Mettant à profit sa sortie sur le terrain à Aïn Defla, le ministre de l'Agriculture, du Développement rural et de la Pêche, Abdesselam Chelghoum, s'est exprimé, lors d'un point de presse, jeudi dernier, au terme de sa visite dans cette wilaya, sur la pénurie de lait en sachet qui sévit ces derniers jours en démentant formellement toute rupture dans l'approvisionnement. «Je suis formel : dans les conditions actuelles, il ne peut pas y avoir de pénurie de lait et si celle-ci venait à se manifester, cela voudra dire qu'elle est organisée», a-t-il affirmé. La quantité de poudre de lait qui est aujourd'hui attribuée aux laiteries suffit «largement» à couvrir les besoins de la population en sachets de lait, soutiendra-t-il. Et s'il y a pénurie, cela voudra dire que la poudre de lait attribuée et destinée exclusivement à la fabrication de lait en sachet n'a pas été utilisée pour ce à quoi elle est réservée. Mieux, selon le ministre, les quantités de poudre de lait distribuées sont plus importantes que les besoins réels. «Les informations dont je dispose attestent que l'organisme chargé d'attribuer des quotas de poudre de lait aux laiteries, fussent elles publiques ou privées, ont pêché par une exagération dans l'utilisation de ce produit par rapport à la consommation de la population», dira-t-il. Aussi, le ministère a-t-il procédé à une correction des quotas, en fonction des besoins rigoureusement définis, indiquera le ministre, affirmant que ses services ne resteront pas les bras croisés si preuve il y a d'un détournement de la poudre de lait, qui serait la raison principale de la pénurie. L'argumentaire du ministre est conforté par Fathi Messar, le directeur général de l'Office national interprofessionnel de lait (Onil), qui est chargé de la distribution de la poudre de lait. Selon ce responsable, la pénurie de lait en sachet n'est pas due à une réduction des quotas de poudre de lait mais elle a été provoquée par certaines laiteries suite aux réajustements de leurs quotas, dont une partie était détournée pour la fabrication d'autres produits laitiers (petit lait, lait caillé, yaourts…) dont les prix ne sont pas subventionnés comme le lait en sachet (25 DA le litre). Ces irrégularités ont été mises en évidence par une enquête menée par une commission intersectorielle depuis l'été dernier, sur instruction du Premier ministre, a indiqué à l'APS M. Messar. «Il n'y a pas eu de réduction de quotas, mais des réajustements», indique-t-il citant l'exemple de la capitale où la réduction est d'à peine 6%, ce qui est insignifiant par rapport aux 2 220 tonnes distribuées mensuellement à travers les laiteries de la wilaya d'Alger. «Cette légère réduction ne peut pas créer une telle perturbation. C'est plutôt de la provocation», soutient le responsable. «Certains producteurs essayent de mettre la pression pour que nous revenions sur nos décisions […]. Il y a des intérêts qui ont été touchés par cette enquête, ce qui a provoqué cette perturbation», déclare M. Messar qui assure que les quantités produites quotidiennement suffisent largement pour couvrir la demande. De plus, indiquera-t-il, l'Office dispose d'un stock de poudre de lait qui lui permet de couvrir la demande jusqu'en juin 2017. La commission d'enquête a visité plus de 100 laiteries, privées et publiques, et a découvert «beaucoup d'irrégularités» dans l'utilisation de la matière première subventionnée destinée à la production du LPC, selon le même responsable. Parmi les infractions constatées, la diminution de la quantité de poudre utilisée pour la production d'un litre de lait en sachet, ce qui permet aux transformateurs qui use de cette fraude d'utiliser la quantité prélevée pour la production de produits dérivés. Sur les 190 laiteries activant sur le marché, l'Onil est lié à travers des contrats à une centaine de transformateurs, dont 15 unités publiques qu'il approvisionne en poudre de lait subventionnée destinée uniquement à la production du lait en sachet. Le kilogramme de poudre est cédé par cet office à 157 DA alors qu'il est acheté sur le marché international à plus de 300 DA/kg. Le montant de la subvention de lait a coûté à l'Etat 32 milliards de dinars en 2015 contre 47 milliards de dinars en 2014, selon M. Messar. Mais tous ces chiffres et explications ne changent strictement rien à la situation du consommateur qui est obligé de se lever au chant du coq, soudoyer un commerçant ou battre campagne pour avoir ses sachets de lait. Le détournement de la poudre de lait est une réalité connue de tous et la pratique existe depuis l'apparition de l'industrie laitière en Algérie qui a été encouragée et adossée à l'importation de la poudre de lait, la production laitière étant très insuffisante alors, avant que les pouvoirs publics ne décident de la réorienter vers l'utilisation du lait cru, mais sans mettre en place les jalons pour justement éviter les détournements de la poudre de lait. Résultat : les pénuries se suivent et se ressemblent, sans que les explications-justifications des responsables n'y changent grand-chose. R. C.