Contrairement aux prévisions, Donald Trump a remporté l'élection présidentielle. Sa politique va-t-elle être conforme au populisme radical qu'il a affiché au cours de sa campagne, ou bien va-t-il faire preuve de pragmatisme et se rapprocher du centre ? Dans le premier cas, on peut s'attendre à une panique sur les marchés mondiaux - et pas seulement aux USA - et potentiellement à de graves répercussions économiques. Mais il y a de bonnes raisons de penser qu'il adoptera une autre stratégie. S'il s'en tient à ce qu'il a annoncé, il abandonnera le Partenariat transpacifique, dénoncera l'Accord de libre-échange nord-américain et taxera fortement les produits importés de Chine. Il construira aussi le mur qu'il a promis à la frontière avec le Mexique, expulsera des millions de travailleurs sans papier, rendrait plus difficile l'obtention d'un visa de travail pour les étrangers hautement qualifiés dont le secteur technologique a besoin et il abolira la loi d'Obama sur l'assurance maladie, laissant ainsi des millions de personnes démunies en cas de problème de santé. Sa politique aggravera significativement le déficit budgétaire américain. Il réduira drastiquement les impôts des entreprises et des contribuables les plus riches. Même s'il élargit l'assiette fiscale, augmente la taxe sur l'intéressement des gestionnaires de fonds et encourage les entreprises à rapatrier les profits réalisés à l'étranger, son programme n'est pas neutre sur le plan budgétaire : le nouveau Président augmentera les dépenses consacrées à l'armée et au secteur public (pour les infrastructures par exemple), tandis que les baisses d'impôt pour les riches réduiront les revenus de l'Etat de 9 000 milliards sur 10 ans. Toujours s'il s'en tient à ce qu'il a annoncé, la politique monétaire sera radicalement transformée. La présidente de la Réserve fédérale, Janet Yellen, sera remplacée par un faucon monétariste et il en sera de même pour les postes à renouveler. Trump démantèlera dans toute la mesure du possible la loi Dodd-Frank de 2010 portant sur la régulation financière, affaiblira le Bureau de protection financière des consommateurs, supprimera les subventions en faveur des nouvelles formes d'énergie et abrogera les réglementations visant à la protection de l'environnement et les autres réglementations supposées contraire à l'intérêt des grandes entreprises. Enfin, sa politique étrangère aura un effet déstabilisateur sur l'alliance des USA avec leurs alliés et intensifiera les tensions avec leurs rivaux. Sa position protectionniste pourrait entraîner une guerre commerciale à l'échelle de la planète, et son insistance pour que les pays amis payent pour leur propre défense pourrait susciter une dangereuse prolifération nucléaire, tout en diminuant le leadership américain dans le monde. Mais il est probable qu'il adoptera une politique plus pragmatique qui se rapprochera du centre. Trump est avant tout un homme d'affaires qui apprécie «l'art de la négociation», il est donc par définition davantage un pragmatique qu'un idéologue avec des œillères. Sa posture populiste était tactique et ne traduit pas nécessairement des idées fortement ancrées. C'est un magnat de l'immobilier qui a passé toute sa vie avec d'autres riches hommes d'affaires. C'est un bonimenteur rusé qui a su exploiter l'air du temps pour flatter les sympathisants républicains parmi les travailleurs et les «démocrates reaganiens» dont certains ont peut-être soutenu Bernie Sanders, le sénateur démocrate du Vermont, lors de la primaire démocrate. C'est ainsi qu'il a pu se distinguer au milieu d'une foule de politiciens favorables au monde des affaires, à Wall Street et à la mondialisation. Une fois à la Maison-Blanche, Trump accomplira quelques actes symboliques destinés à ses partisans avant de revenir à la politique économique traditionnelle adoptée par les républicains depuis des décennies : agir sur l'offre et prendre des mesures favorables aux plus riches, supposées bénéficier par la suite à toute la population. Son vice-président, Mike Pence, appartient à l'establishment politique républicain et ses conseillers économiques durant sa campagne étaient de riches hommes d'affaires, des entrepreneurs, des financiers et des économistes privilégiant la demande. Il envisagerait de constituer son cabinet avec des républicains «classiques», notamment l'ancien président de la Chambre des représentants, le sénateur Bob Corker du Tennessee, le sénateur Jess Sessions de l'Alabama et Steven Mnuchin, un ancien dirigeant de Goldman Sachs, qui a été l'un de ses conseillers durant la campagne électorale. Les républicains et les hommes d'affaires traditionnels qu'il va sans doute choisir dessineront sa politique. L'exécutif est favorable à un processus de décision dans lequel les agences et les départements concernés évaluent les mérites et les risques de divers scénarios et proposent au Président un nombre limité d'options politiques entre lesquelles il devra choisir. Compte tenu de son inexpérience, Trump sera très dépendant de ses conseillers, à l'image de Ronald Reagan et de George W. Bush. Il sera également poussé vers le centre par le Congrès avec lequel il devra s'entendre pour faire adopter les textes de loi. Paul Ryan, l'actuel président de la Chambre des représentants, et les dirigeants républicains au Sénat ont une position beaucoup plus classique que Trump sur le commerce, les flux migratoires et le déficit budgétaire. Quant à la minorité démocrate au Sénat, elle pourra faire obstacle aux réformes radicales qu'il proposera, notamment s'il s'en prend aux retraites et à l'assurance maladie des personnes âgées. Le pouvoir de Trump sera également limité par la séparation des pouvoirs, des agences gouvernementales relativement indépendantes telles que la Réserve fédérale et une presse libre et active. Mais sa plus grande contrainte, ce seront les marchés. S'il essaye d'appliquer la politique qu'il a annoncée, ils réagiront immédiatement : la Bourse va entamer une chute libre, le dollar va dégringoler, les investisseurs se replieront sur les bons du Trésor américain, le prix de l'or va atteindre des sommets, etc. Par contre s'il est moins brutal et tient compte des souhaits des milieux d'affaires classiques, les marchés ne s'écrouleront pas. Maintenant qu'il a remporté l'élection, il va peut-être renoncer au populisme au profit de la sécurité. S'il choisit la voie du pragmatisme, sa présidence aura un effet beaucoup plus limité. Il abandonnera néanmoins le partenariat transpacifique, cependant il en aurait été de même avec Hillary Clinton. Le futur Président a annoncé qu'il annulerait l'Accord de libre-échange nord-américain, mais il se contentera sans doute d'essayer de le modifier pour faire un signe aux ouvriers américains. Et s'il veut limiter les importations chinoises, sa marge d'action sera limitée par une décision récente de l'Organisation mondiale du commerce contre les droits antidumping appliqués par les USA à la Chine. Les dirigeants étrangers s'en sont souvent pris à la Chine durant leur campagne, mais une fois au pouvoir ils ont réalisé que dans leur propre intérêt, il valait mieux coopérer avec elle. Trump construira probablement son mur à la frontière avec le Mexique, bien que le nombre de nouveaux immigrés soit à la baisse. Mais plutôt que d'essayer d'expulser 5 à 10 millions de personnes, il se contentera sans doute d'une répression sévère à l'encontre des immigrés sans papier auteurs de crimes violents. Mais il va sans doute restreindre le nombre de visas de travail accordés aux étrangers hautement qualifiés, ce qui affectera le dynamisme du secteur de haute technologie. Même s'il fait preuve de pragmatisme, sa politique creusera le déficit budgétaire, mais dans une moindre mesure que s'il choisit l'option radicale. Ainsi, s'il adopte les baisses d'impôts proposées par les républicains au Congrès, les rentrées budgétaires diminueront de seulement 2 000 milliards sur 10 ans. Si avec son administration il adopte la voie pragmatique, sa politique sera incohérente sur le plan idéologique et relativement nuisible pour la croissance. Mais pour les investisseurs - et pour le monde - ce serait largement préférable au programme radical qu'il a promis à ses électeurs. N. R. (Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz) *Professeur à la Stern school of business NYU et président de Roubini Macro Associates. Ancien économiste principal pour les affaires internationales du Conseil de la Maison-Blanche des conseillers économiques sous l'administration Clinton. Il a travaillé pour le Fonds monétaire international, la Réserve fédérale américaine et la Banque mondiale. In project-syndicate.org