Photo : Zoheïr Par Karima Mokrani Immense clôture autour de l'ancien Monoprix de Belcourt, saccagé lors des événements du 5 octobre 1988. L'endroit change de destination, accueillant désormais la Banque extérieure d'Algérie (BEA). Les nouveaux locataires ne s'y sont pas encore installés mais l'écriteau vert annonce bien leur arrivée prochaine dans les lieux. Nouveaux sièges pour la BEA «Il n'y a plus de Monoprix. C'est devenu un siège de la BEA. Ils vont s'y installer prochainement. D'ailleurs, tout est réaménagé à l'intérieur comme à l'extérieur pour l'accueil de la nouvelle équipe», rapportent des habitants du quartier, non sans dire leur douleur de voir cet espace changer de main et de destination. «C'est vraiment une perte pour nous et pour toute l'Algérie. Toutes les Galeries et tous les Souks el fellah du pays ont disparu. Les nouvelles grandes surfaces ne les remplaceront pas, d'autant plus que les prix affichés sont de plus en plus élevés», lancent, dépités, deux hommes. L'emplacement de l'ancien Monoprix ne semble pas, pourtant, adapté aux besoins de l'entreprise financière. «Les travaux d'aménagement de la nouvelle banque sont terminés mais cette dernière n'ouvrira pas ses portes de sitôt. Ils sont en justice avec un autre partenaire qui prétend avoir des droits sur une partie de ces espaces. Il y a aussi le problème de l'arrêt des bus qui se trouve juste à la sortie de la banque mais aussi le marché de Laaquiba à quelques mètres seulement… Ce n'est pas du tout l'endroit adéquat pour une banque», soutiennent les deux hommes. Le même écriteau en vert à la rue Didouche Mourad interpelle le regard de ceux qui restent nostalgiques du Monoprix. L'ancien local de la grande distribution des produits algériens cède la place à la BEA et tout est fin prêt, semble-t-il, pour l'inauguration de la nouvelle banque. «Ils vont bientôt l'inaugurer», indique un jeune, la vingtaine, surveillant les voitures qui stationnent dans un espace libre qu'il a transformé en parking, le sien, son gagne-pain. Le jeune ne se rappelle pas l'ancien Monoprix ni l'ancien Souk el fellah où il mène son activité de gardien de parking. Il pense, toutefois, qu'une bonne occasion de faire travailler les jeunes chômeurs du quartier se rapproche. «L'ancien Souk el fellah est fermé depuis presque six ans. Il est vendu à l'homme d'affaires Issaad Rebrab. On ne sait exactement ce qu'il va en faire mais une chose est sûre : c'est qu'il y aura du travail pour les jeunes chômeurs du quartier. Rebrab fait travailler les jeunes partout où il ouvre une entreprise», affirme le jeune, optimiste. Mis à part les déclarations du jeune homme, rien n'indique que l'ancien Souk el fellah est vendu, acheté… ou autre. Absolument rien qui renseigne sur son devenir ni sur son passé. L'endroit semble plutôt être complètement abandonné, depuis plusieurs années. Murs décrépis, salis, fenêtres défoncées, débris de verre… et odeurs nauséabondes. «Ils sont en justice avec la Sonelgaz qui réclame une partie des locaux», affirme un habitant du quartier. Il y a quelques années, souvenons-nous, d'anciens travailleurs de ce Souk el fellah, devenus des actionnaires, prétendaient travailler de façon que l'ancienne grande surface redevienne ce qu'elle était, promettant de s'engager corps et âme pour son développement. Pas de trace de ces hommes ! Une clôture pour cacher l'abandon C'est presque le même constat dans le lieu abritant l'ancien Souk el fellah de Ruisseau. A quelque différence près. «C'était devenu un lieu de consommation de boissons alcoolisées et d'hébergement des délinquants. C'était insupportable. En tant qu'habitants du quartier, nous avons rédigé une pétition et interpellé les responsables de l'APC pour y mettre fin. Cette dernière a, donc, engagé des travaux de réfection de l'ancien local et l'a fermé», raconte un habitant. Qu'adviendra-t-il de cet espace ? «On n'en sait rien. Ils disent qu'il est vendu à un privé mais il n'y a rien d'officiel», poursuit notre interlocuteur. L'ancien Souk el fellah de Ruisseau, incendié lors des événements d'octobre 1988, est resté vacant depuis. Abandonné durant 21 ans ! Comme c'est le cas, d'ailleurs, pour d'autres locaux des anciens Souks el fellah et des Galeries algériennes à travers tout le pays. Qu'attendent les pouvoirs publics pour les récupérer, sinon les transformer en espaces d'utilité publique ? «Les réhabiliter ? Je ne le pense pas. Les transformer ? Peut-être. Mais pas pour utilité publique. Ce genre d'espace est convoité par tout le monde», indique un autre habitant du quartier. Même situation, si ce n'est pire, à la rue Ben M'hidi (Alger-centre). L'ancien Monoprix «Bon Marché» est dans un abandon total. Immondices et mauvaises odeurs… Rien n'indique que cet endroit abritait l'ancienne grande surface. On penserait plutôt à un parking, ancien ou nouveau. Et, pourtant ! Rien que d'évoquer le nom… pour retomber dans une époque où «tout était bien. Bon !». «C'était la belle époque !», se souvient une habitante de la Grande Poste. Cette femme est d'autant plus bouleversée qu'à quelques mètres seulement de cet espace commercial, sur le même trottoir, se trouve le beau siège des anciennes Galeries algériennes. Une bâtisse de trois étages qui se distingue par son bois et son style architectural. La bâtisse est transformée en musée d'art mais perd sa magnificence. C'est, du moins, l'impression qui se dégage des premiers pas à l'intérieur. «Je suis déçue. Très déçue par ce qu'ils ont fait. Je ne reconnais pas cet endroit que j'ai tellement aimé et admiré… Ou est passé le bois ? Pourquoi l'ont-ils peint en blanc ? Et qu'est-ce que c'est que ces tableaux collés aux murs ? C'est cela Alger ?», demande, furieusement, la dame. D'autres citoyens émettent le même jugement et s'interrogent, notamment, sur l'absence du bois dans l'actuel musée. «Nous ne comprenons pas pourquoi ils ont tout peint en blanc. C'est ce bois-là qui faisait tout le charme des anciennes Galeries.» Beaucoup parmi les visiteurs du nouveau musée ne pensent pas y retourner tellement leur déception est grande. La faculté de médecine en chantier A Ben Aknoun, l'ancien Monoprix est complètement inaccessible aux citoyens. C'est fermé de partout. Il n'y a aucune entrée. «Le Monoprix est fermé depuis dix ans. L'entreprise a déclaré faillite», répond un habitant des Asphodèles à une ancienne étudiante qui avait l'habitude de s'y rendre pour ses achats quotidiens. «Ils disent qu'il est vendu à un privé mais on ne sait qui est cet homme ni ce qu'il va en faire», affirme l'homme qui doute de la conclusion d'une quelconque affaire avec un privé. «C'est un espace que se disputent de nombreuses personnes», dit-il. Et cet homme d'exprimer son étonnement de voir l'ancien local aménagé pour l'accueil des jeunes chômeurs : «Pensez-vous donc aux 100 locaux commerciaux promis aux jeunes chômeurs ? Détrompez-vous ! Cela ne sera jamais aménagé pour eux. Il est trop important pour être cédé à n'importe quelle personne et à n'importe quel prix.» L'homme rappelle que l'ancien Monoprix était promis une extension du cimetière mais cela n'a pas eu lieu : «Les habitants de Ben Aknoun n'ont pas insisté sur le maintien du projet… comme s'ils ne mourront pas un jour !». Et son ami d'évoquer le projet de réalisation de logements sociaux pour les habitants de la même commune à l'endroit qui abritait l'ancien Souk el fellah de Châteauneuf : «Ils ont prévu la réalisation de logements sociaux pour les habitants de la commune mais ces derniers ont vite déchanté par l'annonce de la réalisation d'un autre projet dit d'utilité publique.» En quoi consiste ce projet ? Il s'agit d'une faculté de médecine de 10 000 places pédagogiques. Le chantier, d'une durée de 30 mois, a été lancé depuis 6 mois. Les employés de l'entreprise Cosider sont à pied d'œuvre pour le mener à terme dans les meilleurs délais et conditions. Réussiront-ils à relever le défi ? Les jours à venir nous le diront. A Garidi II, des travailleurs continuent de faire de la résistance pour la sauvegarde de l'ancien Souk el fellah qui a fait l'objet d'actes de vol et d'escroquerie. Le prétendu acquéreur de l'ancienne grande surface serait en prison ou en fuite. L'avenir des anciens travailleurs, devenus actionnaires, demeure incertain. «Nous finirons par faire entendre nos voix…» lancent, sur un ton ferme, deux vendeurs.