Photo: SRiad Par Salah Benreguia Sans aucun doute, aujourd'hui, l'université n'est plus ce haut lieu de la connaissance qui se tenait à distance du monde professionnel. En revanche, en plus de sa mission classique qui consiste à dispenser des cours aux étudiants, elle joue un rôle important dans la vie économique d'un pays. L'Algérie, qui ne peut d'ailleurs être à l'écart des changements et des mutations enregistrés sur la scène mondiale, connaît, il est vrai d'une manière précoce, une certaine activité universitaire dans ce sens. Les dirigeants de certains établissements universitaires (en attendant que cela soit généralisé) essayent un tant soit peu de faire sortir ces lieux du savoir de cette traditionnelle position en tissant, notamment, des liens directs avec tous les acteurs de la scène économico-financière. Mais leurs initiatives, à encourager à plus d'un titre, doivent être motivées par des décisions politiques fermes de la part de nos dirigeants. Cette année, deux louables initiatives, qui en sont à leur deuxième édition, en l'occurrence deux forums universités-entreprises, ont été organisées par deux universités algériennes et non des moindres : l'Institut national du commerce (INC) et l'université Abderrahmane Mira de Béjaïa. Quoique l'approche de leurs concepteurs soit différente, il n'en demeure pas moins que l'objectif de ces deux événements majeurs est d'établir une passerelle entre le monde universitaire et le monde productif. «En tant qu'ex-P-DG de l'Entreprise nationale des systèmes informatiques [ENSI] et organisateur du forum INC-Entreprise, je suis parfaitement d'accord pour la généralisation de la création de ce type d'organisations ou de passerelles au niveau de chaque université ou institut ou, du moins, dans l'immédiat au niveau régional», a déclaré, M. Ali Belkhiri. Cependant, au-delà de l'organisation de forums et de rencontres mettant en contact direct ces deux mondes, des questions reviennent sur toutes les lèvres : n'est-il pas nécessaire, voire obligatoire, de tisser réellement et d'une façon durable des liens entre les universités algériennes et les entreprises, pour que la première offre ce dont l'autre aura besoin comme spécialistes pour diminuer le taux de chômage ? Les établissements universitaires jouent-ils, comme cela se fait dans des pays développés, le rôle de pourvoyeurs de matière grise ? Une passerelle université-entreprise, l'ultime solution Les réponses à ces problématiques sont divergentes. Certains experts plaident pour l'établissement d'un «lien officiel» entre ces deux mondes, en ce sens que des structures mixtes doivent être créées par les deux parties, tel le centre de carrières de l'INC qui active dans ce sens. La cause : en économie de marché, l'entreprise ne peut plus se suffire à elle-même pour produire, même si ses produits sont de qualité supérieure. Pour survivre, elle doit sans cesse innover. Car, expliquent les mêmes sources, l'innovation est aujourd'hui l'un des véritables avantages concurrentiels. Pour ce faire, cette entité commerciale, doit être articulée à l'université, sachant préalablement que l'une des ambitions de l'université serait d'apporter des solutions à l'entreprise. Ce qui fait qu'en réalité l'entreprise et l'université doivent évoluer de concert. En revanche, d'autres, imputant la responsabilité aux deux parties, l'université et le monde économique, (par manque de contact), ont mis en valeur la nécessité de revoir en amont certaines méthodes appliquées dans les universités visant le processus de stage des étudiants en entreprise. La nécessité de lier l'université au monde professionnel Pour certains spécialistes, le bas niveau des études universitaires, ce qui ne satisfait nullement la demande des entreprises, aussi bien nationales qu'internationales, établies en Algérie, et le manque, voire l'absence, d'une relation entre ces deux secteurs, ne sont que les conséquences d'une gestion chaotique des responsables s'étant succédé à la tête des secteurs concernés. «Les études qui ont été faites, ainsi que les sondages établis par des experts et les instituts des ressources humaines universitaires, ces derniers temps, ont démontré que les seuls critères d'évaluation de l'évolution d'une économie sont la qualité et le niveau de ses ressources humaines», a déclaré un expert. Plus incisive, la même source a fait également savoir que les pouvoirs publics, qui, visiblement ne voulaient pas régler cette question, ont procédé à la mise à niveau de l'économie nationale par l'établissement des infrastructures, ce qui est totalement «faux», précise-t-il. «La mise à niveau de notre économie passe avant tout par le développement humain. Ici, en Algérie, il n'existe nullement de passerelles entre ces deux mondes, et aucune volonté n'est encore affichée dans ce sens», ajoute-t-il. D'autres, en revanche, estiment que, parmi les causes ayant favorisé cette situation, on trouve le statut dévalorisant à tous les niveaux de l'enseignant, l'absence de synergie entre le monde universitaire et le monde économique, la déchéance des entreprises publiques, un secteur économique privé encore faible et d'autres facteurs érigés en tabous. «Notre matière grise ne bénéficie d'aucun statut privilégié et n'est pas associée aux grandes décisions économiques du pays. Aujourd'hui, un étudiant peine à se faire accepter dans une entreprise pour un stage pratique ou un projet de recherche. Il existe pourtant un fonds spécial de recherche-développement, mais comme tous les autres fonds spéciaux, ce n'est que de la gabegie», ajoute la même source. Ironie du sort, les responsables des établissements universitaires ont même établi ce constat il y a déjà quelques années. Et l'explication n'est pas difficile à trouver : les deux mondes, celui de l'entreprise et celui de l'université, ont fonctionné et continuent (pour la plupart) à fonctionner en… se tournant le dos. Cette ignorance mutuelle, qui défie la loi de la logique puisqu'ils sont naturellement liés, a fait qu'aucun d'eux n'arrive à satisfaire les attentes de l'autre : l'usine ne trouve pas le diplômé qui lui faut et l'université ne trouve pas de débouchés professionnels à ses diplômés. Le résultat de cette scission est négatif pour les deux : l'entreprise n'arrive pas à optimiser son rendement et le diplômé n'arrive pas à rentabiliser son bagage intellectuel. En guise de solution, l'entreprise, qui doit répondre à des impératifs de marché au niveau national et international, doit pouvoir compter sur l'université. L'université, à son tour, doit non seulement répondre aux exigences de l'entreprise mais elle doit aussi l'accompagner dans sa gestion. Autrement dit, l'université ne doit pas être confinée dans un rôle passif de satisfaction des besoins de l'entreprise en matière grise, elle doit l'aider à anticiper son plan de gestion, car gérer c'est aussi prévoir.