Revendication phare pour de nombreux mouvements socioculturels algériens, le lancement d'une chaîne de télévision publique d'expression amazighe a passionné des générations entières de militants et d'activistes. Le Mouvement culturel berbère (MCB), le Mouvement culturel des Aurès (MCA), des partis politiques, des associations et divers acteurs culturels n'ont cessé, des décennies durant, de se mobiliser autour de cette revendication identitaire en mettant l'accent sur l'insertion de la langue et de la culture amazighes dans le champ médiatique national. Beaucoup de choses ont été dites sur ce sujet qui frisait le tabou. On a longtemps prétexté l'«impréparation» des mentalités pour une telle évolution en faisant de la stabilité et de l'unité nationales un motif fallacieux qui en retardait l'avènement. Des opposants à la promotion de la langue amazighe y voyaient partout des germes de division et de discorde. Toute prise de position contraire était jugée comme un complot ourdi contre les constantes fondatrices de la nation. Cette suspicion «insensée» a, auparavant, retardé le mûrissement du mouvement national (crise berbériste de 1949) pour persister, ensuite, au lendemain de l'indépendance où l'on a érigé l'unicité de la pensée et de l'expression en dogme inviolable. La revendication amazighe, qui a incarné dès lors la lutte pour la démocratie et la citoyenneté, a continué son bonhomme de chemin dans la clandestinité en gagnant la sympathie de pans entiers de la société. Avec l'ouverture démocratique de 1989, la diversité culturelle et linguistique est, enfin, admise comme une valeur constitutive et enrichissante du fait algérien. Une reconnaissance officieuse qui permettra à la cause de sortir timidement de sa pénombre, mais sans qu'aucun dirigeant n'ose consacrer la chose dans les textes. Il faudra attendre l'accession d'Abdelaziz Bouteflika à la magistrature suprême pour constitutionnaliser le tamazight comme langue nationale, enseignée à l'école et à l'université. Une décision historique qui a été largement saluée, en son temps, par tous les acteurs de la société civile. C'est le même Bouteflika qui s'engagera, ensuite, à créer une chaîne de télévision dédiée exclusivement à cette langue ancestrale. C'est, désormais, chose faite. La Chaîne IV (La Quatrième) émettra dès ce soir sur trois satellites : Hotbird, Nilesat et AB3. Ce quatrième canal de l'établissement national de télévision, qui diffusera ses programmes en langue amazighe dans ses parlers kabyle, chaoui, targui, chenoui et mozabite, émettra, dans un premier temps, six heures par jour de 17h à 23h. Une plage horaire appelée à s'allonger progressivement avec le temps. Cette bonne nouvelle réchauffera, à coup sûr, le cœur de millions de foyers qui ont longtemps attendu ce moment. Il convient, en outre, de noter que la culture amazighe a franchi d'autres étapes qualitatives au cours de ces dernières années. Un Festival international de cinéma, des rendez-vous similaires consacrés à la musique, à la chanson et au théâtre, et des salons dédiés au livre et à la création littéraire sont autant d'espaces de promotion mis en place avec le concours des pouvoirs publics. Le coup d'envoi de la IV coïncide avec le lancement d'une cinquième chaîne consacrée au Coran et à l'Islam de manière générale. Le paysage audiovisuel national s'enrichit ainsi de deux stations pour répondre, du moins en partie, aux besoins et aux préoccupations des téléspectateurs. La demande en la matière demeure toutefois importante. L'information non-stop, le sport, la culture, la jeunesse et l'enfance sont des concepts qui restent, en effet, à développer. Il va sans dire que l'amélioration de la qualité doit constamment prévaloir pour gagner les faveurs de l'audimat. Ce soir, tous les Algériens seront contents de réinitialiser leurs démodulateurs afin de découvrir ces deux nouvelles chaînes. Ils s'y retrouveront ainsi réunis contrairement aux assertions suspicieuses des tenants du verrouillage et de la censure. Il est grand temps de regarder encore plus loin en envisageant l'investissement privé dans ce secteur stratégique des médias et de la communication. C'est l'Algérie qui en sortira grandie. K. A.