En acceptant de relâcher un peu la pression budgétaire sur Athènes, Berlin espère faciliter le retour du Fonds monétaire international (FMI) avant les élections fédérales... sans avoir à en révéler le coût à ses électeurs. Chronique de cette négociation encore inachevée. En acceptant de relâcher un peu la pression budgétaire sur Athènes, Berlin espère faciliter le retour du Fonds monétaire international (FMI) avant les élections fédérales... sans avoir à en révéler le coût à ses électeurs. Chronique de cette négociation encore inachevée. Le 22 mai, les ministres des Finances de la zone euro pourraient conclure la «deuxième revue» du troisième programme grec conclu à l'été 2015 au terme d'un énième psychodrame où le «Grexit» avait à nouveau fait la Une. Un accord a été annoncé le 2 mai par le ministre des Finances du gouvernement Tsipras, Euclide Tsakalotos. Deux jours plus tard, l'Euro Working Group, un groupe de hauts fonctionnaires des ministères des Finances des Dix-Neuf, a confirmé informellement la nouvelle. «Suite à la mise en œuvre des actions prioritaires, l'Eurogroupe pourrait approuver le 'paquet politique' et les termes du prochain déboursement, ainsi que s'attaquer à la soutenabilité de la dette grecque dans un futur proche», a confié une source proche des discussions. Comment en est-on arrivé là ? Les Européens ont satisfait l'une des principales demandes du FMI La clé de cette avancée réside dans une révision à la baisse des objectifs d'excédent budgétaire qui avaient été fixés par les Européens en vue d'entretenir la fiction selon laquelle une nouvelle réduction de la dette ne serait pas forcément nécessaire. Objectifs que le FMI juge irréalistes depuis 2015. Le 27 avril, le ministre des Finances néerlandais et président de l'Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem avait envoyé un premier signal indiquant que les Européens baissaient la garde. Venu s'excuser devant le Parlement européen pour ses propos insultants à l'égard des pays du Sud de l'Europe, il avait commencé à détailler la révision du programme. «La période de 10 ans pendant laquelle un excédent de 3,5% d'excédent primaire doit être maintenu devrait être réduite», a expliqué le ministre des Finances néerlandais lors de son audition par les députés européens le 27 avril. Cette déclaration fait directement écho aux critiques du FMI. «Efforts herculéens» Dans un post de blog publié le 12 décembre dernier, Maurice Obstfeld et Poul M. Thomsen, respectivement directeur du département des études et directeur Europe du FMI s'étaient à nouveau élevé contre l'intransigeance de l'Eurogroupe. «Nous estimons que la Grèce est déjà allée trop loin dans cette direction (de réduction des dépenses publiques), mais le programme appuyé par le MES (le Mécanisme européen de stabilité, fonds piloté par les pays de la zone euro, ndlr) repose sur des coupes encore plus claires, avec un excédent primaire qui atteindra 3,5% du PIB en réduisant davantage l'investissement et les dépenses discrétionnaires», avaient-ils alors expliqué. «Peut-être la Grèce, au prix d'efforts herculéens, pourrait réussir à comprimer les dépenses pour afficher à court terme un excédent de 3,5% du PIB. Mais l'expérience montre que cette voie n'est ni tenable, ni compatible avec ses ambitions de croissance à long terme», avait ajouté le FMI. Le déclic est venu de Berlin. Dans une étude publiée début avril par le Peterson Institute, un think-tank de Washington, et signalée par la Tribune, deux économistes allemands, proches du ministère fédéral de l'Economie du gouvernement Merkel, expliquaient les incohérences entre les trois objectifs du programme en cours : maintien d'un excédent record, restructuration minimale de la dette et retour sur le marché rapide. Leur analyse est devenue depuis, selon le NY Times, un «must read» pour les parties prenantes de la négociation. De retour de l'assemblée de printemps du FMI à Washington, un officiel européen confiait à la Tribune : «Les Allemands ne bloquent pas». Et de préciser : «C'est désormais une discussion entre les Allemands et le FMI». Encore 60 mesures à adopter dans les semaines à venir Vers quoi s'oriente-t-on donc ? Pour l'instant, la balle est à nouveau dans le camp du gouvernement Tsipras qui doit adopter pas moins d'une soixantaine de mesures dans les prochains jours afin de cocher toutes les cases de cette «deuxième revue» du programme de 2015. Elles comprennent notamment, en contrepartie de la réforme des retraites (qui représentent encore actuellement 11% du PIB contre 2,25% en moyenne dans le reste de l'Union européenne), des «mesures expansionnistes» telles que les subventions aux logements et une aide pour les personnes ayant des enfants à charge qui ne seraient toutefois mises en œuvre qu'une fois le programme terminé, en 2018. Elles visent également par exemple à relancer les privatisations actuellement bloquées faute d'un fonds de privatisation en ordre de marché. Le 22 mai, en dépit du fait que le gouvernement français sera en affaires courantes, les ministres des Finances de dix-neuf pays de la zone euro, pourraient donc donner leur feu vert à un déboursement permettant d'éviter un nouveau défaut de paiement en juillet. Le retour du FMI encore incertain Vu de Berlin et surtout des rangs de la CDU, le parti de la chancelière Angela Merkel et de son ministre des Finances Wolfgang Schäuble, le retour du FMI en tant que «surveillant» mais aussi contributeur financier serait fortement souhaitable avant les élections fédérales de septembres 2017. Le consentement du Bundestag au troisième programme grec de l'été 2015 n'avait été obtenu qu'à la condition que le FMI en soit partie prenante. Le 15 août 2015, après une séance tumultueuse au Bundestag pour obtenir l'aval de sa majorité à un nouveau programme de 86 milliards d'euros, discours où la chancelière allemande qui reconnaît parler plus au Premier ministre Alexis Tsipras plus qu'à aucun de ses homologues européens, avait annoncé le «chaos et la violence» en Grèce si le Parlement allemand ne validait pas les résultats des négociations entre ministres des Finances de la zone euro, Angela Merkel avait déclaré à la chaîne de télévision ZDF qu'elle n'avait «aucun doute» que le FMI participerait. Cette promesse n'a pas pu être tenue et entretient le doute sur la validité de l'engagement financier pris par le Parlement allemand. D'où l'intensification, ces dernières semaines, des négociations entre Berlin et Washington, alors que les élections fédérales allemandes approchent. La révision des analyses de solvabilité de la Grèce par le FMI permettra-elle finalement à sa directrice générale Christine Lagarde de proposer à son conseil d'administration une augmentation de son engagement financier en Europe? La réponse ne dépendra pas que des efforts des Européens mais aussi de l'administration Trump, les Etats-Unis ayant une minorité de blocage au conseil d'administration du Fonds. Or les signaux, qui viennent du Trésor ou du Congrès américains, ne sont guère encourageants, comme l'a écrit le journaliste David Francis dans la revue Foreign Policy. A Bruxelles, personne ne se risque à se prononcer officiellement sur l'issue des négociations, mais l'optimisme n'est pas de mise. «Le FMI n'a rien à gagner à revenir. Ils ont le pouvoir puisqu'ils participent, de fait, à la surveillance», confiait fin avril à la Tribune une source européenne, de retour de l'assemblée de printemps du Fonds à Washington. Selon nos informations, il pourrait falloir attendre une autre réunion de l'Eurogroupe, le 15 juin, pour finaliser, côté européen, les détails des mesures de dettes dites «de moyen terme», qui avaient été esquissées dans l'accord de l'Eurogroupe de mai 2016 et dont le FMI a besoin pour revoir sa propre analyse de la solvabilité grecque à l'horizon 2040-2050. «La Grèce devrait être notée A+» Le grand public ne saura quoiqu'il en soit probablement pas avant des mois sinon des années ce que pourrait représenter, en valeur, ce nouvel effort financier des dix-huit autres pays de la zone euro devenus les principaux créanciers de la Grèce. L'impact précis de la grande opération de restructuration, décidée fin 2012, n'avait été finalement fourni que dans le rapport annuel du MES de... 2015 publié en juin 2016 (cf. p. 32). Il est donc probable qu'il faille attendre au mieux cet été pour connaître l'effet des mesures dites «de court terme» annoncées en janvier 2017 et des années pour la nouvelle restructuration en cours de négociation, car ces mesures ne seraient mises en oeuvre qu'après la conclusion du programme en 2018. Le fait que l'essentiel de la dette publique grecque soit détenue par les Etats de la zone euro et le FMI participe de cette opacité. Autant les gouvernements français successifs ont réussi à passer sous silence, dans l'indifférence totale de l'opinion, le coût de cette restructuration, autant elle est un enjeu politique en Allemagne où elle est présentée pour ce qu'elle est : un transfert de dette du contribuable grec vers les autres contribuables européens. Selon les calculs du fonds Japonica, qui, avec 4 milliards d'euros de titres grecs, serait désormais le plus important créancier privé d'Athènes, la valeur de la dette hellénique n'était plus fin 2016 que de 71% du PIB, contre les 177% inscrites dans les rapports officiels. Une évaluation qui n'engage que l'investisseur, mais n'est pas si éloignée des 49% de PIB de réduction de la valeur actuelle nette annoncée sur le site du Mécanisme européen de stabilité. Dans un entretien au quotidien grec Ekathemerini, le dirigeant de Japonica, Paul Kazarian, avait en décembre dernier estimé que la Grèce devrait être notée «A+», au lieu la note de CCC+ (synonyme d'insolvabilité) que lui attribue actuellement Standard & Poor's, tant sa dette a été réduite. «Il n'y a aucune excuse pour ceux qui prétendent que les Grecs ne peuvent pas comprendre que des dettes dont la maturité est de plus de 50 ans avec des taux d'intérêt très bas sont pour ainsi dire des cadeaux», estime Paul Kazarian. Cette remarque vaut tout autant pour les Européens qui ont abandonné depuis 2012 plusieurs dizaines de milliards de créances et font mine de l'ignorer. Elle montre en définitive que ces infinies et très complexes négociations financières n'ont d'enjeu que politique et historique : forcer la transformation d'un Etat structurellement très faible qui, depuis sa naissance en 1830, n'a jamais réussi à honorer plus de la moitié de ses dettes. Dans la longue chronique de cette crise, le FMI aura finalement eu essentiellement pour rôle de rappeler aux Européens (aux dépens de sa propre crédibilité) le prix à payer pour tenter d'y parvenir. Des Européens qui avaient refusé de voir que l'entrée de la République hellénique dans l'Union européenne n'a pas suffi jusqu'à présent à amorcer cette transformation. L'effondrement de l'économie grecque, l'appauvrissement de sa population depuis 2010 et les réformes mille fois reportées montrent que ce pari est encore loin d'être gagné. F. A. In latribune.fr