Les choses sérieuses peuvent enfin commencer. Après une belle soirée foot durant laquelle l'équipe russe est passée à côté de l'essentiel, les dirigeants de l'Union européenne et Dimitri Medvedev ont entamé d'âpres négociations sur un futur partenariat stratégique. Ça va chauffer en Sibérie, les «conflits» entre les deux parties ne se comptent pas sur les doigts. De l'affaire abkhaze à l'énergie, en passant par la question des droits de l'Homme, le sommet UE-Russie va être des plus complexes. D'autant plus que le «poulain» de Vladimir Poutine n'est pas venu faire de la figuration, ses lignes rouges sont aussi intouchables que celles de son prédécesseur. Avant que les pourparlers ne commencent pour de bon, le 4 juillet à Bruxelles, il est évident que les acteurs des deux bords ne vont pas se regarder en chiens de faïence. Chacun va y aller de ses arguments pour convaincre l'autre. Et, en la matière, Medvedev ne part pas en Sibérie les mains vides. Ayant plus d'un tour dans ses poches, il tentera certainement de jouer la carte de la dépendance énergétique à fond. Et attendre la réaction des Européens qui ne comptent pas se laisser faire au risque de voir le pétrole et le gaz russes couler au compte-gouttes. Les Vingt-sept peuvent-ils ignorer l'intégrité territoriale géorgienne, Tbilissi étant devenu un allié sûr ? Ils peuvent bien en parler mais le Kremlin demeurera inflexible sur le sort de la République séparatiste d'Abkhazie. Preuve de cette rigidité, le président abkhaze a été reçu, jeudi dernier, en grande pompe à Moscou. Histoire de signifier au partenaire européen que la politique étrangère russe sera aussi intraitable avec Medvedev qu'avec l'homme qui reste fort du côté de la place Rouge. Et ce n'est pas que sur ce terrain que la Russie bataille. Elle ne lâche pas prise sur le front onusien. N'ayant toujours pas digéré la proclamation unilatérale de l'indépendance de la province du Kosovo, les autorités russes font le forcing pour faire valoir les droits de Belgrade. Et pourquoi pas renverser la vapeur en faveur de la Fédération de Serbie. Mais il semblerait que, sur ce point précis, les Russes gagneraient au plus le report du déploiement de la mission de police et de justice que l'Union européenne cherche à déployer au Kosovo dans de brefs délais. Cela entamera-t-il la confiance entre les Vingt-sept qui veulent s'assurer que demain l'arme du pétrole ne va pas se retourner contre eux et la Russie qui veut mener ses réformes au rythme qu'elle s'est fixé ? Entre les premiers qui cultivent l'idée d'être pris en otages par leur partenaire, vu leur dépendance énergétique, et la seconde qui n'est pas prête à se laisser dicter une leçon de démocratie, il y a risque que ça foire à certains niveaux. Toujours est-il que Medvedev peut revenir sur des événements récemment survenus pour signifier à son vis-à-vis que la grande démocratie européenne ne se porte pas aussi bien qu'elle en a l'air. Face à un Silvio Berlusconi qui traite la justice de son pays de «métastase» et un Nicolas Sarkozy qui s'offre le plaisir de nommer le directeur général de France Télévision, les autorités de Moscou ont de quoi rendre la monnaie de leur pièce. Egalement sur la question des droits de l'Homme où elles ne pensent pas être plus médiocres que le reste des démocraties européennes. Après tout, l'opposition n'a-t-elle pas pu continuer à jouer aux échecs alors que Medvedev a accédé au pouvoir par la voie légale des urnes ? Les Européens peuvent reprocher à la Russie son tour de «passe-passe électoral», quant à la nomination de Vladimir Poutine comme Premier ministre, mais il n'est pas dit que le souffle de la critique va se maintenir à ce pic. Venus en Sibérie sonder les réelles intentions de Medvedev, les dirigeants de l'Union européenne rentreront-ils dans leurs capitales respectives avec le sentiment de ne pas avoir bousculé suffisamment les lignes russes ? En organisant ce sommet en Sibérie, symbole du boom pétrolier russe, le Kremlin a déjà prévenu de l'essentiel. A. D.