Face à la chute du niveau de l'enseignement en Algérie à la fin des années 1990, un phénomène nouveau est apparu en Algérie : les cours particuliers. Réservé au début aux enfants de riches, qui n'arrivaient pas à décrocher de bonnes notes, le phénomène a pris une ampleur extraordinaire. Depuis, il est entré dans les mœurs et les parents d'élèves, peu importe leur appartenance sociale, y ont recours comme s'il s'agissait de la seule et unique planche de salut pour leurs enfants en proie à la médiocrité scolaire. Ainsi, avec de plus en plus de parents désireux de payer en faveur de ce qu'ils considèrent comme la clé de la réussite future de leurs enfants et avec des professeurs qui cherchent à trouver un moyen d'arrondir leurs fins de mois, le phénomène des cours particuliers en Algérie est passé de l'exception à la règle. Pour de nombreux observateurs, les professeurs particuliers comblent les insuffisances du système éducatif national. Mais pour d'autres, il s'agit là d'une forme de racket que des enseignants en quête de gain exercent sur leurs élèves. En réalité, force est de constater que les enseignants trouvent largement leur bénéfice dans cette tendance aux cours particuliers. Dans les classes, les témoignages sont légion pour le prouver, des enseignants n'hésitent pas à inciter leurs élèves à s'inscrire dans les cours supplémentaires qu'ils dispensent à leur domicile. Ils font miroiter aux parents un enseignement individuel que l'enfant ne peut plus obtenir à l'école. Convaincus qu'il offrira à leur progéniture une meilleure chance de réussite, ces parents mettent souvent le paquet, offrant ainsi aux professeurs l'opportunité d'ajouter un supplément considérable à leurs revenus. Un lourd fardeau financier La pratique s'est tellement répandue que plus aucun élève ou lycéen ne peut aujourd'hui se passer de ces cours, devenus aussi indispensables que chers. Des affaires juteuses se font dès lors sur le dos des enfants scolarisés. D'ailleurs, beaucoup de parents s'en émeuvent et se posent des questions. Cela d'autant que le niveau de leurs enfants ne s'améliore pas vraiment. S'agit-il alors d'un commerce prospère qui profite des défaillances de l'école et de l'incompétence de son administration ? Pour de nombreux parents, la réponse est oui. Et si pour les élèves, payer «à l'extérieur» de l'école est la seule manière de rattraper le manque de concentration en classe à cause de l'encombrement et de la surcharge du programme, pour les familles, il s'agit beaucoup plus d'un lourd fardeau financier qu'elles supportent difficilement en cette période de crise du pouvoir d'achat, notamment s'il y a plusieurs enfants scolarisés. Malgré cela, à présent, aucun niveau scolaire n'échappe aux cours supplémentaires : du primaire au secondaire, particulièrement les élèves préparant un examen ; chacun se sent obligé de payer des cours supplémentaires. Fatiha, médecin, est le modèle atypique de ce nouveau parent soucieux, compétiteur. Elle nous confie qu'elle doit recourir à cette méthode pour garantir à ses enfants la réussite en fin d'année. Elle a trois enfants qui suivent des cours de soutien. Deux d'entre eux sont au primaire. «Certains enseignants obligent, en quelque sorte, les élèves à suivre des heures supplémentaires pour leur octroyer de bonnes notes même si leur niveau est bon. C'est le cas de mes enfants qui étaient sans cesse harcelés par leurs maîtresses car ils ne suivaient pas de cours supplémentaires», déclare-t-elle. Son aîné, Amine, explique que, sous la pression de son professeur des mathématiques, il a été contraint de faire partie des élèves qui suivent des cours de soutien. «Il faisait exprès de ne pas bien expliquer le cours en classe et nous insinuait que ceux qui veulent réussir et améliorer leur niveau n'avaient qu'à suivre des heures supplémentaires chez lui pour seulement 500 DA par mois», s'exclame-t-il. Cette pratique prend de plus en plus de l'ampleur bien que ces cours supplémentaires privés soient interdits par le ministère de l'Education nationale. Selon Mohamed, enseignant dans le primaire à Birkhadem, il est indigne d'un membre de la famille de l'enseignement de s'adonner à un tel commerce. «Un enseignant est censé éduquer des générations. C'est un devoir civique. Mais les valeurs éthiques n'ont plus cours aujourd'hui. Tout le monde pense à gagner de l'argent», dit-il. De leur côté, les enseignants qui recourent à cette pratique avancent plusieurs excuses. Saliha, qui complète son revenu en donnant des cours particuliers à ses heures perdues, signale que, si les enseignants étaient payés à leur juste valeur, le phénomène n'aurait jamais existé. «On arrive difficilement à joindre les deux bouts avec le salaire qu'on nous donne. Il faut bien qu'on ait une autre ressource pour pouvoir subvenir aux besoins quotidiens», indique-t-elle. Elle ajoute tout de même que le professeur ne doit pas obliger ses élèves à suivre des cours supplémentaires mais qu'il doit plutôt inciter les plus faibles à renforcer leur niveau scolaire. «Mais en réalité, ça ne se passe jamais comme ça», reconnaît-t-elle. Selon les sociologues, il ne sert à rien d'incriminer seulement les professeurs car le phénomène est lié au changement de la société algérienne. Ils expliquent que les parents, trop occupés, n'ont plus le temps de bien suivre leurs enfants et préfèrent les solutions de facilité. «Les parents préfèrent sous-traiter l'opération de révision des leçons de leurs enfants pour bénéficier de leur temps libre. La famille fuit ses responsabilités», analysent certains d'entre eux. Même les campus ne sont pas épargnés Autre fait nouveau qui attire l'attention, les cours particuliers envahissent les campus. En effet, les étudiants se retrouvent désormais contraints de suivre des cours de soutien pour réussir aux épreuves des EMD. Mais, à ce niveau, les tarifs pratiqués donnent le tournis. Des étudiants à la faculté de médecine d'Alger, laquelle est très affectée par la grève des hospitalo-universitaires, se rabattent pour rattraper le retard et combler leurs lacunes sur les cours particuliers que leurs professeurs dispensent dans leur demeure. Prix à payer : 4 000 DA par heure ! Des étudiants en médecine nous ont confié que, s'ils n'acceptent pas à suivre ces cours, leurs professeurs n'hésiteront pas à les «saquer» le jour des examens. «Nos professeurs nous font du chantage. Ils sont tout le temps en grève ou en déplacement. Et pour rattraper le retard ou nous aider à préparer les examens, ils nous conseillent de venir chez eux pour suivre des cours de soutien. Faute de quoi, aux examens, on se retrouve avec des notes éliminatoires», raconte Lamia, étudiante en 3e année de médecine. A la faculté de commerce de Dély Ibrahim, les étudiants sont également pris en otages. Une enseignante d'anglais, qui a ouvert, à son propre compte, une école privée de formation en langue anglaise, a suggéré à ses étudiants d'améliorer leur niveau en suivant au sein de son établissement des cours accélérés à 3 000 DA. Celles ou ceux qui n'ont pas jugé bon de consentir aux frais de ces cours se sont vu attribuer des notes catastrophiques lors des exposés. «Le message était donc clair : ou vous payez ou vous redoublez l'année. Du coup, nous nous sommes tous inscrits dans son école», révèle une étudiante en première année de commerce à la faculté de Dély Ibrahim. De tels cas sont encore légion dans les centres universitaires de notre pays. Preuve que le business des cours particuliers gangrène aussi l'université. Il n'en demeure pas moins que les cours particuliers ont encore de beaux jours devant eux. A la lumière des carences pédagogiques dont souffre notre école, les parents et les élèves ne sont pas prêts à abandonner l'enseignement au noir. Le ministère de l'Education nationale, dans un sursaut d'orgueil, a tenté, tant bien que mal, de contrer l'influence des cours particuliers en organisant des cours de rattrapage au profit des élèves en difficulté dans les cycles primaire, moyen et secondaire. Mais cela n'a guère enrayé l'expansion des cours particuliers. C'est à croire enfin que la réussite scolaire dans notre pays est devenue avant tout une question d'argent ! A. S