts entre particuliers sortent de terre, proposant tous les types de prêts : à la consommation, immobiliers, étudiants et à destination des PME. Pour l'heure, les grandes banques multiplient les annonces de création d'incubateurs ou de prises de participation minoritaires dans les FinTech. Les deux secteurs ont dans l'immédiat besoin l'un de l'autre, les FinTech cherchent des capitaux et les banques l'«agilité technologique» qui leur fait défaut. Si les FinTech font preuve d'un grand dynamisme, elles ne représentent cependant pas la plus grande menace potentielle pour les banques. Conscientes de l'importance de celle que représente les Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple), qui sont en embuscade, les banques tentent de prendre les devants. Les Gafa disposent en effet de tous les pré-requis pour chasser sur leur terrain : savoir-faire technologique, moyens financiers et très large audience. Privilégiant pour l'instant les alliances avec les banques, celles-ci pourraient par exemple décider demain de développer l'utilisation des porte-monnaies électroniques, ce qui réduirait les banques de dépôt à un simple rôle de «teneur de compte». Ne pas se laisser emporter par la vague de désintermédiation Les banques doivent affronter une autre menace potentielle. Par nature, la Blockchain remet potentiellement cause leur existence en tant que tiers de confiance. Il ne faudrait pas qu'elles soient emportées par la vague de désintermédiation qui se profile, qui pourrait rompre la branche sur laquelle elles sont assises... Dans les milieux financiers, de telles épineuses perspectives sont déjà discrètement envisagées. Le Comité de Bâle - qui regroupe les Banques centrales et les régulateurs de la finance - s'interroge sur la définition future de la banque, une façon de signifier qu'au final ce secteur n'échappera pas plus tard à la reconfiguration d'ensemble qui se prépare. Et, quand la Banque d'Angleterre se déclare pas favorable à la transmission en temps réel des règlements des entreprises non financières et des particuliers, c'est pour demander du temps afin de mener à bien sa réflexion, car, dit-elle, cette mesure aurait de lourdes conséquences sur la nature de l'activité bancaire, la configuration du système financier et le rôle des Banques centrales. Tendance libertariennes Sans surprise excessive, les préoccupations éthiques à tendance libertariennes prévalant au sein de la Silicon Valley prévoient sans autre forme de procès la disparition à terme des banques et des Banques centrales, ainsi que le remplacement des monnaies actuelles par des modes de paiement numériques sans lien avec les Etats. Ce n'est plus une révolte, c'est une révolution ! Surfant sur les technologies de l'Intelligence Artificielle, le système financier va muter dans un contexte où il n'est déjà plus ce qu'il était. Difficile, en effet, d'envisager son futur en mettant entre parenthèse la crise chronique qu'il vit depuis dix ans ! La reconstitution recherchée de ses marges ne corrigera pas ses principaux dysfonctionnements. Sans autres solides remises en question, son gigantisme et sa disproportion avec l'économie est appelée à s'accentuer, l'endettement privé et public à continuer à augmenter, la croissance de l'économie à plafonner et la distribution inégale des revenus à se poursuivre... La Blockchain, on s'en doutait un peu, ne peut quand même pas tout faire ! F. L. In latribune.fr