Torchaka est l'histoire d'un amour impossible dans une société qui communique très mal. Une société qui peut aimer mais où on ne doit pas parler d'amour. Une société qui a vu ses relations humaines se détériorer... La scène était terrible jeudi dernier. La pièce de théâtre Torchaka d'Ahmed Rezzak, très médiatisée depuis la Générale présentée au mois de juin dernier, était programmée à 14 heures au théâtre régional Kateb-Yacine de Tizi Ouzou, et à cette heure-là, il y avait moins de dix personnes dans la salle. Le choc était immense. La déception était certainement grande derrière les rideaux. Cela a amené les organisateurs à retarder d'une trentaine de minutes le début du spectacle pour permettre à quelques dizaines de personnes d'arriver et de camoufler un peu la honte de cette «désolation» culturelle. C'est une preuve que tous les milliards dépensés par le secteur de la culture n'ont pas pu faire renaître le public qui a fait les beaux jours des salles de spectacle et de cinéma, il n'y a pas si longtemps. C'est aussi une réponse cinglante à tous les responsables qui viennent brosser la région dans le sens du poil en la qualifiant de «région culturelle» ou de «wilaya de la culture». Parce que la culture y a pris un sacré coup et il lui est très difficile de se relever. Pourtant, Torchaka (allumette dans le dialecte de l'est algérien) leur parle. Elle parle pour eux. Elle parle d'eux. En tant qu'individus mais aussi et surtout en tant que société. Torchaka pleure l'hypocrisie de la société. Elle pleure avec son amoureux Zalamit. Ils dénoncent à eux deux l'autoritarisme du détenteur du pouvoir mais aussi le caractère rétrograde de la société. C'est l'histoire de Torchaka et Zalamit qui ont décidé de déclarer leur flamme en public dans une société fermée à ce genre de sentiments. Ahmed Rezzak a choisi le monde des allumettes pour imager la société algérienne. Des allumettes qui symbolisent le feu nous permettant de nous éclairer, mais susceptible de nous brûler cependant. «Une allumette est le signe même du feu. Cependant, elle peut brûler pour la guerre, comme elle peut brûler pour éclairer et pour donner de l'éclat» comme l'explique le metteur en scène Ahmed Rezzak à un confrère. Torchaka est l'histoire d'un amour impossible dans une société qui communique très mal. Une société qui peut aimer mais où on ne doit pas parler d'amour. Une société qui a vu ses relations humaines se détériorer, comme le déclare Ahmed Rezzak à la Tribune à la fin de la présentation de la pièce. «Nous n'avons plus de repères. Nous avons perdu notre identité. Nous consommons des bananes et du chocolat, ça peut s'expliquer mais nous sommes aussi devenus des consommateurs de la culture, et cela est inacceptable», a indiqué l'auteur du texte et de la mise en scène, non sans ajouter avec un ton grave que «notre société fait dans l'autodestruction culturelle». Ahmed Rezzak a jeté son dévolu sur certains artistes connus, notamment à travers le petit écran, mais aussi sur d'autres moins connus qui ont montré beaucoup de confort dans leur jeu de scène. Il a également choisi des comédiens de plusieurs wilayas du pays qui ont fait de cette comédie ubuesque un véritable pot-pourri d'accents, un signe de richesse culturelle et humaine de notre société. M. B.