Ce qui ne s'apparentait qu'à une simple infraction douanière liée à un défaut d'étiquetage s'est avéré être un immense scandale économique au centre duquel se trouvent l'agence 42 de la Banque extérieure d'Algérie et son client la société privée El Boustène, dont le patron, Abdelhamid Boudiaf, est en fuite depuis que la chambre d'accusation près le tribunal de Annaba a décidé de le mettre sous mandat de dépôt. Tout a commencé le 19 janvier 2003 (à la veille de l'Aïd El Kebir) lorsque les douaniers, lors d'une banale opération de contrôle, ont découvert dans les 78 containers (1404t) de la conserverie El Boustène des boîtes de concentré de tomates à 15 %, provenant d'Italie avec un étiquetage portant la mention « Made in Algeria ». Un produit fini prêt à la consommation, dont l'importation a été financée entièrement par la BEA, agence 42. Le patron, client de cette banque depuis 1973, tente de trouver une sortie avec les Douanes en leur remettant une lettre transmise par son client italien qui explique que l'erreur dans l'étiquetage lui incombe. Le doute sur la bonne foi de Boudiaf s'installe dans la mesure où c'est la deuxième fois en l'espace d'une année qu'il se retrouve dans une pareille situation. Il y a une année, il a importé par le biais de sa deuxième société, Agritec, des engrais phosphatés avec une étiquette portant la mention « Fabriqué en Israël ». Son fournisseur a transmis une lettre où il fait état de ses excuses pour l'erreur due « à une confusion » de sa part lors de l'opération d'emballage du produit en Turquie. Le compromis trouvé à cette époque avec les services des Douanes est la réexportation de la marchandise vers le pays d'origine. Au niveau des services des Douanes, l'affaire El Boustène dépasse une simple infraction douanière. Ils saisissent alors la marchandise, mais découvrent par la suite que les documents présentés dans le cadre des formalités douanières diffèrent de ceux existant au niveau de l'agence 42 de la BEA. La brigade de recherche de la gendarmerie ouvre une enquête et, à son tour, elle lève le voile sur une opération de financement d'importation de produits destinés à la vente en l'état. Au moment de sa première présentation au parquet, avec le directeur régional de la BEA, le directeur de l'agence 42 et deux autres agents de la banque, Boudiaf tente une deuxième fois de s'en sortir en saisissant la commission nationale de transaction, pour reprendre la marchandise en s'acquittant de l'amende estimée à une fois la valeur de la marchandise. Il obtient l'accord. Devant le juge d'instruction, il défend son dossier en affirmant qu'il s'agit d'une simple infraction douanière. Le juge décide de mettre les 5 mis en cause, dont Boudiaf, en liberté. Une décision qui a surpris tout le monde surtout que le dossier semblait bien ficelé et les délits reprochés aux mis en cause sont : complaisance en matière de procédure, dilapidation de deniers publics, détournement illégal d'une activité commerciale, exercice d'une activité commerciale illégale et évasion fiscale, et aux responsables de la banque complaisance dans la procédure. Les enquêteurs ont découvert également que le registre du commerce de Boudiaf a été annulé le 15 juin 2001 et n'a été renouvelé que le 21 août 2001, période durant laquelle il a exercé sans ce document. Pour l'opération de dédouanement de la tomate, Boudiaf a présenté aux services des Douanes un tout nouveau registre du commerce d'import-export établi spécialement pour cette opération le 7 décembre 2003, soit à la veille de l'arrivée de la marchandise d'Italie. Le procureur fait appel auprès de la chambre d'accusation et obtient la mise sous mandat de dépôt de Boudiaf, du directeur régional de la BEA et de celui de l'agence. Trois autres agents de la banque ont été mis sous contrôle judiciaire. La manière avec laquelle le juge aurait traité le dossier a fait réagir la chancellerie, qui aurait ouvert une enquête nous dit-on. Boudiaf apprend sa mise sous mandat de dépôt dix minutes seulement après sa signature. Il s'envole vers une destination inconnue et, depuis, il reste recherché. Plus de 3,5 milliards de dinars de prêts non remboursésPourquoi a-t-il agi de la sorte ? Tout a commencé le 19 octobre 2003 lorsque El Boustène obtient l'accord (n°342/03) de la direction des engagements des petites et moyennes entreprises (au niveau central à Alger) pour l'autorisation de l'ouverture d'un crédit documentaire refinance à 60 jours renouvelable (revolving) de 120 millions de dinars pour un programme d'importation de 16 000 t de triple concentré de tomates destiné à l'industrie de transformation. Le 23 octobre, l'agence 42 procède à la domiciliation de la facture pro forma, datée du 22 octobre pour un montant de 1 326 000 euros établie par un fournisseur italien, pour l'importation de concentré de tomates (de 28 à 30 %) et ouvre un crédit documentaire par swift (n°210/0) auprès de la direction des opérations de l'étranger. Le 27 du même mois, cette direction a procédé à la mise en place du crédoc auprès de la Banque internationale arabe (BIA) installée à Paris. Une semaine plus tard, soit le 16 novembre, El Boustène saisit l'agence 42 par écrit lui demandant d'annuler le crédit au motif que son fournisseur refuse la BIA comme banque de confirmation du crédoc et souhaite la remplacer par sa banque San Paolo SPA Parma, en Italie. En attendant la confirmation de cette demande par la direction des opérations avec l'étranger, El Boustène a déposé au niveau de l'agence 42 (plus précisément l'intérimaire du directeur qui était absent) une nouvelle facture avec un montant de 954 000 euros d'importation qui diffère totalement de la première. Après réception de l'annulation du crédoc, El Boustène demande l'ouverture d'un autre crédit documentaire suivant la nouvelle facture, c'est-à-dire du concentré de tomates (à 16 et 18 %) pour la revente en l'état et dont le montant diffère de la première. Visiblement l'agence 42 n'a pas procédé à la vérification des produits importés. Abdelhamid Boudiaf a bénéficié d'un crédit pour importer de la tomate destinée à la transformation, mais il a vite changé le produit en gardant le même crédit, cela bien sûr ne pouvait se réaliser sans la complaisance des responsables de la BEA Annaba. Il est important de signaler que Boudiaf n'est pas un client ordinaire. Rien que dans cette banque, où il est client depuis plus de 30 ans, il a bénéficié de nombreux prêts bancaires sur plusieurs années qui ont atteint 1 542 359 992 DA. Les garanties offertes à cette banque ne couvrent même pas le dixième de ce montant. Et dans l'affaire du triple concentré de tomates, Boudiaf a présenté son usine comme garantie. Une usine déjà mise en garantie dans d'autres banques (BNA et BDL) pour l'obtention d'autres prêts qu'il n'a jamais remboursés et qui avoisinent (en comptant ceux de la BEA) les 3,5 milliards de dinars. L'éclatement de cette affaire a fait subitement réveiller les services des impôts qui lui réclament aujourd'hui 720 millions de dinars à El Tarf et 600 millions de dinars à Annaba. Si dans cette ville le fisc a déposé plainte contre Boudiaf, à El Tarf, où se situe son usine de conserve de tomate, les mêmes services ont préféré le faire bénéficier d'un échéancier. De son côté, la société publique d'emballage EMB de Azzaba a également poursuivi en justice El Boustène pour un contentieux une facture impayée de 400 millions de dinars. El Boustène ne s'est pas acquittée de plusieurs factures pour la réalisation d'emballage pour sa tomate en conserve, mettant l'entreprise étatique dans une situation financière des plus délicates. L'avocat de Boudiaf, Me Farah, ancien procureur de Skikda, après avoir déclaré à la presse locale que le dossier de son client « était vide » avançant même la thèse « du complot », s'est ravisé en précisant que ses propos ont été « mal interprétés » par la presse. Il a tenu à indiquer que son mandant a confiance en la justice, sans pour autant expliquer pourquoi il est toujours en fuite. La famille du directeur régional de la BEA n'a pas cessé de faire le tour des rédactions locales pour crier haut et fort son « innocence » arguant que ce responsable était absent lors de la signature des documents. « Ses subordonés disent qu'il leur a donné l'ordre de signer par téléphone. Ils n'ont qu'à assumer leurs actes. La loi ne protège pas les naïfs. Il n'y a aucune preuve de sa culpabilité. Sa direction générale continue à lui f aire confiance même s'il est actuellement en prison », a déclaré son fils membre du collectif de ses avocats. Pourtant, c'est sur la base du rapport de l'inspection régionale de cette institution financière qu'une plainte contre X a été déposée par la BEA Alger. L'affaire est actuellement en instruction et pour bon nombre d'observateurs, elle risque d'aboutir dans les tout prochains jours sur d'autres révélations liées aux facilités accordées à El Boustène pour obtenir des crédits bancaires sans aucune garantie au niveau des banques publiques locales. Annaba : De notre envoyée spéciale