A l'heure où les Français doivent déterminer les grandes lignes de leur politique économique pour les cinq années à venir, le thème de la finance et de sa régulation est étrangement absent de la campagne électorale. Tout se passe comme si, dix ans après le début de la crise, chacun voulait oublier ce mauvais rêve. Beaucoup de candidats ignorent donc le sujet, préférant se concentrer sur la question des finances publiques ou des «réformes». A l'heure où les Français doivent déterminer les grandes lignes de leur politique économique pour les cinq années à venir, le thème de la finance et de sa régulation est étrangement absent de la campagne électorale. Tout se passe comme si, dix ans après le début de la crise, chacun voulait oublier ce mauvais rêve. Beaucoup de candidats ignorent donc le sujet, préférant se concentrer sur la question des finances publiques ou des «réformes». Et, si le thème est évoqué, c'est souvent de façon caricaturale. Parfois, elle est perçue comme un mal absolu, nécessairement mauvais pour l'économie, tandis que pour d'autres, elle est un élément à préserver, à choyer, à favoriser. Dans les deux cas, on pourrait manquer la réalité de l'enjeu. C'est en tout cas, la conclusion que l'on peut tirer de la lecture d'un petit livre titré Le Capital, de l'abondance à l'utilité*, rédigé par Thierry Philipponat, fondateur de l'association Finance Watch et aujourd'hui directeur de l'institut Friedland et membre du collège de l'AMF. Ce dernier tente en effet de sortir de cette opposition pour promouvoir une finance utile à l'économie, ce qui, pour lui, signifie une finance capable de s'investir dans l'économie réelle et ses besoins sociaux et environnementaux. Détournement financier L'auteur rappelle donc que la finance n'est pas uniquement une «superstructure parasitaire» du capitalisme. C'est aussi une fonction nécessaire pour transmettre le capital monétaire vers le capital productif, autrement dit, c'est un élément clé du financement des entreprises. «Il faut affirmer le rôle d'une fonction financière indispensable à l'allocation du capital», martèle-t-il. Une évidence ? Peut-être. Sauf que depuis trois décennies, comme le montre l'auteur, la finance a progressivement entièrement perdu cette fonction. Aujourd'hui, 12% seulement du bilan des banques sont consacrés aux prêts aux entreprises non financières. Mais s'il fallait une seule preuve de cette inefficacité, il suffirait de rappeler la très mauvaise transmission des milliards d'euros, de dollars et de yens créés par les Banques centrales vers le tissu productif. Comme l'auteur le rappelle, «un détournement d'une partie significative du capital a eu lieu ces trente dernières années : tout le capital, loin s'en faut, n'est pas aujourd'hui consacré à la production». Et ce phénomène «explique en bonne part l'inefficacité de nos systèmes économiques». Les raisons de l'échec Thierry Philipponat, qui a été un de ceux qui ont vécu de l'intérieur l'évolution de la finance, raconte en détail - et de manière fort pédagogique - les raisons de cette perte de contact de ce secteur avec la réalité économique. L'obsession de la rentabilité et de la sécurité ont ainsi conduit d'abord à la multiplication des produits de plus en plus complexes qui, bientôt, d'outils déjà contestables de suppression du risque, sont devenus eux-mêmes leurs propres fins. Les mêmes causes ont également conduit à une unification des méthodes de gestion dans le sens de la gestion passive, celle qui se cale sur l'évolution d'indices dont le lien avec la réalité économique est très contestable. Cette évolution s'appuie sur une version adaptée de la pensée économique classique, notamment le mythe de la «main invisible» qui, de moins en moins, ne semble pas capable de répondre aux grands défis de notre temps, comme le souligne l'auteur et comme le démontre également l'ouvrage récent de l'économiste indien Kaushik Basu. Mais, in fine, la finance a largement perdu le lien avec sa fonction «utile» première : «La sphère financière ne contribue plus aujourd'hui à apporter du capital à l'économie productive». Au moment même où la transition écologique rend ce besoin immense. Utilité du capital Cette défaillance de la finance doit-elle conduire à brûler le secteur financier ? Thierry Philipponnat ne le pense pas. Il estime qu'il est urgent de rétablir le lien entre capital monétaire et capital productif pour faire face à l'enjeu écologique, mais aussi pour réduire les inégalités et construire un modèle social dans une économie où la croissance va devenir structurellement faible. Le capital n'est plus, selon lui, la force décrite par Karl Marx en 1867. Il est un agent plus diffus et plus efficace. Il serait même, selon l'auteur, le moyen le plus efficace pour relever ces défis. «Le capital, géré par des professionnels pour le compte des investisseurs institutionnels ou particuliers, est aujourd'hui la voie la plus efficace pour promouvoir l'économique contre la chrématistique», affirme-t-il. A condition que les méthodes de la finance changent radicalement et que le capital soit «géré de façon responsable», c'est-à-dire prenant en compte «l'intérêt sociétal». Pistes du changement L'ouvrage ouvre des pistes pour initier ce changement qui est de nature morale. Il propose notamment un «travail substantiel de pédagogie» pour réorienter le travail des gestionnaires de fonds car, selon l'auteur, c'est par les entreprises de gestion modeste que viendra le changement. Les grandes sociétés, voyant que leurs stratégies sont moins efficaces que celles de ces acteurs, suivront. Il faut donc briser la «peur du changement» en créant de nouvelles sociétés de gestion moins pusillanimes que les existantes. Il faudra évidemment aussi changer les méthodes d'analyse, en intégrant d'autres données et favoriser l'investissement socialement responsable. L'auteur n'est pas hostile à une régulation «dure» par la loi, mais il estime qu'elle est incapable de réorienter le capital. Pas un problème de régulation Outre ces propositions d'une «finance utile», l'intérêt de ce court livre est aussi de proposer une description de la réalité de la finance et de ses défaillances. Cette fonction est essentielle parce qu'elle écarte le discours des lobbies et de ceux qui les soutiennent. L'enjeu n'est ainsi certainement pas trop de régulation qui viendrait freiner les prêts à l'économie, mais bien la nature même du système financier qui détourne le capital. Ce décalage a commencé bien avant et il trouve son lien dans la nature de l'évolution du secteur lui-même. C'est donc bien une correction de cette évolution qui est nécessaire. Utile au débat Ce petit ouvrage ouvre donc le débat autour du futur de la finance. Il propose une vision optimiste d'un capitalisme utile se débarrassant de ses vieux mythes de la «main invisible» et des optimums de Pareto. Il se distingue ainsi d'autres auteurs, moins convaincus par la possibilité de «changer la finance de l'intérieur», comme par exemple Gaël Giraud qui, dans «L'Illusion Financière», proposait en 2013 une régulation forte accompagnée d'un financement monétaire des grands projets. L'économiste estimait que tout changement sans régulation «dure» était inutile et qu'il serait très difficile d'utiliser le capital privé. C'est donc un nouvel élément qui est ici posé au débat. Lequel, alors que le système financier reste fragile, comme vient de la confirmer un rapport du Sénat, reste, malgré le silence politique, d'actualité. R. G. *Thierry Philipponnat, Le Capital, de l'Abondance à l'utilité, Rue de L'Echiquier, 110 pages In latribune.fr