Le président de Suez Environnement sera à Marrakech pour la COP22, pour montrer l'engagement des entreprises en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique et plaider à nouveau pour que soit fixé un prix au carbone. Surtout, Jean-Louis Chaussade espère que des investissements massifs seront dirigés vers l'Afrique pour l'aider dans sa transition avec trois enjeux : l'eau, l'énergie et l'agriculture. LA TRIBUNE - Qu'attendez-vous de la COP22 qui va ouvrir à Marrakech ? Après le succès de l'accord de Paris à la COP21, le soufflé est un peu retombé, non ? JEAN-LOUIS CHAUSSADE - Pour la COP22, j'ai trois convictions, que je résume avec un «triple A». Ce sera la COP de l'Afrique car elle est organisée au Maroc, et que l'Afrique est une partie prenante essentielle de l'accord de Paris sur la limitation du réchauffement. Ce sera la COP de l'adaptation, pour passer des intentions de la COP21 aux réalisations concrètes. Et enfin, ce sera la COP de l'agriculture parce qu'il va falloir trouver des solutions pour nourrir les 2 milliards d'habitants d'un continent dont la population va doubler d'ici à la fin du siècle. Et j'ai trois espoirs. Le premier, c'est que l'on parle enfin à l'échelle internationale du prix du carbone. C'est l'enjeu principal pour que les entreprises, les états et les citoyens consommateurs passent à la vitesse supérieure sur la transition énergétique. Le deuxième, après la COP21 de Paris sur le climat, c'est que cette COP22 soit «la COP de l'eau». La quasi-totalité des contributions faites par les 196 pays participant à la COP21 mentionnaient l'eau. Soit l'élévation du niveau des mers et des océans, soit l'accès à l'eau et le risque à venir de conflits à ce sujet.Trop d'eau ou pas assez, le sujet est central, mais la prise de conscience est encore insuffisante. Il faut savoir que 40% de la population mondiale vivront dans des zones de sécheresse dans les années 2030-2050. Et que plus de 60% des populations concernées habiteront dans de grandes villes. Enfin, troisième espoir, il faut que l'on se mette d'accord pour cibler vers l'Afrique la majorité de l'enveloppe de 100 milliards de dollars décidée en 2009 à Copenhague. Car si le décollage en cours de la croissance africaine ne se fonde pas sur le développement massif et accéléré des énergies renouvelables, il sera impossible de tenir l'objectif des 2°C fixé à la COP21. Le Maroc donne le bon exemple, mais il faut aller plus vite. Si rien ne se passe, nous risquons de voir s'intensifier les phénomènes de migration vers l'Europe. Notre chance, c'est que le développement de l'Afrique est bien parti et que la transition écologique peut permettre de créer les millions d'emplois dont le continent aura besoin : dans le traitement de l'eau et des déchets ainsi que dans la production d'électricité renouvelable notamment. Quelle est pour vous la première des priorités ? Je dirais qu'avant même l'électricité ou l'eau, c'est l'agriculture, parce qu'elle doit nourrir les 2 milliards d'Africains à venir. Et la solution, ce sont les OGM ? C'est un sujet complexe. Pour nourrir une planète avec 9 milliards d'habitants, il faudrait augmenter de 60% la production agricole. C'est impossible si les terres arables diminuent de 30% dans le même temps comme c'est prévisible sous l'effet du réchauffement climatique et de l'urbanisation. Donc, pourquoi s'interdire les OGM en soi. Tous les OGM ne sont pas bons, mais tous les OGM ne sont pas mauvais. C'est un sujet sur lequel il faut poser des règles. Mais pour nourrir la planète, la science sera la seule solution, car la nature ne pourra pas seule faire en cinquante ans ce qu'elle a réalisé en deux mille ans d'évolution de la productivité agricole. En revanche, ce qui pose question, c'est le fait que les semences soient brevetées et détenues par une ou deux entreprises multinationales. Comment s'assurer que la promesse des 100 milliards se concrétisera ? 100 milliards de dollars, c'est à la fois beaucoup et beaucoup trop peu au regard de l'épargne mondiale. Il faut organiser le fléchage de tous les investissements. J'espère que ce sera l'une des avancées de Marrakech. Concernant le prix du carbone, il y a des blocages politiques. Comment procéder ? Le prix du CO2, tout le monde en parle, les ONG, les villes, les entreprises... mais pas les états. Or c'est ce qui permettra d'accélérer la vitesse de la transition. Il faudra passer par des étapes successives. Ce prix ne pourra pas être identique dans le monde entier. Il faut une feuille de route et commencer à fixer des prix, avant de les relever progressivement. Vous êtes un leader mondial de l'économie circulaire, spécialisé dans l'eau et les déchets. Comment voyez-vous l'avenir de ces activités à l'ère d'évolutions numériques et écologiques ? Nos métiers traversent deux révolutions : celle du digital, avec l'explosion de l'Internet des objets (IoT) ; et celle des ressources, de plus en plus rares. Cela transforme totalement notre business model. L'eau ne sera bien sûr jamais digitale, mais tous les services et tous les métiers qui permettent de la distribuer sont concernés, ce qui déplace la valeur. C'est la même chose pour les déchets, qui deviennent une matière première. La plus grande transformation en cours est celle du temps réel. On entre dans un monde nouveau, où grâce aux capteurs, à l'IoT et à l'intelligence artificielle, on peut traiter les mégadonnées en continu. Cela permet d'inventer de nouveaux services et d'économiser des ressources vitales. S'agissant de l'eau, tout va tourner autour de la question des technologies. Avec des capteurs, pour suivre la consommation en temps réel et repérer les fuites sur le réseau, on va apprendre à ne pas gaspiller cette ressource essentielle pour l'homme sur terre. Pour prendre la mesure mondiale de l'urgence et des menaces, un chiffre frappera les esprits : de l'année 1900 à 2030, la ressource disponible annuelle en eau par personne sera passée de 15 000 à 3 000 m3. La tendance est donc très inquiétante. Je rappelle que l'état de sécheresse commence à 1 800 m3 par personne et par an et qu'en dessous de 1 000 m3, c'est le stress hydrique. Or, la Jordanie est déjà tombée à 150 m3... Dessinez-nous en quelques mots la ville durable de demain ? Ce sera une ville «circulaire», productrice de ses ressources et une ville pilotée par les flux. A l'image de l'être humain, c'est la fluidité de la circulation des informations qui comptera le plus. Contrairement à une idée reçue, l'espérance de vie est plus longue pour les habitants des grandes villes que pour ceux des petites. Le niveau de vie plus élevé, la présence et la qualité des services publics, sont des atouts dans le monde urbanisé de demain. P. M. et D. P. In latribune.fr