Photo : Sahel Par Abderrahmane Semmar Il y a quelques dizaines années encore, il émanait de la côte algéroise, qui s'étend de l'oued Mazafran à l'oued Réghaïa, soit un itinéraire côtier de près de 97 km, avec ses plages de sable fin, ses criques rocheuses et ses ports de plaisance pittoresques, une atmosphère romantique, pleine d'aventure et d'intrigues, qui réjouissait les estivants et faisait rêver les poètes. Ceux qui l'ont connue, fréquentée, ont foulé son sable fin, marché sur sa jetée, plongé dans son eau, découvert son rivage, capricieusement festonné, creusé de criques et d'anses, en parlent toujours avec amour, une pointe de nostalgie et, parfois, avec un grand pincement au cœur. Qui ne se souvient de Club nautique, cette magnifique plage de Rais Hamidou séparée par un simple escalier de Rascasse voisine de la mythique Franco (la Pointe). Cette baie qui fait face à un petit îlot a bercé l'enfance de Jean Sénac, lequel tissait ses vers sur sa falaise et rêvait la nuit dans ses cabanons. Elle enchantait l'inspecteur Tahar, Sid-Ali Kouiret, Roger Hanin, et de nombreuses autres célébrités. Artistes, sportifs et commun des mortels venaient régulièrement admirer les eaux limpides et azurées de ce véritable coin de paradis choyé par un soleil étincelant. Mais, aujourd'hui, les plages Club nautique et Rascasse, séparées à l'origine par les fameux piliers de l'ex-voie ferrée, sont interdites à la baignade, parce que la pollution et l'incivisme des riverains les ont transformées en une décharge à ciel ouvert. La première est souillée par des eaux usées des rivières, naguère pures, descendant des monts de Bouzaréah et la deuxième par des déchets de la cimenterie de la Pointe. Les rejets de cette dernière ont fait de la mer un immonde grand bassin blanchâtre à l'heure même où sa cheminée ne cesse d'expectorer un nuage de poussière qui lézarde le ciel, non sans s'agglutiner, au gré des vents, sur la toiture et les parois des coquettes demeures coloniales. Certes, ces deux plages sont faiblement fréquentées par les baigneurs. Mais, elles ne sont guère désertes. «L'eau n'est pas propre ici. On le sait. La plage est polluée, on le sait aussi. Mais, on est amoureux de cette plage et on ne l'abandonnera pas même si on nous proposait tout l'or du monde», nous dit Dido Abdelkhader, le torse et le visage brunis par le soleil, un habitué du coin et un enfant de Rais Hamidou. Notre interlocuteur oriente notre regard en pointant un index sur une rigole d'eau blanchâtre provenant de la cimenterie. L'eau des rivages de la plage est de la même couleur et s'étend sur plusieurs mètres de large le long de la plage et par certains endroits elle flirte carrément avec le petit îlot, témoin sinistre de cette pollution qui n'émeut plus personne. Le regard agressé et le cœur révulsé Sur le versant de la falaise, des centaines de sacs d'ordures, des gravats, des cadavres de rats, des cannettes de bière et des bouteilles en plastique s'entassent et forment une montagne de déchets. Le regard est agressé par cette vue et le cœur est révulsé par les odeurs pestilentielles qui s'en dégagent. Ce spectacle hideux, ce panorama honteux parcourt pratiquement toutes les calanques et les criques de la côte algéroise. A Aïn Bénian, les rochers appelés communément «embaligos», en bas les égouts, ce qui est assez explicite, et la crique «la Patriote», sont de véritables décharges. La nuit, au grand dam des habitants du Hai Djeroum Belkacem, des camions viennent déverser dans la mer toutes sortes de déchets, y compris des déchets hospitaliers très dangereux pour la santé de nos concitoyens. Des habitants des quartiers ont essayé de faire barrage à ces pollueurs mafieux en saisissant les services de sécurité. Ils ont même établi une clôture qui n'a pu malheureusement protéger la mer et ses rochers de la barbarie de ces pollueurs que personne n'ose inquiéter. Des criques et des plages qui croulent sous les déchets, on en apercevra aisément dans chaque commune côtière. Il faut dire que les 83 plages d'Alger perdent d'un été à un autre leur charme d'antan. Le constat est amer mais ô combien vrai et incontestable car même les plus mythiques des plages d'Alger n'échappent pas aux dégradations quotidiennes. Envahies par d'épaisses couches de détritus charriés par les vagues, après avoir été, vraisemblablement déversés par des navires croisant au large de la façade maritime algérienne, de nombreuses plages d'Alger ont subi au cours de ces dernières années une pollution très avancée. D'autre part, arrivant par vagues successives, durant une bonne partie de la journée, des quantités compactes de débris de toute nature sont, sur certaines plages, à l'exemple de celles de Palm Beach, Azur plage, Horizons bleus, Miramar, Bains romains, Baïnem et d'autres encore, déversées par les estivants, nombreux en cette période caniculaire à piquer une tête dans l'eau. Pour la saison estivale de cette année, plusieurs millions d'estivants sont attendus sur les 54 plages autorisées à la baignade. Nouveauté de l'été de cette année : 6 nouvelles plages ont été ouvertes au public alors qu'elles étaient interdites à la baignade en 2008. La poudrière, Eden, Casino, Plage artificielle, Belvédère et la Vigie, abritent, depuis le début de la saison estivale, des milliers de vacanciers en quête d'évasion et de farniente. Ces plages surplombées de roseaux et de ronces et dont les rivages regorgent de cailloux permettront, un tant soit peu, de diminuer la terrible pression qui s'exerce sur d'autres plages, croient savoir les responsables de la wilaya d'Alger. Il n'en demeure pas moins que 29 plages sont encore interdites à la baignade. 15 d'entre elles sont tout bonnement polluées et présentent un grand danger pour la santé des citoyens. 6 autres plages sont classées dangereuses à cause de leurs rochers à fleur d'eau. 3 plages font l'objet de divers travaux et 5 plages souffrent de l'absence d'accès. Par ailleurs, pour garantir la qualité de l'eau de mer, des analyses des eaux de baignade ont été effectuées au niveau de l'Institut Pasteur suite à des prélèvements réalisés par l'Agence de la protection et de la promotion du littoral (APPL) et l'établissement chargé de l'hygiène urbaine (HURBAL) ainsi que ceux acheminés par les bureaux communaux d'hygiène. A ce propos, on nous apprend que plus de 550 échantillons, répartis en quatre campagnes, ont subi des analyses bactériologiques à ce jour par l'Institut Pasteur pour le compte de l'APPL. Celle-ci possède une banque de données relatives à la qualité bactériologique et physico-chimique des eaux de baignade de toutes les plages de la wilaya sur la période de 1999 à 2009. Chargée d'autres missions axées autour de l'identification et du suivi des sources de pollution ainsi que la surveillance de la qualité du milieu marin côtier, l'APPL dispose d'un ingénieur par commune côtière. Aussi, chaque jour, 650 agents de cet organisme sont dépêchés sur les plages pour les nettoyer des ordures et immondices que les estivants laissent derrière leur passage. Quotidiennement, les ingénieurs de l'APPL envoient à la wilaya les bulletins de renseignements quotidiens (BRQ). Dans ces bulletins, toutes les atteintes contre l'environnement sont recensées et signalées aux autorités compétentes et aux services de sécurité. «Nos citoyens continuent à considérer les plages comme des décharges» «Malheureusement, nos citoyens continuent à considérer que nos plages sont des décharges. Depuis le début de la saison estivale, sur les grandes plages, nous ramassons chaque jour l'équivalent de 6 tonnes de déchets. Les citoyens doivent absolument apprendre à laisser la plage propre», explique à ce sujet Mme Boukassem, sous-directrice à l'APPL. Toutefois, selon notre interlocutrice, «il y a de moins en moins de dégradations dans les plages» et «le littoral algérois va beaucoup mieux». Pour étayer ses propos, Mme Boukassem argumente. «En 1999, il n'y avait que 30 plages autorisées à la baignade. En 2009, nous en sommes à 54. Pour ce faire, nous avons fourni beaucoup d'efforts en travaillant en étroite collaboration avec les services de l'hydraulique et la direction des travaux publics. Nous avons lutté contre les rejets des eaux usées sur les plages. Nous avons récupéré plusieurs plages grâce à cela», poursuit-elle en nous signalant que le problème des rejets d'eaux usées individuelles est le plus menaçant pour la propreté de nos plages. «Des millionnaires construisent des villas de luxe et ne dépensent aucun centime pour se brancher au réseau d'assainissement de leur quartier. Nous interceptons ces rejets et nous signalons à chaque fois aux collectivités locales ces contrevenants qui polluent sauvagement les plages», souligne encore Mme Boukassem. Concernant les rejets d'eaux usées collectives dans la mer, la sous-directrice de l'APPL table sur la multiplication des stations d'épuration d'eau, au nombre de trois seulement pour le moment, dans la capitale pour arriver enfin à leur éradication. De nouvelles stations de relevage seront également réceptionnées prochainement pour récupérer les eaux usées des communes. «On peut épurer toutes les plages d'Alger. Ce n'est pas une utopie. On peut vraiment le réaliser. On est déjà en marche pour atteindre cet objectif», affirme sans ambages Mme Boukassem, dont l'optimisme contraste avec une réalité peu réjouissante. Cela dit, l'éradication des eaux usées ne protège pas pour autant les plages de l'Algérois contre la pollution. Et pour cause, le fait est avéré, la surexploitation des plages et le rush important des estivants renforcent la mauvaise qualité bactériologique des eaux de la mer. «La qualité de l'eau de mer se détériore dans les plages prises d'assaut par un nombre important d'estivants. Il faut absolument trouver une solution à cette surexploitation. Pour cela, il y a des plages à l'est d'Alger qui sont peu fréquentées contrairement aux plages de l'Ouest. Et pourtant, leur qualité d'eau est meilleure et elles sont plus grandes. Nous conseillons donc aux estivants de s'orienter vers ces plages», argue notre interlocutrice en citant le cas de Deca plage, Kaddous et d'autres encore. La multiplication des piscines communales et le renforcement des moyens de transport en direction des plages de l'est d'Alger seront d'un grand renfort, juge Mme Boukassem, pour venir à bout de la surexploitation des plages de l'Ouest, telles que Palm Beach, Azur plage, Sidi Fredj, Zéralda, etc. Des plages toujours exploitées ! Curage des fosses, aménagement des parkings, goudronnage de certains accès, éclairage renforcé, dotation de sanisettes et de douches, installation de cabines pour la Protection civile et la gendarmerie, en passant par la plantation d'espèces fixatrices de sable et débroussaillage, nombreuses ont été les actions menées pour assurer le bon déroulement de la saison estivale. Mais, le fait marquant de cette année est sans conteste l'interdiction par la wilaya de toutes les concessions de plages. Ainsi, toute forme d'appropriation des espaces est interdite. Toutefois, la location de matériel de plage (parasols, chaises, transats, etc.) est autorisée à condition de respecter les règles retenues dans ce cadre, à savoir ne pas accaparer d'espaces et ne pas provoquer de gêne et de désagréments au public. Mais qu'en est-il sur le terrain ? Force est malheureusement de constater que ces directives ne sont nullement respectées. Le citoyen fait toujours face à l'intimidation de ceux qui usent parfois des moyens les plus forts et les plus dissuasifs pour s'imposer. La plage censée être un lieu public qui ne peut être en aucun cas approprié par qui que ce soit, continue à être squatté par des jeunes plagistes, lesquels imposent un prix fort pour l'accès à la plage. Une simple virée à Palm Beach nous a permis de dresser ce constat amer. Les 49 bases nautiques de Palm Beach occupent toujours, sans la moindre autorisation, la plage et proposent des parasols à 200 DA, des chaises et des tables jusqu'à 600 DA. En tout et pour tout, le pauvre citoyen est contraint de dépenser 1 000 DA pour son plaisir marin. Alors où est-elle cette gratuité des plages décrétée par la wilaya ? «C'est des mensonges. Les pouvoirs publics n'ont jamais pu nous protéger contre ces voyous. On dirait que la plage leur appartient !» s'écrie un père de famille, rencontré à Palm Beach et qui ne comprend pas pourquoi personne ne poursuit les «squatteurs des plages» pour leurs agissements mafieux. De leur côté, ces jeunes clament leur innocence et font valoir leur droit de travailler. «Nous sommes des chômeurs. Nous n'avons aucune source de revenus. L'été est pour nous la seule opportunité de gagner un peu de sous. Nous investissons de l'argent pour assurer le confort des vacanciers dans nos bases. Nous assurons la sécurité et nous nettoyons les plages. Les agents de l'APC ne font rien de cela», crient d'une seule voix des jeunes plagistes à Palm Beach. Ces derniers condamnent l'attitude et la décision de la wilaya. Chaque matin, des gendarmes viennent confisquer le matériel de ces jeunes. Aucune arrestation n'est toutefois effectuée. «C'est injuste. Ils nous harcèlent comme ça parce qu'ils veulent qu'on leur verse de la chipa», réagissent-ils. Pour le moment, aucune mesure coercitive n'est venue ébranler la volonté et le business des squatteurs des plages. Après chaque saisie, ils réinstallent des parasols neufs. A en croire leurs confessions, ils mettent un paquet de 40 millions de centimes dans une base nautique de 20 m⊃2;. Auparavant, ils versaient près de 7 millions de centimes afin d'arracher l'autorisation de l'APC pour exploiter une portion de la plage le temps d'un été. Le bénéfice, quant à lui, avoisine facilement les 15 millions. C'est ce qui explique certainement pourquoi ils ne comptent guère prendre acte de la décision du wali d'Alger. «On ne partira jamais d'ici. On ne nous arrêtera pas avec de simples décisions. La wilaya veut-elle qu'on devienne tous des voleurs et des criminels ? Nous continuerons à travailler ici jusqu'à la fin de l'été, que cela leur plaise ou non», avertissent-ils sur un ton menaçant. Décidément, l'été promet d'être chaud. Trop chaud même.