De notre correspondant à Tizi Ouzou Malik Boumati à première vue, c'est un bout de tissu avec un côté vert et un autre blanc. Entre les deux, on trouve un croissant et une étoile rouges. A première vue seulement parce que ce bout de tissu, l'emblème national a une valeur immense dans le cœur de tous les Algériens. Dans la wilaya de Tizi Ouzou, il est chéri par tout le monde mais chacun à sa façon, même si un certain nombre de partisans de l'autonomie lui accolent les couleurs de leur idée. Et quand il est rejeté, c'est toujours sous le coup de la colère et surtout avec cette confusion que l'on commet entre drapeau national comme symbole et le pouvoir politique. Un rejet, bien entendu superficiel et temporaire puisque même si c'est juste un symbole, il n'y aucune famille dans cette wilaya, issue de la wilaya III historique, qui ne compte pas en son sein au moins un chahid. Et s'il symbolise l'Etat et ses institutions, l'emblème national représente plutôt aux yeux des populations de Tizi Ouzou «la nation algérienne» et son «identité profonde» et «l'engagement généralisé de toute une région dans la guerre de libération nationale». «Le drapeau, tamurt-iw [c'est mon pays]» dit Hocine, un jeune de 22 ans attablé au café maure Le Moka du centre-ville en compagnie de son ami Tarek. Si cette réponse est courte et paraît expéditive, c'est que le nationalisme pour lui n'est pas sujet à développement ou à discussion. Pour lui, le nationalisme, on ne l'exprime pas, on le sent en profondeur. Il est dans l'âme, dans le cœur, dans le sang. «Je n'ai rien d'autre à dire, le drapeau c'est moi, c'est l'Algérie», insiste-t-il encore avant que son ami Tarek tente un hypothétique développement en précisant que «l'emblème national représente l'identité profonde au sens large du terme». «Il est le symbole de l'indépendance de l'Algérie», ajoute-t-il après un moment d'hésitation. Ils ne s'attendaient pas à ce qu'une telle question leur soit posée et ils se rendent compte que mis à part quelques mots et quelques petites phrases, ils n'auraient jamais pu être prolifiques dès qu'il s'agit de se prononcer sur l'emblème national. «Cela parait tellement évident !» semblent-ils se dire. De son côté, Arezki, 31 ans, originaire de Tizi Rached, semble plus impliqué dans le débat et n'hésite pas à développer son argumentaire. Dans le bureau d'architecture qui l'emploie et où il a été interrogé, il annonce d'emblée que trois de ses oncles, deux du côté paternel et un du côté maternel sont morts les armes à la main pendant la guerre de libération nationale et qu'une rue de la ville des Genêts est baptisée depuis longtemps au nom de ses deux oncles paternels. «Quand on a un exemple de sacrifice comme celui de mes oncles qui ont donné leur vie pour l'Algérie, pour son drapeau et pour son hymne national, on ne peut que chérir notre pays», dit Arezki avec un brin de solennité, précisant toutefois que son discours «ne doit pas être assimilé à celui des fossoyeurs de notre histoire, l'histoire de l'Algérie». Rappelant que ses dires n'ont aucune visée politique ou autre, il ajoutera que pour lui, «le drapeau national avec ses trois couleurs représente mes trois oncles, morts au champ d'honneur pour que vive mon pays dans la liberté et l'indépendance». Il représente aussi «tous les martyrs de l'Algérie morts avant et après 1962 ainsi que tous les vrais moudjahidine qui ont survécu à la guerre de libération nationale. Rappelez-vous que notre région a connu un engagement généralisé dans la guerre de libération nationale», ajoute encore Arezki, qui ne manquera pas de crier sa révolte devant l'état de certains drapeaux accrochés aux frontons des institutions publiques. Certains responsables de l'Etat ont fait de notre drapeau un chiffon en piteux état, accuse-t-il avec beaucoup de colère et d'amertume. L'amertume et la colère, on la retrouvera chez d'autres personnes interrogées, à l'image de Ali, résident de la localité de Draa Ben Khedda, qui dénoncera les responsables qui ont laissé des drapeaux usés par le temps et le climat sur les frontons des institutions étatiques et même à l'intérieur de certaines casernes. «C'est malheureux que ce drapeau, pour lequel des Algériens ont sacrifié leur vie, se retrouve, par la faute de la bêtise et de l'insouciance humaine, dans un état d'usure avancée alors qu'il ne coûte rien de le changer de façon régulière», dit-il, non sans dire son espoir que ces responsables soient punis pour cette négligence qu'il qualifie de criminelle. Il faut dire que beaucoup d'inepties ont été lancées à l'encontre de cette région qui n'a rien à prouver en matière de nationalisme et il n'y a pas que la mobilisation générale en faveur de l'indépendance du pays qui le montre, puisque l'opposition armée lancée par le FFS en faveur de la démocratie en 1963 n'a échoué que «grâce» à l'agression marocaine contre notre pays qui a mobilisé les rebelles du FFS dans le but de défendre l'Algérie. Les images des émeutiers de 2001 en Kabylie, avec des pierres dans une main et un emblème national dans l'autre, resteront pour la postérité malgré les tentatives de manipulation. C'est probablement à partir de là qu'il y a cette idée qu'ont certains citoyens questionnés que «le drapeau ne représente rien en temps de paix». C'est ce que pense par exemple Samir, un jeune informaticien de Larba Nath Iraten, qui estime que «l'emblème national n'est qu'un simple signe distinctif vis-à-vis des autres pays de la planète mais il change de statut dès lors que l'Algérie entre en guerre avec un autre pays pour devenir un symbole d'indépendance, de souveraineté et d'identité». Donc, pour lui, «il ne faut pas trop mystifier le drapeau, même s'il faut l'aimer comme on aime notre pays». Beaucoup de personnes interrogées disent être souvent tentées par cette confusion entre les symboles de la nation comme le drapeau et l'hymne national et le pouvoir politique auquel ils disent s'opposer, mais dans les faits ils se disent tous conscients qu'il ne sert à rien de céder. Un exemple : les centaines de fans de l'équipe nationale qui ont défilé dans les rues de Tizi Ouzou et les autres localités de la wilaya au lendemain de ses deux dernières victoires contre l'Egypte et la Zambie, ont arboré fièrement l'emblème national et n'ont, à aucun moment, pensé au pouvoir politique.