Elle est devenue officiellement langue nationale. Longtemps confinée dans un ghetto kabyle, elle s'est «nationalisée» sans les voix de ces deux partis. Et pourtant, ces mouvements, mués en formations politiques, ont été lancés sur la base d'une revendication culturelle et identitaire. Aujourd'hui, ces partis, qui se revendiquent de la culture amazighe, ont non seulement trahi la cause berbère et la mémoire de tous ses militants, personnalités ou dirigeants qui sont morts pour défendre tamazight, mais surtout, ont donné aux islamistes, l'occasion d'adopter «à contrecoeur» cette langue qu'ils ont toujours rejetée et considérée comme un dialecte. Le mouvement culturel revendiquant l'identité berbère ne date pas d'aujourd'hui et encore moins des années 80 ou 90, son origine remonte à la naissance du mouvement national en 1926. A l'époque déjà, des querelles ont fait surface entre les différents courants du mouvement national qui représentait l'élite intellectuelle algérienne. L'amazighité était déjà posée comme un problème politique à l'époque à l'intérieur du mouvement national et ce, avant même la revendication suprême de l'indépendance du pays. La Guerre de libération avait, pour un temps, «mis en veilleuse» la revendication berbère, puisque la plupart des défenseurs de la cause étaient préoccupés par la libération du pays. En effet, des figures du mouvement national tels que Krim Belkacem, Abane Ramdane ou encore le colonel Amirouche avaient laissé de côté leur revendication culturelle lors du Congrès de la Soummam, afin justement de ne pas tomber dans le piège politique tendu par les Français. La cohésion nationale et l'unité des rangs de l'ALN étaient plus que jamais soudées et ne pouvaient pas permettre la naissance d'un conflit né de la cause amazighe. Mais juste après l'Indépendance, la question amazighe est relancée et mise sur la table des discussions entre les nouveaux dirigeants et les figures emblématique tels Aït Ahmed et Krim Belkacem. Devant le refus des nouveaux chefs du pays de reconnaître cette identité nationale et culturelle, ces chefs historiques, qui avaient contribué à libérer le pays, avaient choisi de se couper du pays et d'entrer dans un exil intérieur qui ne disait pas son nom. C'est ainsi qu'Aït Ahmed a créé le FFS en 1963 lequel est entré en conflit armé avec ces mêmes combattants qui étaient hier, à ses côtés en train de combattre l'ennemi commun. Etouffé puis réanimé, le mouvement pour la défense de l'amazighité avait gagné en maturité et s'est d'abord affirmé culturellement grâce à ces artistes et chanteurs qui ont su véhiculer des messages de soutien à la cause, à travers leur création et leurs chansons. Ensuite, il y a eu ces étudiants engagés bercés par les thèses de Mouloud Mammeri et de Kateb Yacine qui annonçaient déjà la naissance d'une génération de jeunes dirigeants politiques qui étaient prêts à tous les sacrifices. Les événements du printemps berbère du 20 Avril 1980 avaient jeté les bases de la contestation amazighe. Ce n'était plus une affaire régionale, mais nationale qui avait fait trembler les locataires de la présidence. En voulant casser définitivement le mouvement berbère, le pouvoir avait réuni la direction qui allait mener, quelques années plus tard, la cause amazighe devant l'opinion nationale et internationale. Les Saïd Sadi, Ferhat Mehenni, Mokrane et Arezki Aït Larbi, Nouredine Aït Hamouda ou encore les Saïd Khellil, Djamel Zenati et Lounaouci faisaient partie des 22 détenus du printemps berbère. Et qui allaient consacrer la naissance du MCB (Mouvement culturel berbère). Le processus démocratique lancé au lendemain des événements d'Octobre 88, avait donné à ces figures une existence légale et un statut politique confirmé. Et comme dans tous les processus d'équilibre lancés par le pouvoir pour décentrer le débat de fond et occuper une opposition encore immature politiquement, la stratégie avait bien marché d'autant plus que le FFS, qui se considère comme le seul et unique détenteur du statut de défenseur de la cause amazighe, était entré en guerre politique ouverte contre le RCD taxé de «produit du système». Ces formations politiques très politisées avaient laissé de côté leur revendication culturelle et entamé une politique d'opposition à outrance. En 1995, «la grève du cartable» devait relancer la question de l'identité berbère sur de bonnes bases et introduire tamazight à l'école. Le FFS et le RCD, qui avaient approuvé la contestation politique chacun à sa manière, n'avaient fait aucune proposition pour faire sortir la Kabylie du ghetto et de l'indifférence du pouvoir qui ont poussé les écoliers à une année blanche. Le pouvoir, pour calmer les esprits et éviter le boycott de la Kabylie pour la présidentielle, avait créé le Haut Commissariat à l'amazighité. Une institution décriée par tous, mais qui était déjà une reconnaissance d'une langue souvent bannie du système éducatif. Après son élection, le président Lamine Zeroual, fidèle à ses engagements préélectoraux, avait entrepris quelques réformes, considérées par certains comme des «réformes vernies», mais qui avaient leur sens et leur poids. Ainsi on donnait des espaces d'expression berbère dans le journal télévisé, les émissions, les films et surtout autoriser la production de films cinématographiques amazighs. Ce qui était encore impossible il y a dix ans. La sortie de la Colline oubliée, de Machaho ou de La Montagne de Baya produits avec des fonds de l'Etat algérien sur les grands écrans dans la plupart des grandes villes algériennes était considérée, par certains, déjà, comme une victoire de la culture sur la politique. Près de dix ans après et avec le printemps noir, ces partis politiques qui se revendiquaient de la cause berbère avaient raté encore l'occasion de se réconcilier et de régler pacifiquement la crise kabyle qui, cette fois, n'était pas seulement identitaire, mais aussi sociale et politique. Un échec des politiques qui donna naissance à un nouveau mouvement : les ârchs qui s'est indéniablement affirmé comme une force politique et surtout le seul interlocuteur avec le pouvoir dans la région. Les ârchs «dialoguistes» ou «radicaux» ont obtenu en quelques mois ce que les politiques étaient incapables de régler en vingt ans: la constitutionnalisation de la langue amazighe comme langue nationale. Le FFS et le RCD dépassés par les événements n'ont pas trouvé mieux que la fuite en avant, prétextant que le pas arraché au terme d'une soixantaine de sacrifices était insuffisant, tronqué, voire inconstitutionnel. Mais le moment était important et fallait-il attendre que le FFS ou le RCD arrive au pouvoir pour voir tamazight consacrée? Khalida Messaoudi et Louisa Hanoune, qui avaient très vite compris qu'il fallait sauter sur l'occasion et applaudir, ne voulaient pas entrer dans ces considérations politiques stériles. L'histoire retiendra, dans dix ans ou vingt ans, quand d'autres Massinissa reprendront le flambeau que, encore une fois, le FFS et le RCD, les deux et seuls partis revendiquant la cause berbère dans la région du Djurdjura, étaient absents à cette date historique où tamazight était consacrée, langue nationale.