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Les communistes algériens et l'œuvre de Fanon
Frantz Fanon : domination coloniale et habitus associés à la condition du colonisé (2e partie)
Publié dans La Tribune le 23 - 07 - 2009

Dans une brochure intitulée Qu'est-ce qu'un révolutionnaire algérien en 1963 ? (Editions Sociales, Paris, 15 p.), Bachir Hadj Ali (alors dirigeant du PCA) écrivait ceci : «La négation par certains patriotes du rôle révolutionnaire joué par la classe ouvrière alimente précisément le sectarisme et les préjugés à l'égard de cette dernière. Un homme, qui est un frère de combat et que nous honorons parce qu'il a participé avec nous à la lutte de libération et qu'il a su trouver des accents pathétiques pour crier la détresse des opprimés et leur haine des oppresseurs, a codifié par ses écrits ses préjugés de la classe ouvrière. Il s'agit de Frantz Fanon.» (p.9).
Pour étayer sa thèse, Bachir Hadj Ali cite F. Fanon, qui, dans son livre, les Damnés de la terre, énonce les deux thèses suivantes :
- «[…]. Il est clair que, dans les pays coloniaux, seule la paysannerie est révolutionnaire. Elle n'a rien à perdre et tout à gagner. Le paysan, le déclassé, l'affamé, est l'exploité qui découvre le plus vite que la violence, seule paie. Pour lui, il n'y a pas de compromis, pas de possibilité d'arrangement.» [les Damnés de la terre, p. 25].
- «Dans les territoires coloniaux, le prolétariat est le noyau du peuple colonisé le plus choyé par le régime colonial. Le prolétariat embryonnaire des villes est relativement privilégié… Dans les pays colonisés, le prolétariat a tout à perdre…» (ibid. p. 64).
A la première assertion, Bachir Hadj Ali réplique : «La pratique du mouvement de libération dans les pays coloniaux infirme cette définition du
révolutionnaire.» (p.10) ; à la seconde, il oppose l'argument que «l'histoire de la classe ouvrière algérienne infirme ce jugement» (p.84). Bachir Hadj Ali semble en appeler à la preuve par les faits. En réalité, il ne partait pas des «faits réels», mais d'une somme de présupposés théoriques. L'indice en est que sa perspicacité d'analyste et son sens de l'honnêteté intellectuelle le conduisirent à évoquer d'autres faits, empiriquement vérifiables, qui disqualifient d'emblée la validité de ses présupposés théoriques :
- «Notre pays a une population à plus de 80% agricole. L'immense majorité de notre paysannerie, paysannerie pauvre, constitue l'armée fondamentale de la
révolution, l'une de ses forces motrices. Elle a supporté l'essentiel du poids de la guerre ; pour elle, l'indépendance, c'est à la fois la terre et la liberté.» (p.10)- «Entre la classe ouvrière et la paysannerie existent de nombreux liens. La classe ouvrière algérienne est, pour l'essentiel, issue de la paysannerie et de l'exode rural vers les villes.» (p.11) Mais, Bachir Hadj Ali n'est pas allé jusqu'au bout de son raisonnement ; il n'a pas tiré les conclusions (théoriques et pratiques), induites par ces «spécificités», qu'il désigne bien du doigt sans, pour autant, prendre acte de leur réalité. Il y a cécité à l'endroit des processus réels.
A cela, il y avait une raison bien simple : Bachir Hadj Ali restait embastillé dans le modèle de la lutte de classes fabriqué par Karl Marx : «prototype» qui correspondait, jamais foncièrement, toujours avec un effet de réfraction distordant, au type de conflictualité à l'œuvre dans les sociétés capitalistes industrielles du XIXe siècle et des débuts du XXe siècle. Dans l'Algérie coloniale, la classe ouvrière en gestation, la paysannerie en décomposition et la petite bourgeoisie (urbaine et rurale), dérivaient d'une même réalité socio-économique : la paupérisation (la misère, la pauvreté, l'exclusion, la dépossession, etc.) générée par un double rapport d'exploitation/domination : nationale et sociale.
Il n'y avait, en fait, ni classe ouvrière ni petite bourgeoisie, mais une immense plèbe urbaine couvant un intense processus de paupérisation, que l'inhumanité de l'entreprise coloniale tendait à réduire à une dimension infrahumaine. Quant à la bourgeoisie dite nationale, outre qu'elle subissait, elle aussi, le joug de la domination coloniale, elle était bornée à sa plus primaire expression : une somme composite et restreinte de concrets individuels sans consistance de classe. Dans un tel contexte, la lutte de classes n'était en rien analogue ou assimilable à celle qui tissait la trame des sociétés occidentales dominantes, en l'occurrence de la société française : «capital» (bourgeoisie/capitalisme) versus «travail» (classe ouvrière/socialisme). Dans les sociétés colonisées, cette
contradiction dite fondamentale et ses expressions physiques sont lénifiées par le rapport de domination coloniale et, du fait même de cette pesanteur
structurelle, ladite contradiction se résorbait dans la contradiction principale et se manifestait exclusivement à travers ses termes entre, d'un côté, la société
coloniale dans son ensemble, y compris la classe ouvrière (résidente ou transplantée dans la colonie), qui jouissait de la redistribution du surprofit colonial, de l'autre, la société colonisée également dans son ensemble. Dans ce dernier, la paysannerie constitue effectivement, comme le reconnaît Bachir Hadj Ali, lui-même, «l'armée fondamentale de la révolution» ; ajoutons, pour être plus exhaustif, sa force motrice principale.
Cette dialectique a échappé à l'entendement de notre auteur, alors qu'il semblait l'effleurer du bout de ses doigts. La lutte de classes dont il traçait les
pourtours nichait dans sa tête ; elle n'était pas dans le réel, mais exclusivement dans la représentation qu'il s'en faisait.
Une représentation abstraite : une réalité appréhendée et sassée à travers le crible d'un algorithme inadéquat au contexte colonial. Il est vrai que, référées à cette représentation abstraite, les thèses de Frantz Fanon prenaient l'allure d'une «innovation blâmable». Finalement, Bachir Hadj Ali prononça la sentence suivante : «Les conceptions de Fanon découlent du subjectivisme de la petite bourgeoisie. Liée à un mode de production artisanale et à la petite production, tiraillée politiquement entre l'influence de la bourgeoisie nationale de laquelle elle cherche à se dégager parce qu'elle en prévoit la faillite, mais refusant encore de gagner les positions idéologiques de la classe ouvrière par préjugés ou par intérêts de classe, cette petite bourgeoisie cherche vainement une troisième voie socialiste et des moyens nouveaux. Prenant ses désirs pour la réalité, elle cherche à façonner une société qui échapperait aux lois du développement économique, une société qui n'est que le reflet dans sa conscience de ses propres faiblesses et de ses limites en tant que classe non liée à la production moderne» (op. cité. p.12).
La messe est dite, Fanon est irrémédiablement exclu du panthéon des révolutionnaires et remisé dans l'armoire des petits bourgeois corrodés par leur subjectivisme et aveuglés par leurs préjugés anticommunistes. A noter que, dans ce jugement, Bachir Hadj Ali dissertait sur le «mode de production
artisanale», la «petite production marchande», la «bourgeoisie» et la «classe ouvrière» : les «sujets» typiques de la société capitaliste industrielle des XVIIIe et XIXe siècles de laquelle Marx a construit le modèle théorique dans le Capital. L'Algérie coloniale ne s'insérait nullement dans ce prototype, sauf à corrompre son individualité réelle, pour la forcer à s'y couler. D'ailleurs, Bachir Hadj Ali se déjugera lui-même, quelques années plus tard, dans une brochure publiée sous le titre la Révolution socialiste mondiale et les mouvements de libération nationale – 1864/1964, aux éditions Paix et socialisme, Prague, 1965. Il notait que les communistes algériens ont failli par «la sous-estimation de la puissance du sentiment national […] liée à la sous-estimation des possibilités révolutionnaires de la bourgeoisie à, telle ou telle étape de la lutte, à la sous-estimation, surtout, du rôle de la paysannerie pauvre, armée fondamentale de la révolution dans des pays coloniaux, à la surestimation, par exemple, en Algérie, colonie de peuplement, du rôle révolutionnaire des travailleurs d'origine européenne sur lesquels s'exerçait l'influence colonialiste. En outre, jusqu'en 1946, la force du mouvement national algérien était sous-estimée, ce qui aboutissait à faire dépendre la libération de l'Algérie de la libération de la France et amenait à reléguer parfois au second plan le mot d'ordre d'indépendance…» (p.23).
Le complot du silence
Plusieurs questions agitées par cette «autocritique» donnaient raison à Fanon et obligeaient à réparation. Néanmoins, Bachir Hadj Ali ne révisera pas pour
autant son jugement à son endroit, comme on pouvait l'espérer, au vu de la véhémence et de la portée historique de son autocritique. Davantage, il ne
l'évoqua même pas, alors que ses propos sur les errements du PCA jusqu'à 1946, invalidaient son précédent jugement. Il se contenta de le congédier par le silence. Pourquoi ? «Ce qu'on ne peut dire, il faut le taire», recommandait Wittgenstein.
Et, ce qu'il fallait taire était encore plus grave que la sous-estimation des possibilités révolutionnaires de la paysannerie ou la surestimation du rôle des ouvriers d'origine européenne.
En effet, le contentieux des communistes avec Fanon ne s'arrête pas en 1946, date à partir de laquelle, semble-t-il, ils prirent conscience de le puissance de l'impératif national et de l'importance du mouvement nationaliste, il se prolongera jusqu'en 1954.
Ce contentieux porte sur l'emploi de la violence par les colonisés contre l'ordre colonial. Sous l'occupation française, les communistes algériens n'ont jamais intégré l'option armée dans leur projet politique ; ils faisaient dépendre l'indépendance de l'Algérie de la victoire électorale du prolétariat français (en temps de paix) et/ou de la libération de la France (durant la Seconde Guerre mondiale). «Etre révolutionnaire, disait Bachir Hadj Ali, ne signifie pas exclure toute forme de lutte en dehors de la violence.» (In : Qu'est-ce qu'un révolutionnaire algérien en 1963 ? p.11) Or, disait Fanon, être révolutionnaire dans un pays colonisé c'est exclure toute forme de lutte en dehors de la lutte armée (la violence). A cela, Fanon avance une raison fondamentale. Parce que le rapport de domination coloniale est une négation de l'«Etre» du colonisé, il ne peut se résoudre que dans et par la violence révolutionnaire des colonisés. Hors cette alternative, point de salut pour le colonisé. C'est ce que Ben Boulaïd, Ben Mhidi et leurs camarades ont compris. C'est ce que les communistes algériens –contrairement à leurs congénères vietnamiens– n'ont pu comprendre, prisonniers, qu'ils étaient, d'un dogme aberrant usiné sous d'autres cieux et pour d'autres intérêts. Bachir Hadj Ali reconnaît explicitement ce travers : «Certains défauts se sont accrus considérablement pendant la période du culte de la personnalité de Staline : au nom de l'universalité du marxisme, c'est, en fait, une application dogmatique de certains principes vérifiés dans des situations européennes, mais plaqués mécaniquement à une réalité mal connue et toute différente, qui a contribué à freiner le développement des partis révolutionnaires nationaux » (In : la Révolution socialiste…, op. cité, p.23). Voilà la raison fondamentale d'une conspiration du silence entretenue jusqu'à aujourd'hui par les communistes algériens à l'endroit de Frantz Fanon, qui personnifie, en quelque sorte, leur mauvaise conscience.
L. B.
* Sociologue


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