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Plaidoyer pour une indépendance basée sur l'intelligence
SYMBOLIQUE DU 5 JUILLET
Publié dans L'Expression le 06 - 07 - 2009

«Ce fut une fête énorme, tonitruante, formidable, déchirante, d'un autre monde. Des hauts de la ville jusqu'à la mer, les youyous vrillaient le ciel. C'était la nouvelle lune.»
Jules Roy (Mémoires barbares)
On le sait. Avec un rituel de métronome, chaque année nous réchauffons péniblement une symbolique à laquelle les jeunes ne donnent par l'importance qui lui revient n'ayant pas été suffisamment éduqués dans le culte de la patrie. Etre libre, est-ce être indépendant? La liberté peut-elle se définir par l'absence de contraintes, l'indépendance signifiant n'être soumis à rien ni à personne, être sans entraves? Sommes- nous indépendants? Qu'en est-il de l'emblème national qui a fait l'objet d'une manipulation sans gloire, l'année dernière, qui veut que chacun arbore ce morceau de tissu au fronton de sa porte, singeant par là les Américains qui eux ont intériorisé la dimension magique du drapeau? Parler de l'histoire et du drapeau national en ce 47e anniversaire de l'indépendance, nous fait remonter le temps, où l'étendard en est le symbole de fierté de la victoire. Il a toujours été porté par un soldat élu ou désigné, selon les critères de courage, de conviction et de foi. Serait-il aujourd'hui pour les générations de comprendre à la fois la signification historique et la symbolique que peut représenter l'emblème national dans la vie d'une nation. Depuis, le drapeau a pris une importance capitale dans les guerres et l'identification des nations. La forme et la couleur s'identifient avec le peuple. Le croissant a été de tout temps le symbole de l'Islam. Avec Arroudj Barberousse, notre pays menant une guerre contre les Espagnols réalisa un drapeau tricolore, vert-rouge-jaune, qui resta jusqu'à Kheïreddine Barberousse. (....) En 1830, l'Emir Abdelkader réalisa le drapeau de la nation dans une couleur toute blanche centré par une main ouverte, selon le biographe Henri Churchill alors que, selon le professeur Djermane Laïd le drapeau de l'Emir avait deux couleurs, verte et blanche. En 1934, les couleurs du drapeau algérien étaient vert-blanc-rouge, où le vert symbolisait Tunis, le blanc, l'Algérie et le rouge, le Maroc, celui d'un drapeau du Maghreb Arabe Uni. C'est l'Etoile Nord-Africaine de Messali El-Hadj qui a repris, selon Mahfoud Kaddache, les mêmes couleurs, sauf qu'au centre de la couleur verte et à la limite du blanc, il y a un croissant et une étoile à cinq angles de couleur rouge. C'est le 25 avril 1963, loi n°63/145, que l'Assemblée constituante avait défini ses caractéristiques. Après 132 ans de sombres années coloniales (...)(1)
Dans une contribution remarquable le journal La Tribune a donné la parole aux jeunes des différentes régions du pays et leurs aveux sans concession sur ce que c'est le drapeau, l'indépendance qui sont pour nous des leçons de vérité. Ecoutons-les...le temps de cette confession.
Les récentes sorties victorieuses de l'équipe nationale de football ont enflammé la jeunesse algérienne et ravivé des espoirs enfouis et réprimés aux fins fonds de toute une jeunesse désoeuvrée et en mal de repères. Les jeunes, dans leur majorité écrasante, ont défilé dans les rues de la ville, réanimant des quartiers en berne depuis des décennies. (...) Pour comprendre ce revirement, ou du moins cette nouvelle perception vis-à-vis du mot patrie, nous avons demandé à des jeunes dans le quartier de Saint-Pierre ce qu'ils pensent de ces manifestations de joie et de liesse et en même temps ce qu'ils pensent du phénomène de la harga qui a pratiquement placé ces jeunes dans la catégorie des non-patriotes. Benaceur Othmane, 22 ans, agent à la division de la protection de l'environnement (DPE) de la commune d'Oran, a répondu: «Je ne sais pas. J'ai toujours aimé mon pays. Seulement, on ne s'en rend pas compte. La victoire de l'équipe nationale a réveillé en nous cet amour de la patrie, en fait. C'est vrai, nous sommes livrés à nous-mêmes; nous n'avons rien pratiquement. Moi, je travaille en tant que saisonnier depuis plusieurs mois à la mairie et je n'ai toujours pas été payé(...) C'est pour cela que nous avons ces ressentiments et ces remontrances vis-à-vis de la hogra et des inégalités sociales. En situation exceptionnelle, nous serons les premiers au front. C'est notre pays, nous n'en avons pas d'autres. Que Dieu nous préserve. Nous avons des amis qui ont émigré clandestinement, ils nous appellent et ils nous disent combien ça leur manque les gaâdates, les virées et l'ambiance oranaise, bien de chez nous. (...)» Lors des victoires de l'EN, le jeune Fateh n'a pas hésité un seul instant à brandir l'emblème national, à l'embrasser maintes fois et à crier son amour pour son pays. «Je vous en parle et j'ai la chair de poule. Regardez! C'est vrai que nous sommes en colère contre notre condition déplorable, le piston des élus et des responsables, nous sommes des témoins silencieux sur tout ce qui se passe.(...) Les jeunes n'ont pas envie de mourir à petit feu. Ils ont envie de vivre et à pleines dents. (...) C'est tout. Alors, on nous demande pourquoi on risque nos vies en haute mer? Ils ne peuvent pas comprendre notre condition», s'insurge Fateh. «Si notre pays était menacé, que Dieu nous en préserve, j'irais en première ligne pour le défendre. Il n'y a aucune équivoque là-dessus. Soyez en sûrs. Nous ne sommes pas des traîtres et nous ne le serons jamais. Nous sommes plus patriotes que ceux qui le prétendent, parce que le pays ne nous a rien donné comme eux. Et nous sommes prêts à nous sacrifier pour lui sans hésiter et sans rechigner. Et dire que nous n'avons ni lot de terrain, ni logement pour nous marier, ni maison secondaire et encore moins de voiture et autre chose de luxueux. Nous sommes des jeunes désoeuvrés, en colère et fiers d'être algériens», poursuit-il.(2)
Dernier témoignage poignant: Selon notre interlocuteur, plus d'une dizaine de jeunes harraga, en grande partie de Mostaganem, qui avaient préparé leur traversée depuis des mois, ont rebroussé chemin pour fêter la victoire de l'EN avec leurs frères et amis. «Ils avaient emporté une radio et ont suivi le déroulement du match. Certains avaient peur de rentrer, mais tout le monde avait fini par décider de vivre ces instants magiques dans les rues de la ville. Ils ont défilé toute la nuit jusqu'au petit matin. Ils sont repartis le lendemain. Je ne sais pas s'ils sont arrivés ou pas», notera notre interlocuteur.(2)
Quelle honte!! Pour quitter le pays en quête d'un eldorado. Combien de jeunes vont continuer de faire le bonheur des fonds marins? (...) Le foot aura unifié les citoyens «momentanément». C'est un bon départ dès lors que le drapeau flotte et continue d'émettre ses couleurs jusqu'à maintenant après avoir été en berne durant longtemps si l'on associe la tragédie nationale de la décennie noire. Une résurrection du 5 Juillet prend en effet naissance à Constantine. «Il suffit d'une légère étincelle prometteuse pour que le peuple se mette au diapason, affichant son intérêt pour le pays».(3)
«(...) A première vue, c'est un bout de tissu avec un côté vert et un autre blanc. Le drapeau, tamurt-iw [c'est mon pays]» dit Hocine, un jeune de 22 ans attablé au café maure. De son côté, Arezki, 31 ans, originaire de Tizi Rached, semble plus impliqué dans le débat et n'hésite pas à développer son argumentaire. «Le drapeau national avec ses trois couleurs représente mes trois oncles, morts au champ d'honneur pour que vive mon pays dans la liberté et l'indépendance». (...) Les images des émeutiers de 2001 en Kabylie, avec des pierres dans une main et un emblème national dans l'autre, resteront pour la postérité malgré les tentatives de manipulation (...).(4)
47 ans. 47 ans que l'Algérie est libre et indépendante après une lutte révolutionnaire des plus héroïques. (...) Du coup, la jeunesse émerge, parle, s'exprime, agit, dénonce, revendique, rêve et s'insurge. Faute d'espaces et de moyens d'expression, des phénomènes sociaux, des fléaux, des tendances ont vu le jour. 47 ans après l'indépendance. Certains n'hésitent pas à parler «d'une crise de confiance qui s'est instaurée et les Algériens ne croient plus à rien car ils ont l'impression que rien ne les unit à cause de cette fragilité du lien social», d'où ce sentiment de détresse, d'angoisse et de solitude qui «pousse la grande majorité de la jeunesse algérienne à fuir à l'étranger sur des barques de fortune ou dans la drogue et les psychotropes», commentent d'autres. (..) Il importe de savoir comment les jeunes, les Algériens d'aujourd'hui, perçoivent la Fête de l'Indépendance de leur pays. Pour sonder leur âme, nous leur avons donné la parole. Florilèges. L'Algérie sakna fi kalbi et dami, entonnent-ils d'une seule et même voix. Et le 5 Juillet alors? «Quelle fête? C'est une journée normale et plate pour nous. Les autorités ne font rien. Aucune manifestation pour célébrer cet évènement! On ne nous a jamais conviés à organiser quelque chose. Pour nous, c'est un jour qui ne se distingue en rien des autres jours de l'année», expliquent-ils. «On l'a banalisé le 5 Juillet. On l'a vidé de sa charge émotionnelle et symbolique. Si l'Etat n'organise ni parade, ni concerts, ni rassemblements, ni quoi que ce soit, comment voulez-vous alors que le 5 Juillet parle aux jeunes?» réagit sur le vif notre jeune interlocuteur, étudiant en littérature arabe à l'université d'Alger (...).(5)
Ghania, 22 ans, étudiante en interprétariat, déplore aussi l'absence de cette atmosphère festive lors de la célébration du 5 Juillet. «La corruption, les inégalités, les mentalités arriérées, les injustices et la Hogra. Nous les jeunes, on doit lutter contre tout ça si l'on veut vivre réellement libres et dignes dans notre pays», décrète-elle. Nassim, 24 ans, étudiant en lettres et littérature française, abonde dans ce sens. «On ne connait pas assez l'Histoire. Et c'est dommage. Je dirais même que c'est dangereux car, dans quelques années, les jeunes risquent de ne plus rien connaître de leur pays. Et peut-on aimer une patrie dont on ne connaît rien de son passé et de son identité?», déclare-t-il. «L'Etat est démissionnaire dans ce domaine. Il n'assume pas son rôle de garant dans la transmission de l'histoire et le respect du devoir de mémoire. Dans le futur, les Algériens oublieront qu'ils ont été libérés du joug colonial un certain 5 Juillet. Au rythme où vont les choses, ils oublieront même que leurs aînés ont livré une lutte héroïque contre la plus grande puissance colonialiste».(5)
Où en sommes-nous en ce 47e anniversaire? Etant un optimiste invétéré- ai-je le choix?- Je dis à l'instar du regretté Cheb Hasni: Mazal l'espoir. Il y a un réel problème pour les gouvernants qui, chaque année, s'éloignent un peu plus de la symbolique ô combien unificatrice -si on sait y faire- de l'indépendance. C'est un fait, nous avons des difficultés à être nous-mêmes et à réveiller la flamme du patriotisme que chacun, à des degrés divers, rêve de voir réanimer pour montrer que tout n'est pas perdu, qu'il est possible encore de tracer un destin pour ce pays. Ce peuple n'a pas besoin du m'as-tu-vu pour croire. Il serait peut être important d'analyser sociologiquement l'addiction des jeunes au football. Ce qui s'est passé en quinze jours sur la scène du football a fait que comme un seul homme, les Algériens se sont sentis fiers d'appartenir à ce pays. Nous mêmes les baby-boomers soixante-huitards avons vibré sincèrement et avons communié dans une ferveur footballistique à la limite de l'irrationnel. Quand ce jour-là j'ai vu des jeunes policiers faire le V de la victoire en réponse à ceux des jeunes en voiture. J'ai compris un court instant, ce qu'était le pardon, la fraternité, la rahma.. Je suis sûr que des scènes de liesse pareilles ont inondé tout le pays Et pourtant, l'Etat n'a rien déboursé pour rendre ce peuple heureux.
Il nous faut chaque fois réinventer le sens de l'Indépendance nationale. Si, il y a 55 ans au déclenchement il fallait affirmer notre dignité et chasser un oppresseur qui s'intronisait chantre des droits de l'homme et pour ce faire s'en remettre encore une fois au sort des armes muni de la seule arme: une immense détermination et une immense croyance dans la miséricorde de Dieu. La religion qui, sans faire des Moudjahidine des dévots hypocrites et impuissants, berçait invisiblement tous nos actes. C'est le «Allah Akbar» anonyme des moudjahidine qui à l'assaut de l'ennemi ou dans les derniers instants était le seul testament laissé aux vivants de cette terre bénie.
A bien des égards, notre indépendance dont nous étions si fiers s'effrite inexorablement par une dépendance économique avérée et surtout par une dépendance mentale qui revient en force. En fait, nous ne sommes officiellement indépendants que le 5 juillet, les 364 jours de l'année nous faisons tout pour augmenter notre dépendance sous le regard désespéré de cette jeunesse en panne d'espérance. En son temps, Boumediene voulait -dans le prolongement de la dynamique extraordinaire de la Révolution - perpétuer cela par la politique des 3R: Révolution industrielle, Révolution agraire, et Révolution culturelle. Depuis, nous manquons de cap. La souveraineté, pour un peuple conscient de la mériter ne saurait être réduite à l'ordre des moyens. Elle est aussi l'expression d'une identité profonde et la réalisation d'un idéal. Et c'est en cela qu'elle a une telle capacité de mobilisation et doit pouvoir aider à ce que ce potentiel s'exprime avec force.
Que reste-t-il de ce feu sacré qui animait l'Algérie au sortir de l'Indépendance? Articuler le social et le national au lieu de les opposer, c'est redonner au peuple un nouveau projet de la force et de la puissance de la révolution. Le parti mythique du FLN a terminé sa mission historique et traîne une existence sans ressort du fait que la foi a longtemps été remplacée par une gestion sans âme d'une espérance qui avait porté tout un peuple pendant les sept ans et demi de la durée de la révolution. Peut-être qu'il faille une nouvelle révolution de l'intelligence où chacun se reconnaît, un espace qui fédère tous ceux qui ont des choses à dire et des choses à faire avec l'assentiment du plus grand nombre en ne comptant pas sur la rente, qui a fait de nous des paresseux décérébrés et qui, a tort ou à raison, cristallise tous ces jeunes sans qui il n'y aurait pas d'Algérie. Il faut en définitive faire émerger de nouvelles légitimités basées sur le savoir, bien dans leurs identités, pétries de leur histoire et fascinées par le futur.
(*) Ecole nationale polytechnique
1.H.B. 47e anniversaire de l'Indépendance: Emblème national et sang des martyrs-El Moudjahid 4 juillet 2009
2.Mohamed Ouanezar Oran:Le patriotisme des jeunes réhabilité par les victoires de l'EN-La Tribune 05-07-2009
3.Nasser Hannachi - Constantine - Une flamme patriotique à pérenniser sans condition - La Tribune 05-07-2009
4.Malik Boumati - Des citoyens de Tizi Ouzou discutent du drapeau. La Tribune.05-07-2009
5.Abderrahmane Semmar - Ni harga ni hedda, l'Algérie dans le coeur...La Tribune 05-07-2009


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