De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani Artisan ça se conjugue sur tous les tons à Annaba où l'imparfait n'a pas droit de cité. Bijoux et habits traditionnels, poterie céramique et autres articles sont l'apanage des seuls initiés qui ont appris et grandi avec ces métiers éternels gardiens d'une identité et d'un patrimoine que rien ni personne ne peut faire disparaître. Des doigts de fée et une patience d'Oriental qui travaillent la matière, la pétrissent et la façonnent pour lui donner les formes et les couleurs nées d'un accouchement vieux de plusieurs siècles. A la salle d'exposition-vente attenante à la Chambre d'artisanat et de métiers de la wilaya, située sur le boulevard du 1er Novembre, l'artisanat s'exprime dans toute sa splendeur, étalant son charme irrésistible au visiteur qui ne peut se dérober et -«succombe» la plupart du temps devant la beauté et l'art authentique et sans artifice aucun. Céramiques de toutes formes et aux couleurs chatoyantes, robes brodées «fetla et medjboud», bijoux de la région mais dont les formes et les motifs trouvent leurs origines dans le M'zab, la Kabylie ou le pays targui, kachabias traditionnelles avec une pointe de modernité, poteries pétries à la main «bien meilleures que celles réalisées avec les machines», nous confie un artisan et toutes sortes de bibelots et d'articles. Il y a là de quoi faire le bonheur du touriste qui veut découvrir la région. Mais toutes ces belles choses réalisées par des mains expertes et dont l'art s'est forgé durant des dizaines d'années sont menacées de disparition, la relève n'étant pas assurée. La tradition veut que ces métiers se transmettent de père en fils, ce qui se faisait jusqu'à il y a quelque temps mais la descendance n'étant plus intéressée a embrassé d'autres métiers plus lucratifs, abandonnant un patrimoine dont la valeur immatérielle est incommensurable. La poterie de la région de Annaba qui était réputée à tel point que tout un quartier où travaillaient des dizaines d'artisans avait été baptisé «El Fakharine» (les potiers) a presque disparu et il ne reste aujourd'hui que quelques «irréductibles» qui tiennent encore contre vents et marées. «La modernité est venue à bout de tout, elle a presque tout détruit, il n' y a plus aujourd'hui l'attachement d'antan qu'on avait pour les ustensiles traditionnels dans lesquels on préparait notre cuisine traditionnelle. C'est le métal, la machine, le fast-food et la pizza, la demande s'est réduite. Il y a juste une petite embellie au cours du mois sacré de Ramadhan où l'on amorce un retour aux sources et aux origines. On achète une marmite ou une couscoussière, puis on la relègue dans un coin pour l'oublier jusqu'à l'année suivante. C'est la mort de l'artisanat», nous confie avec émotion un artisan que nous avons rencontré dans ce vieux quartier de la ville. Pour la céramique, il n en reste que quelques-uns qui tentent de se maintenir sur le marché malgré la concurrence des produits importés et dont les prix sont de loin inférieurs à ceux pratiqués par les artisans. L'un de ces artisans, Mme Dahal, s'est convertie dans la céramique de décoration et elle s'en sort bien. Elle a réalisé un travail appréciable au niveau de la station de taxis de Annaba, de Sidi Brahim, à l'entrée est de la ville. Toute l'enceinte et les murs aux alentours portent des plaques en céramique décorées de scènes du terroir avec des arabesques incrustées où le support iconique se confond avec le linguistique pour retracer l'histoire de la ville tout en souhaitant la bienvenue aux visiteurs. Les quelques autres potiers qui subsistent et survivent encore sont à Berrahal et à Oued El Aneb, ils essayent tant bien que mal de tenir en se déplaçant sur les différents marchés hebdomadaires pour écouler leurs marchandises. Cependant, ces artisans ne s'avouent pas vaincus et n'abandonnent pas le métier ; ils continuent à travailler et transmettent leur savoir aux jeunes apprentis qui, il faut l'avouer, ne sont pas nombreux. «Ce ne sont pas les beaux jours, nous dit un maître potier, c'est la disette et on ne peut dire qu'on se bouscule pour embrasser le métier. C'est à peine si l'on arrive à «accrocher» un ou deux jeunes et la plupart du temps l'un d'entre eux abandonne en cours de route. C'est malheureux, c'est un beau métier ; c'est notre culture et notre patrimoine qui s'en vont sous nos yeux et nous sommes, là, impuissants regardant ce qui se passe.» A la Chambre d'artisanat et de métiers, M. Djamel Lafifi, chef de département, dit que la tutelle, consciente de l'importance de l'artisanat pour la sauvegarde du patrimoine, en a fait une priorité nationale et a édicté des lois dans ce sens. «Pour la protection et la promotion de ce secteur, la chambre a institué des ateliers de formation qui sont opérationnels depuis 2006. On a, à ce jour, formé plus 300 stagiaires dans différents métiers que nous avons jugés prioritaires parce que menacés de disparition. Des maîtres artisans conventionnés enseignent dans nos ateliers et assurent des formations de cycle court (3 à 6 mois) pendant lesquels le stagiaire apprendra tout ce qui concerne le métier qu'il a choisi. Armé de ces connaissances, il pourra à son tour innover et créer», nous apprend-il. Il déclarera que, pour promouvoir l'artisanat au niveau national et international, la chambre a participé à différents salons et a pu décrocher des prix. Il citera à titre d'exemple, le 3e prix décerné à son institution lors du Salon international de l'artisanat à Alger tout en nous informant de la présence de la chambre de Annaba dans les manifestations qui se sont déroulées à Damas, à Milan ou à Strasbourg. Peut-être qu'avec toutes les mesures prises par les autorités de tutelle, ce secteur qui représente notre culture, notre identité et notre patrimoine prendra sa revanche sur cette modernité stérile qui a tout écrasé sur son passage.